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Le terme « accompagnement » investit le système éducatif depuis de nombreuses années. L’enseignement supérieur n’est pas en reste. L’association internationale de pédagogie universitaire (AIPU), la Mission Pédagogie et Numérique pour l’Enseignement Supérieur (MIPNES) du Ministère et l’Université Rennes 2 viennent de rassembler pendant deux journées, plus de 150 personnes autour de ce mot dans le contexte pédagogique : qu’est-ce que l’accompagnement pédagogique des enseignants du supérieur ? Le terme accompagnement a été utilisé à de nombreuses reprises dans l’enseignement secondaire et récemment, après la réforme des lycées en 2008, après l’enseignement primaire avec l’accompagnement individualisé, c’est l’ensemble de la scolarité obligatoire, et en particulier le collège, qui voit arriver ce terme, sous l’expression accompagnement personnalisé.

Redécouverte de la pédagogie

Pourquoi parler d’une rencontre dans l’enseignement supérieur autour de cette notion d’accompagnement ? Parce, depuis quelques années, les grandes écoles et les universités sont en train d’effectuer un véritable « coming out » autour de la (re) découverte de la place essentielle de la pédagogie. En France, les enseignants-chercheurs (E-C) de l’université ne recevaient, jusqu’à présent presqu’aucune formation pédagogique. Le coeur de métier était davantage centré sur la recherche que sur l’enseignement mais les choses sont en train de changer. On voit apparaître dans de nombreuses institutions des « services » de pédagogie universitaire pour accompagner la prise de conscience et la mise en oeuvre. L’enseignement secondaire est marqué depuis longtemps par des structures qui organisent la pédagogie (inspecteurs, conseillers pédagogiques, maîtres formateurs, ESPE etc…). On peut observer que le terrain est balisé même s’il reste du chemin à faire. Dans l’enseignement supérieur, il ne l’est pas encore malgré de nombreuses innovations pédagogiques disparates et peu visibles. C’est le triptyque rituel – Cours Magistral, Travaux Dirigés, Travaux Pratiques – qui encadre l’activité des E-C (et leur rémunération). La pédagogie, l’activité d’enseignement et sa qualité, ne sont pas réellement reconnue dans leurs carrières professionnelles.

En quoi les réflexions sur l’accompagnement pédagogique des enseignants du supérieur peut faire écho à des questions vives en milieu scolaire ? Au niveau micro, la question de la part d’accompagnement qui revient à l’autoformation, la co-formation voir la formation en milieu de travail avec les conseillés pédagogiques (CP) ou avec les « pairs » enseignants résonne avec la question de la transformation de l’école. Elle renvoie aussi à la place de la pédagogie dans la formation initiale et dans les concours d’enseignement, encadrés par des universitaires pas toujours formés eux-mêmes à la pédagogie.

Un témoignage

Prenons le témoignage de cette collège de chimie, intéressée mais n’ayant reçu aucune formation en enseignement. Par intérêt, elle se retrouve « correspondante pédagogique » de son UFR. Elle se forme auprès de la CP à l’approche par compétences et elles traduisent ensemble le Master MEEF de physique-chimie en compétences. Elle devient alors « l’experte » en pédagogie auprès de ses collègues, ce qui n’est pas facile et nécessite un accompagnement. Pour prendre ses propres mots : « ces listings, inspirés du référentiel de compétences des métiers du professorat, sont les fruits d’un exercice d’entrainement et n’ont aucun poids officiel. Les compétences listées sont d’une telle évidence que c’est à se demander pourquoi en faire tout un plat. Cependant, la difficulté que la CP et moi avons eu à les mettre en mots, la réaction des collègues et des étudiants lors de leur simple énumération montre que ce n’était finalement pas une « évidence ». Énumérer les compétences, aussi évidentes soient elles, les rend réelles et communes à tous les acteurs. »

Au delà du « bruit » (et des gros moyens) des dispositifs numériques dans l’éducation, on voit bien dans cet exemple, que les transformations pédagogiques pérennes s’effectuent souvent en proximité et sans bruit dans la logique des petits pas chère à Bertrand Schwartz.

A la rentrée 2016, c’est l’ensemble de la faculté des sciences qui entre dans l’approche programme. Au niveau méso, la mise en place dans les établissements scolaires et universitaires de dispositifs multi-échelles d’accompagnement de la transformation pédagogique résonne avec les notions d’incubateurs et de territoires d’innovation pédagogique et numérique qu’on retrouve au cœur des politiques publiques (DNE, EFRAN, PIA 3). Ce qui renvoie, au niveau macro maintenant, à la tension extrême entre, d’une part, la stratégie de l’État basée sur la mise en concurrence et des appels à projets aux délais et temporalités courtes, surtout dans le supérieur et, d’autre part, la temporalité lente mais durable de la transformation pédagogique chez les collègues et dans les établissements. Voir donc se développer une prise de conscience de la place de la pédagogie dans l’enseignement supérieur c’est reposer la question plus globale de la manière d’accompagner les enseignants, quel que soit le niveau d’enseignement.

Accompagner c’est déplacer

Maela Paul, qui vient de publier un ouvrage sur la notion d’accompagnement pose le décor de cette activité en la décontextualisant. En observant l’emploi d’un même terme aussi bien au niveau scolaire qu’universitaire, aussi bien pour ce qui concerne l’individuel que le collectif, elle réussit dans son travail à extraire les constantes de ce que l’on peut appeler une « posture » professionnelle qui, dans de nombreux contextes professionnels ne va pas de soi. D’ailleurs de nombreux enseignants du secondaire et du primaire interrogent les formateurs, la hiérarchie, les inspecteurs pour que soit clarifié non seulement le sens du terme, mais surtout l’activité qui y est associée. S’interdisant toute définition dogmatique, mais posant des repères précis, Maela Paul parvient à nous montrer combien accompagner, en pédagogie en particulier, c’est déplacer, se déplacer. La soumission des élèves et des étudiants à l’enseignement traditionnel principalement magistro-centré, semble de plus en plus s’effilocher. D’une part les rencontres avec d’autres systèmes d’enseignement de par le monde montre qu’il y a d’autres manières de faire, d’autre part les modèles anthropologiques de la transmission sont en train d’évoluer sous l’effet de l’accès aux ressources via les pratiques numériques. C’est aussi dans la transformation plus globale des modèles formatifs et éducatifs non scolaires qu’on trouve l’émergence de formes variées d’accompagnement comme le mentorat, le tutorat, le conseil, le coaching etc. Or la multiplication de ces offres dans la société n’est pas sans retentissement sur les systèmes académiques, ce dont ces journées témoignent. C’est autour du terme accompagnement, de la posture d’accompagnement, de la professionnalité de ceux qu’on charge d’accompagner, mais aussi de l’interrogation de ceux que l’on accompagne (élèves, étudiants, enseignants) et des structures qui le permettent que les débats ont porté.

Participaient à ces journées, principalement des conseillers et ingénieurs pédagogiques du supérieur, des enseignants chercheurs et des « cadres » des universités. Il n’ont pas fait de ponts avec ce qui se passe dans l’enseignement secondaire ou primaire, hormis pour ceux qui oeuvrent dans les ESPE (peu nombreux cependant) ou dans les master métiers de l’enseignement. Faut-il regretter qu’autour d’une activité ayant la même dénomination dans plusieurs milieux, l’on se contente d’en parler dans un cénacle restreint ? Peut-être mais la maturité des institutions sur la thématique de l’accompagnement n’est pas la même partout. Ceux qui travaillent dans le domaine du social ou de la santé, par exemple, ou encore dans le domaine sportif, ont depuis longtemps aussi posé la question de la posture d’accompagnement. Or l’enseignement supérieur qui semble s’ouvrir (enfin ?) aux questions pédagogiques paraît lui « affronter » ces questions, en particulier en France. Mariane Frenay, enseignante chercheuse à l’Université de Louvain la Neuve l’a d’ailleurs pointé en conclusion de ces journées en montrant comment, dans son université, la pratique pédagogique est une composante importante de la progression professionnelle et de son évaluation.

Avoir le souci de ceux qui apprennent

Pour terminer, revenons à l’importance de l’accompagnement dans l’enseignement et plus généralement dans la transmission. Au sein d’une société qui veut durer, la transmission de générations en générations mais aussi de manière horizontale entre pairs, est essentielle pour assurer la cohésion. Notre société a « externalisé » dans des structures et des modèles (forme scolaire), le travail de transmission, l’a professionnalisé. L’accompagnement a donc été limité aux espaces permis dans l’organisation de ces structures. Le monde scolaire, par ses décideurs, en introduisant l’accompagnement a semé suffisamment de trouble dans l’institution pour que les résistances s’expriment de manière parfois spectaculaire : remplacer l’heure d’accompagnement par une heure de cours par exemple, rendre l’accompagnement facultatif, ou encore le réserver aux élèves en difficulté (double peine ?).

Dans l’enseignement supérieur, la question est pour l’instant cantonnée aux enseignants : comment les accompagner dans la pédagogie ? Mais inéluctablement il faut poser la question en rebond, comment la formation des enseignants à la pédagogie va amener les enseignants du supérieur à travailler la notion d’accompagnement… des étudiants. De nombreuses situations le permettent restent pour l’instant des boites noires : conduite de projets d’étudiants, stages, suivi de mémoires etc… Or, même dans le secondaire, pourtant directement sollicité, le travail sur l’accompagnement est très peu fait et surtout très inégalement traduit dans les pratiques. Or cet accompagnement a pour but d’améliorer l’acte d’apprentissage, l’efficacité du système en général, mais surtout la réussite des étudiants comme des élèves. Nos institutions sont encore largement marquée par le souci de l’enseignement, et pas encore suffisamment par le souci de ceux qui apprennent. Elles pensent souvent qu’ils n’ont qu’à s’adapter comme Alain Coulon, Philipe Perrenoud et d’autres l’avaient jadis montré en parlant du « métier d’étudiant » puis du « métier d’élève ». Le chemin peut sembler long, mais au moins, il est engagé…

Bruno Devauchelle, Pascal Plantard