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Professeure d’arts dans un quartier défavorisé de Londres, Andria Zafirakou a été désignée « meilleure enseignante du monde » : elle a reçu le « Global Teacher Prize », décerné chaque année par la Fondation Varkey, du nom d’un entrepreneur indien à la tête d’un réseau international d’écoles privées. Le but ? récompenser un.e enseignant.e qui apporte une contribution exceptionnelle au métier et valoriser ainsi l’image de toute une profession. L’événement, philanthropico-blingbling, s’est tenu à Dubaï les 17-18 mars 2018. S’y sont croisés « experts », « influenceurs », politiques, célébrités, « EdTech émergentes » …, beaucoup sans doute intéressées par le développement actuel d’un marché de l’éducation, mondial, connecté, aux enjeux financiers et culturels importants. Dans un tel contexte, qui sont les enseignant.es choisi.es comme représentant.es émérites de notre profession ? En voici un panorama, des Philippines à la Norvège, d’Afrique du Sud à la Colombie. Ce petit tour du monde éducatif nous lance une invitation commune : quels que soient le lieu, les conditions de vie, l’expérience du monde, être intensément présents auprès de nos élèves, nous confronter aux difficultés rencontrées pour relever les défis singuliers.

A Wembley au Royaume-Uni, Andria Zafirakou enseigne à l’Alperton Community School, une école secondaire où les chances de réussite sont a priori faibles. Une très forte diversité ethnique caractérise le quartier de Brent : 130 langues sont parlées dans les écoles. Beaucoup d’enfants partagent leur maison avec d’autres familles, sont exposés à la violence des gangs et arrivent à l’école avec des compétences limitées : ils semblent sortir « des pages d’un roman de Dickens plutôt que du 21ème siècle. » Au côté d’autres enseignant.es, Andria Zafirakou à contribué à la redéfinition du curriculum sur tous les sujets afin de le faire résonner davantage avec les élèves. Elle a repensé le programme d’arts de manière plus créative, en y introduisant un « artiste en résidence » pour favoriser l’inspiration et la responsabilisation, pour dépasser les empêchements socioculturels. « A mes étudiants, témoigne Andria Zafirakou, l’art offre un sanctuaire, un lieu où ils peuvent s’exprimer, en toute sécurité, et se connecter à leur identité. Trop souvent, nous négligeons le pouvoir qu’à l’art de déplacer les barrières et d’effacer les catégorisations, de transformer les vies, particulièrement chez les plus pauvres ». Andria Zafirakoi a aussi aidé une professeure de musique à lancer une chorale somalienne, créé des horaires alternatifs pour permettre aux filles de pratiquer des sports sans heurter les conservatismes communautaristes, appris les bases de la plupart des 35 langues de la population étudiante d’Alperton pour gagner la confiance des élèves et établir des relations avec leurs parents.

En Afrique du Sud, Marjorie Brown est professeure d’histoire, c’est-à-dire, selon elle, d’esprit critique, d’empathie, de démocratie : faire de l’histoire, en particulier en Afrique du Sud, c’est se confronter à soi-même. Ce qui suppose de travailler non seulement à partir des faits, mais aussi autour des questions qu’ils suscitent et des effets qu’ils peuvent avoir sur les élèves. Elle a en particulier travaillé avec des activistes des townships. Marjorie Brown a aussi popularisé en Afrique du Sud le « Lit Quiz des enfants », un concours international autour de la littérature qui a été fondé il y a 26 ans et qui s’adresse aux 10-13 ans. Pour favoriser l’alphabétisation et la lecture dans des régions et des écoles défavorisées, elle est encore à l’origine du « quiz de Phendulani » : les élèves n’y bénéficient pas de bibliothèques scolaires fonctionnelles, les livres que Marjorie Brown envoie pour le quiz sont souvent tout ce qu’il y a à lire, les scores de réussite des équipes qui ont participé ont augmenté régulièrement, certains de 40% à 80%,

Aux Philippines, Jesus Insilada appartient à la communauté du peuple autochtone Panay Bukidnon. Issu d’une famille pauvre, il en est le premier membre à avoir obtenu des qualifications professionnelles : il est maintenant enseignant et directeur d’école. Par son travail, il a promu les droits, y compris à l’éducation, dans les communautés autochtones et favorisé des taux d’inscription beaucoup plus élevés dans l’enseignement supérieur. Dans son école, il construit tout au long du cursus une « éducation basée sur la culture » (ECB) : il s’agit d’apprendre à travers les danses traditionnelles, les chansons, les épopées, les jeux, l’artisanat et les coutumes locales. Par exemple d’interroger parents, grands-parents, voisins … sur des histoires similaires à celles abordées en classe pour partager ensuite ce bien commun avec la classe. Cette approche inclusive considère que l’éducation doit prendre en considération la réalité des origines et de la vie des élèves. Elle favorise leur engagement et leur réussite : les résultats des tests ont révélé qu’au moins 87% d’entre aux atteignaient les notes attendues grâce à cet enseignement. Et tous ont désormais conscience que « nous, peuple indigène, pouvons réussir dans ce monde en mutation ».

Depuis la Belgique, Koen Timmers a conçu plusieurs projets éducatifs globaux pour exploiter la capacité d’internet à construire des communautés d’apprentissage et renforcer la citoyenneté. Par exemple le projet Kakuma : 100 éducateurs dispensent une éducation gratuite aux réfugiés africains via Skype, plus de 20 000 étudiants d’une quarantaine de pays sont impliqués. Trois projets autour du développement durable ont aussi été initiés : 10 écoles de 10 pays ont participé au « projet Eau », 50 écoles dans 37 pays au projet « Human Differences », 250 écoles dans 66 pays au projet « Climate Action ». Les étudiants y sont amenés à faire des recherches, réfléchir, échanger, présenter et partager leurs découvertes via des vidéos hebdomadaires.

Au Brésil, Diego Mahfouz Faria Lima a pris il y a quelques années la direction d’un établissement municipal particulièrement difficile, avec un fort taux de violence, de trafic de drogue et de décrochage : les locaux étaient dégradés, les ordinateurs étaient cachés de peur qu’ils ne soient volés, les parents avaient peur d’y inscrire leurs enfants, le roulement du personnel était élevé, les enseignants, découragés, avaient tendance à punir plutôt qu’à récompenser et valoriser. Il a transformé l’école en impliquant les élèves et toute la communauté scolaire. Au programme : recherche d’aides financières et rénovation des locaux avec l’aide des parents et des grands-parents, système de carte d’étudiant pour suivre la fréquentation et réduire l’absentéisme, ouverture de la bibliothèque de l’école à la communauté, reconnaissance de la parole des élèves, activités sportives et musicales, club d’astronomie, cours pour les adultes le soir, ateliers divers le week-end, médiation des conflits pour mettre fin au harcèlement et à la violence, utilisation de WhatsApp pour établir la communication avec les parents et les élèves, spectacle des talents … Et une conviction centrale : « tout le monde dans la communauté scolaire, élève, professeur, parent, est un éducateur, donc apprend et enseigne. » Désormais, grâce à une gouvernance démocratique, les élèves ont l’impression d’avoir une voix et d’être écoutés, la majorité des parents assistent aux réunions scolaires, les médias ont commencé à parler de l’école de façon positive. « Pas de recette magique », conclut Diego, mais du travail et de la détermination.

A Hawaï, l’ingénieur électricien Glenn Lee a changé de carrière pour devenir enseignant en STEM (Science, Technology, Engineering, and Mathematics). Favorisant des partenariats, il a aidé à lancer le premier programme de robotique de l’État dans une petite communauté rurale isolée : aujourd’hui, plus de 750 programmes de robotique existent de la maternelle à la 12ème année. Dans la classe, « je suis juste un facilitateur », explique Glenn Lee. Le travail mené favorise des compétences pluridisciplinaires et transdisciplinaires : les élèves conçoivent leurs propres objectifs, résultats et évaluations, apprennent le travail d’équipe, l’engagement et la responsabilité. « Les étudiants qui travaillent avec M. Lee disent qu’il les tient au plus haut niveau des attentes, explique l’ancien directeur de l’école Waialua High and Intermediate. Il les prépare à vivre dans le monde réel. Il les défie pour atteindre l’excellence. » Et Glenn Lee insiste sur la nécessité de s’ouvrir à des collaborations avec ses collègues et des partenariats avec les monde extérieur : « Seul, un enseignant ne peut y arriver. »

Dans une région de Turquie particulièrement défavorisée, Nurten Akkuş a créé une école susceptible de favoriser l’alphabétisation et la socialisation des enfants. Les activités sont variées, et ouvertes sur l’environnement urbain, culturel, familial : elles amènent par exemple les enfants à collaborer avec les personnes âgées. Résultats : un taux de connaissance et d’acquisition de compétences passé de 20% à 90%., des troubles du comportement en baisse, une participation renforcée aux événements sociaux. Elle a aussi lancé le projet « Papa, raconte-moi une histoire », qui s’est déployé dans le pays : après avoir vu leurs pères en classe, les enfants développent plus de motivation et l’engagement des familles dans l’éducation augmente de façon spectaculaire, « la relation père-enfant en Turquie s’est développée en conséquence, conduisant à des améliorations globales dans les expériences de l’enfance ». Nurten Akkus a aussi mené une campagne nationale pour favoriser l’équipement des écoles en livres et en jeux, des actions pour renforcer l’attractivité touristique du village. « Je suis heureuse d’être une femme et d’être une enseignante. Et mes rêves sont en expansion. Si vous changez les enfants, vous changez le monde », conclut Nurten Akkus.

Professeur de mathématiques en Australie, Eddie Woo a initié le programme « MathsPASS » (Sessions d’études assistées par les pairs) : des élèves de 11ème année guident des élèves en difficulté de 7ème année pour les aider à rebâtir leur confiance, développer leur compréhension et améliorer leurs compétences en mathématiques. En 2012, il a commencé à filmer ses cours en classe pour un étudiant malade et les a mis en ligne via YouTube sur sa chaîne « WooTube ». Plus de 60 000 abonnés suivent désormais la chaine dans le monde pour organiser leur apprentissage à leur rythme. Un canal séparé permet aussi aux enseignants de partager leur expertise. Eddie Woo exprime de fortes convictions : tout le monde peut réussir en maths ; les mathématiques constituent un langage universel, que le web peut diffuser.

En Colombie, Luis Miguel Bermudez Gutierrez enseigne à l’école Gerardo Paredes, dans l’un des quartiers les plus pauvres de Bogota, où sévissent violence armée, pauvreté et abus sexuels. En y arrivant en 2010, il est frappé par le grand nombre de grossesses chez les adolescentes et le harcèlement constant à l’encontre des élèves qui ne correspondent pas aux modèles culturels de la masculinité et de la féminité. Dès lors, l’enseignant décide d’intégrer aux programmes scolaires l’enseignement de la citoyenneté sexuelle et une nouvelle approche de la diversité pour combattre la discrimination. En 2010, l’école avait enregistré 70 grossesses chez les adolescentes : au troisième trimestre de 2017, grâce à la mise en œuvre de cette éducation à la sexualité, le chiffre est tombé à zéro.

En Norvège, Barbara Anna Zielonka enseigne l’anglais dans une école secondaire avec une population multiculturelle. Elle utilise le numérique pour renforcer le plaisir et l’efficacité des apprentissages. Les étudiant.es, équipé.es d’ordinateurs personnels, les utilisent pour des activités diverses : édition vidéo, curation de contenus, baladodiffusion, cartes mentales, collaboration, captures vidéos de l’écran, utilisation de plates-formes numériques … L’enseignante a par exemple conçu le projet « Genius Hour » : les étudiant.es ont dû créer leur propre sujet de recherche, collecter des données sur internet, contacter des experts via Facebook ou Twitter, créer des questionnaires en ligne et partager leurs résultats avec un public international. Elle a aussi lancé le projet « The Universe is Made of Tiny Stories » : les étudiant.es sont invité.es à produire et partager des récits numériques pour participer à l’aventure du storytelling multimédia, communiquer avec leurs pairs à l’échelle mondiale du web, se construire comme citoyens responsables et créatifs de la culture numérique.

Qu’est-ce qui peut pousser un.e enseignant.e, demanderont certain.es, à participer à un événement comme le Global Teacher Prize ? Livrons celle de Patrick Saoula, représentant de la France à cet événement mondial : et s’il était désormais du devoir des enseignant.es d’ouvrir les portes de leurs classes pour « communiquer » ? et si en communiquant, il s’agissait de diffuser au mieux pratiques et valeurs, de tisser des liens, de construire ensemble de nouveaux projets, de se mettre encore plus au service des élèves ?

Jean-Michel Le Baut

Le site du Global Teacher Prize

Le site du Global Education & Skills Forum

Le représentant de la France au Global Forum, Patrick Saoula