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Peut-on encore parler du corps enseignant ? Pour Géraldine Farges, chercheuse à l’IREDU, le corps enseignant est fragmenté en plusieurs « conditions enseignantes » qui opposent principalement le premier et le second degré. Son ouvrage montre que derrière un référentiel professionnel commun, beaucoup de choses séparent les deux groupes : des conditions de travail et de rémunération mais aussi des sociabilités différentes. Plus divisé que jamais le corps enseignant connait aussi un malaise certain.


A l’origine de ce petit livre un sondage réalisé en 2010 auprès de 3 000 enseignants grâce au soutien de la Maif. Il permet de connaitre l’origine sociale, la sociabilité mais aussi les aspirations des enseignants d’ages et de corps différents.


Ainsi l’ouvrage montre que, malgré l’élévation du niveau de recrutement, malgré la poussée de l’éducation dans le pays qui a relevé le niveau des parents d’enseignants, les professeurs des écoles se distinguent des enseignants du secondaire par une origine sociale plus modeste. « Les jeunes PE connaissent par comparaison avec les jeunes professeurs du secondaire des parcours sociaux marqués par ne ascension plus fréquente », même si dans les deux corps on constate une montée du niveau de l’origine sociale.


Qu’en est il des couples ? L’étude montre une nette opposition chez les PE, les hommes comptant nettement plu de célibataires que les professeurs du secondaire (PLC) alors que les femmes sont après les indépendantes la catégorie qui vivent le plus en couple, à la différence de leurs collègue PLC. L’endogamie enseignante a régressé dans le premier degré alors qu’elle augmente dans le second où un quart des couples unit deux enseignants.


Une dernière partie de l’ouvrage sonde les coeurs des enseignants . Elle relève un fort sentiment de dévalorisation combattue par une nette appétence pour le métier « pour soi ». La vocation n’ets pas morte. Pourtant le sentiment de dévalorisation est très fort.


L’enquête aborde aussi d’autres questions : rapport à l’engagement syndical, revendications, appartenance politique. Des sujets sur lesquels on a des vues plus précises dans d’autres enquêtes. C’est le cas par exemple du baromètre Unsa, publié après la réalisation de l’enquête de G Farges, qui chaque année fait le point des tensions et des attentes dans la profession.


En 200 pages, Géraldine Farges nous offre une base solide pour mieux comprendre les métiers enseignants, en saisir finement les différences et les attentes.


François Jarraud


Géraldine Farges, Les mondes enseignants, PUF, ISBN 9782130606437




Géraldine Farges : La place des enseignants n’est plus la même

 » La dimension symbolique du statut enseignant n’est plus la même ». G Farges revient sur les évolutions constatées dans le ou les corps enseignants.


De l’extérieur les enseignants sont perçus comme un corps et eux-mêmes le pensent souvent. Vous dites que ce corps se différencie de plus en plus. Pourquoi ?


L’objectif de ce livre c’est justement de prendre à bras le corps l’idée d’un corps enseignant unifié, de professeurs qui seraient tous les mêmes, et de mettre en question cette uniformisation. Il y a bien sur des différences anciennes, stabilisées. Mais même si les statuts se rapprochent, les enseignants se différencient de façon informelle. Par exemple les professeurs des écoles et les certifiés ont les mêmes grilles indiciaires et en théorie le même salaire. En fait ils n’ont ni les mêmes conditions de travail ni la même rémunération parce qu’il y a des primes et des missions que les uns touchent ou peuvent remplir et pas les autres.


C’est la même chose pour leur formation. Ils ont tous un master mais les études diffèrent. A l’Espe les cursus des PE et des certifiés ne sont pas les mêmes et les occasions de rencontre sont rares.


Peut-on dire quand même qu’ils partagent tous un univers de référence commun ?


Il y a des points communs. Par exemple l’importance accordée à l’appartenance à la fonction publique. Il y a l’héritage d’une histoire collective forte. Mais face à cela il y a des différences qui sont arrivées. Par exemple le référentiel des compétences des enseignants est unificateur car on attend les mêmes compétences des enseignants. Mais ils ne sont pas exactement identiques celui des PE étant plus précis.


Peut on dire que tous les corps enseignants, avec la formation longue généralisée, ont connu un embourgeoisement ?


Il y a bien élévation de la durée des études pour tous les enseignants. Mais pas embourgeoisement général. Les jeunes enseignants ont une origine sociale plus élevée que leurs ainés. Mais l’origine sociale des PE reste plus modeste que celle des certifiés. Celle ci est aussi plus proche du milieu enseignant alors que les jeunes PE en sont plus éloignés.


L’homogamie entre enseignants s’est elle renforcée ?


Elle a tendance à se réduire au fil des générations et reste plus importante pour les enseignants du second degré. Globalement on a plutôt une diversification des choix matrimoniaux.


Comment l’expliquer ?


Dans le livre j’explique à quel point le statut de l’enseignante a changé. Jusqu’au milieu des années 1970s être femme professeure était une position sociale rare, associé à un statut social plus libre que celui de la plupart des femmes. De ce fait c’était plus difficile pour ces femmes de trouver un conjoint. Ce statut allait de pair avec un célibat très fréquemment. Aujourd’hui cela a bien changé. La dimension symbolique du statut n’est plus la même.


Vous écrivez que les enseignants ont été un modèle culturel. Ils ne le sont plus ?


Dans les années 1970 les classes moyennes, dont les enseignants, ont été des moteurs pour la société. Les enseignants avaient un rôle social plus important et ils ont pu contribuer à faire bouger la société avec d’autres travailleurs des secteurs du social, de la santé ou de la culture. Ils ont investi la scène associative, syndicale ou politique. Aujourd’hui c’est moins le cas. Leur rôle social reste important mais leur place dans le monde politique ou syndical n’est plus la même.


Quelles conséquences peut avoir cet éclatement du monde enseignant ?


Pour les enseignants on peut y voir une des explications sur malaise enseignant qu’Anne Barrère a décrit. Mon enquête montre l’insatisfaction des enseignants. Mais on sait aussi que le métier est moins attractif et que le nombre des démissions augmente. Cet éclatement contrarie les solutions collectives , il empêche d’en trouver facilement.


Aujourd’hui on demande aux enseignants du premier du second degré de franchir le mur qui les sépare et de travailler ensemble dans le cycle 3. Cela vous semble possible ?


C’est possible. Mais ce n’est pas en imposant par le haut ce genre de changement qu’on va voir spontanément des collectifs se créer. Pour le moment ce travail en commun relève surtout du langage institutionnel.


En étudiant ces univers enseignants qu’est ce qui vous a le plus surpris ?


C’est de constater la valeur que les professeurs des écoles donnent à la dimension intellectuelle de leur métier. Or c’est un point pour lequel ils pensent ne pas être reconnus par la société. Ce paradoxe surprenant est révélateur pour comprendre le malaise enseignant.


Propos recueillis par François Jarraud


Géraldine Farges, Les mondes enseignants, PUF, ISBN 9782130606437