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Prof d’histoire-géo, CPE, enseignante en maternelle, psychologues, nous les avons croisé dans la manifestation parisienne du 22 mars où les enseignants étaient nombreux. Nous leur avons demandé pourquoi elles étaient là. Plus que la peur de voir leur statut se détériorer, elles dénoncent « la casse de l’École ». Ecoutons les…

Nadia Lenglet enseigne en BTS management des unités commerciales (MUC) depuis 2006 et voit ses conditions de travail se dégrader. Elle est en grève et manifeste aujourd’hui pour défendre l’avenir de l’École, mais aussi la société de demain. Elle explique que les différents gouvernements successifs ont pour ambition une formation post bac pour tous les élèves sans se donner les moyens d’y arriver, elle voit le niveau des élèves baisser mais elle voit aussi de plus en plus d’enseignants non formés arriver : « Nous n’avons pas les moyens de leurs ambitions ».

Elle estime que c’est la fin d’un service public de qualité pour plusieurs raisons dont la principale est, selon elle, le manque de formation des enseignants. Formation qui est inadaptée aux réalités professionnelles pour les jeunes lauréats de concours ou inexistante lorsqu’il s’agit de contractuels ne sachant pas trop ce qui les attend lorsqu’ils sont envoyés par Pôle Emploi. Elle cite l’exemple d’une jeune collègue affectée dans son lycée, accueillant un public plutôt favorisé dans le Val d’Oise, qui a démissionné après trois mois devant les élèves. Elle conclue : « nous allons dangereusement vers la fin d’un service public de l’éducation ».

Estelle Rodrigues est CPE (conseillère principale d’éducation) au lycée René Cassin de Noisiel. Selon elle l’élève n’est plus au centre des préoccupations. Les décisions sont prises par des prismes politiques et budgétaires.  » Les décisions sont prises de façon hâtive, c’est un empilement de dispositifs sans qu’il n’y ait de bilan effectué ».

Elle manifeste, aussi, pour le service public en général : « J’ai une image de ce que doit être la solidarité, la cohésion et l’engagement des fonctionnaires. On ne nous donne pas les moyens de travailler dans des conditions correctes ». Estelle semble exaspérée de ne pouvoir mener à bien ses missions : « En tant que CPE, on ne fait que du rafistolage. Nous n’avons plus le temps de mettre en place des actions globales à long terme. On travaille dans l’urgence, sur des situations individuelles dramatiques ». Estelle était accompagnée de plusieurs collègues, CPE et enseignants, acquiesçant à ses différentes déclarations.

Delphine et Valérie sont deux enseignantes du Val d’Oise, l’une enseignant en REP+, l’autre directrice d’une école « semi rurale ». Elles sont en grève et manifestent aujourd’hui pour dénoncer les conditions de travail qui se dégradent avec des effectifs qui augmentent sans cesse, et la mise en place des CP dédoublés qui alourdissent les autres classes. Elles réclament la baisse des effectifs sur tous les niveaux de l’école élémentaire.

Elles exigent aussi un vrai accompagnement pour l’entrée dans le métier des jeunes collègues et une vraie formation continue pour tous. Elles demandent la fin du recrutement de contractuels, « On ne peut pas entrer dans le métier comme ça ». Concernant la direction d’école, elles demandent le retour des aides à la direction dans le cadre d’une véritable embauche. « Les directeurs ont pris le temps de les former et quand c’est fait, on leur dit que c’est fini. On revendiquait la simplification des tâches des directeurs, finalement on a hérité d’un alourdissement des tâches avec les PPMS (plan particulier de mise en sureté) et en nous enlevant les aides à la direction ». Elles s’inquiètent aussi de la fin du recrutement des AVS (auxiliaire de vie scolaire) qui aident les élèves en situation de handicap. Elles manifestent aussi contre la journée de carence, contre le gel d’indice et contre le report du PPCR (parcours professionnels, carrières et rémunérations). Elles concluent en demandant au ministre la fin des injonctions et de faire « confiance » aux enseignants.

Brigitte et Marie-Laure sont, quant à elles, psychologues de l’éducation nationale (ex psychologue scolaire), leur mécontentement est multiple. Elles expliquent qu’elles sont en grève car « le service public d’éducation n’est plus à la hauteur, surtout pour nos élèves en Seine – Saint – Denis qui n’évoluent pas dans les mêmes conditions que tous leurs autres camarades français, d’autant plus ceux se trouvant en situation de handicap. Des enfants qui, par manque de moyens, se retrouvent sans accompagnement ». Elles font référence à tous ces CUI (contrat unique d’insertion) dont le contrat devait se transformer en AESH (accompagnement des élèves en situation de handicap) et qui ne le sont pas par manque de budget.

Elles expliquent aussi leur difficulté à exercer dans des RASED (réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté) complètement « décimés » et qui ne peuvent plus prendre en charge tous les élèves en grande difficulté scolaire. « Les aides sont de plus en plus externalisées et médicalisées alors qu’elles devraient être prise en charge au sein de l’école et pourraient aider de nombreux élèves à progresser ». Elles continuent en faisant état du nombre important de postes de psychologues qui restent vacants ce qui les oblige à intervenir sur des secteurs plus grands. « Nous avons la sensation de ne plus mener à bien nos missions, nous sommes obligées de nous concentrer sur les enfants en situation de handicap, de plus en plus nombreux, en négligeant les autres. ». Elles notent aussi les difficultés que rencontrent les enseignants, pas formés lorsqu’il s’agit de contractuels, ou peu formés pour les néo titulaires. « Nous avons de plus en plus d’élèves en difficulté car l’enseignant est en difficulté. Et c’est inacceptable ».

Brigitte et Marie-Laure dénoncent aussi leurs conditions de travail « déplorables » et une vraie usure professionnelle. « On aime notre métier, mais on a le sentiment de ne pas faire ce pour quoi on est formé. Nous sommes loin de la bienveillance, du respect des familles, des enfants. Nous évoluons dans des contraintes temporelles intenables, nous travaillons toujours dans l’urgence et c’est usant ».

Elsa Le Mazurier enseigne en maternelle dans le 91. Elle manifeste aujourd’hui car elle est inquiète pour la Fonction Publique en général et pour l’École tout particulièrement, « ce qui se projette ne me plaît pas du tout ». « En tant qu’enseignante en élémentaire, sous couvert d’innovations pédagogiques révolutionnaires, les décideurs en arrivent à oublier les gens qui œuvrent depuis des années au sein des écoles. » Elle nous explique qu’elle « ose encore croire en une Éducation Nationale, dont le mot National perd de plus en plus son sens, victime de la casse des politiques. ». Selon elle, sous couvert de réformes, on fragilise les équipes, les collègues, les enfants, « encore ce matin, une collègue me disait être au bord de la démission… Nous sommes toujours vu comme des glandeurs, des grévistes perpétuels alors qu’on se bat pour une école plus juste. »

Dans le métro du retour, une jeune professeure est assise face à moi. Elle s’appelle Lucie Mustiep et enseigne l’histoire-géographie au lycée Maurice Utrillo à Stains. Elle m’explique avoir manifesté aujourd’hui pour « maintenir les quelques avantages qui restent et de façon plus générale pour que l’enseignement et le service public continuent à exister ». Elle me raconte aussi les problématiques rencontrées dans son établissement : un climat scolaire peu sécurisant (avec des problèmes graves de bagarres entre bandes rivales) et un besoin de recrutement d’AED (assistants d’éducation), « nos élèves ont besoin qu’on les soutienne ». Notre échange aura duré quelques minutes, elle se hâte car ses collègues et elles prévoient d’occuper le lycée ce soir.

Lilia Ben Hamouda