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Action. Réaction. Vous avez un problème avec un élève ? Le conseil scientifique nommé par JM Blanquer le 10 janvier vous donnera la réponse à appliquer immédiatement selon un protocole bien défini. C’est ce qu’a expliqué, très sérieusement, Stanislas Dehaene, président du nouveau Conseil scientifique de l’éducation nationale, en présence de JM Blanquer le 10 janvier. Le Conseil se mêlera des interventions dans la classe, de la formation des enseignants et aussi des manuels. Une nouvelle époque commence ?

« C’est un moment à marquer d’une pierre blanche », affirme d’emblée JM Blanquer en présentant le nouveau conseil scientifique de l’éducation nationale le 10 janvier. Pour le ministre ce conseil sera « l’inspiration fondamentale de la politique éducative » qu’il mènera.

Une pluridisciplinarité moquée par le ministre lui même

Finalement le ministre a nommé une majorité de spécialistes des sciences cognitives. Sur les 22 membres, on compte 11 spécialistes de cette discipline dont le président Stanislas Dehaene. Avec lui on trouve Maryse Bianco, Michel Fayol, Caroline Huron, Sid Kouider, Eléna Pasquinelli, Joelle Proust, Franck Ramus, Nuria Sebastian-Galles, Elisabeth Spelke, Liliane Sprenger-Charolles et Johannes Ziegler. Marc Gurgand et Esther Duflo sont des économistes. Bruno Suchaut et le très contesté Jérome Deauvieau sont sociologues. Gérard Berry est un spécialiste de l’informatique. Patrick Savidan est un philosophe. Enfin Pascal Bressoux et Marc Demeuse appartiennent aux sciences de l’éducation.

La distribution du conseil s’est faite entre quelques laboratoires de sciences cognitives, les écoles normales et l’Iredu principalement. Le ministre le conteste mais de nombreux membres du conseil sont proches d’Agir pour l’Ecole, une association dont a fait partie JM Blanquer et qui est pilotée par l’Institut Montaigne.

Quand on lui fait remarquer l’étroitesse de ses choix et la quasi absence des sciences de l’éducation, il répond simplement par une négation complète des sciences de l’éducation. « Ils font des sciences de l’éducation. Chacun des membres fait partie des sciences de l’éducation. Le périmètre des sciences de l’éducation doit être interrogé ». « La pluridisciplinarité c’est important », avait pourtant affirmé le ministre en ouvrant la présentation du conseil…

Un conseil au dessus des autres institutions ?

A quoi doit servir ce conseil ? Pour JM Blanquer il doit être « l’inspiration fondamentale de la politique éducative ». Il sera le conseil du ministre.

Evidemment cela pose la question des autres institutions de l’éducation nationale. Le conseil devra travailler « en articulation avec les organisations existantes ». Le ministre a cité les Inspections générales « dont la philosophie devra évoluer ». Mais aussi la Depp, le Cnesco et le Conseil supérieur des programmes qui « sera éclairé  » par le conseil.

Le conseil pense, les profs réalisent…

Il revient à Stanislas Dehaene de définir les champs d’action du conseil. Le conseil s’occupera « du handicap et des inégalités », deux points curieusement mis ensemble. Il travaillera sur la métacognition c’est à dire l’apprendre à apprendre.

Mais les ambitions de S Dehaene vont bien au delà. Le conseil réalisera des évaluations et de véritables protocoles à suivre en classe. Par exemple un test permettra « de dire à quel niveau se situe un enfant par exemple en lecture au CP et s’il risque (de façon prédictive) d’être en difficulté ou s’il ne progresse pas assez vite. Immédiatement une intervention aura lieu sur une base individuelle ».

« On ne va pas seulement proposer des évaluations qui arrivent en retard », insiste S Dehaene. « On va pouvoir intervenir rapidement avec des outils ». Il cite ne exemple un logiciel qu’il a conçu… Le conseil « donnera aux enseignants les moyens de calibrer et d’adapter leur enseignement à leur situation ».

Dans le même esprit le conseil réalisera des formations.  » Il y a un minimum de bagage scientifique que les enseignants doivent maitriser. On va définir ce minimum et le proposer dans un mooc utilisé pour la formation continue ».

Ce n’est pas tout. Le conseil veut aussi s’occuper des manuels. Il donnera des recommandations en maths , en lecture, en informatique dans le cadre d’un cahier des charges pédagogiques. Par exemple « les programmes ne disent dans quel ordre faire les apprentissages ». Le conseil l’indiquera. Il annonce aussi un colloque sur l’expérimentation le 1er février.

Des propos sidérants

Le moindre qu’on puisse dire c’est que les propos tenus le 10 janvier sont sidérants. Si la journée est « à marquer d’une pierre blanche » c’est déjà pour le mépris marqué pour les sciences de l’éducation dont l’existence, redéfinie par JM Blanquer, est niée.

Il faut aussi beaucoup d’aplomb à JM Blanquer pour affirmer que la science guidera sa politique. La recherche condamne clairement la semaine de 4 jours et le redoublement, toutes mesures prises par le ministre pour flatter l’opinion.

Une vision simpliste de l’enseignement

Mais le plus surprenant c’est la vision mécaniste et ultra simpliste qui est donnée au public sur le rôle du conseil et des sciences cognitives. L’idée d’un protocole que les enseignants n’auraient plus qu’à suivre pour faire face à la diversité des situations de classe est stupéfiante d’ignorance.

Peut-être faut il rappeler ce que nous disait Elena Pasquinelli, membre du conseil aujourd’hui. A la question de savoir si les sciences cognitives pouvaient résoudre le problème principal de l’école française celui des inégalités. « Je ne crois pas. On peut aider l’éducation à identifier des stratégies pour obtenir de meilleurs apprentissages. Mais il y a trop de facteurs sociaux et politiques en jeu pour aller vers plus d’égalité ».

L’idée d’enseignants réduits à appliquer des protocoles pensés par d’autres anime visiblement au moins une partie du conseil et est validée par le ministre.

L’amertume des désillusions

Evidemment elle est très inquiétante pour les enseignants déjà pour ce qu’elle dit de « l’école de la confiance ». Mais elle est inquiétante aussi de ce qu’elle présage des rapports avec les parents. On leur fait miroiter un nouveau truc magique qui va régler les problèmes de l’école. Si ça ne marche pas ce sera la faute des seuls professeurs. Toute cette affaire commence à ressembler aux années 2006.

Les enseignants savent eux que l’élève ne se réduit pas à un cerveau et à des recettes. Il savent que l’enseignement est une pratique sociale où beaucoup de choses entrent en jeu dans la réussite et l’échec des élèves. Les chercheurs savent par l’expérience qu’améliorer l’éducation n’est pas une histoire de « bonnes pratiques » à copier coller. Que tenter de faire cela conduit droit aux désillusions.

On se demande alors à quoi peut bien servir ce conseil en dehors d’être un instrument politique. Le pire serait qu’il prenne au sérieux ses propos.

François Jarraud

Comment améliorer l’école ?

Pasquinelli