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Il y a des questions qui ne se posent pas sur le terrain mais qui occupent beaucoup les experts. La réduction de la taille des classes est de celles-ci. Longtemps la réduction de la taille des classes a été repoussée avec un brin de mépris par le ministère. On avait fait la preuve de son inefficacité. Mais depuis l’arrivée d’E. Macron à l’Elysée, retournement de veste, elle est devenue la solution officielle aux difficultés pédagogiques. Du coup, les cadres, les experts , tout le petit monde éducatif s’est repositionné en pro et anti, brûlant parfois aujourd’hui ce qu’il chérissait hier. Pourtant la question de l’efficacité est toujours à apprécier dans un contexte. A quelles conditions c’est efficace la réduction de la taille des classes ?

Quand le ministère condamnait la réduction de la taille des classes

Quand un ministère change de conception sur un temps aussi court et avec une caution aussi prestigieuse (l’Elysée) forcément c’est dérangeant. Avec E Macron on a connu un autre revirement à 180° qui s’est mieux passé : le redoublement. Sans doute parce que les discours officiels viennent de s’ajuster avec des croyances bien ancrées dans la population.

Pour la réduction de la taille des classes (RTC dorénavant), c’est différent. Bien sur les enseignants voient tout de suite ce qu’il en est. Mais c’est différent pour les cadres et le public en général.

Longtemps la doxa ministérielle était de nier l’utilité de la RTC. On en comprend bien els raisons. A l’origine de ce rejet de la RTC il y avait d’abord une étude de l’OCDE qui concluait sur l’absence de gain.  » Les effets de la variation de la taille des classes sur la performance des élèves ne sont pas étayés par des éléments probants », écrivait  » Regards sur l’éducation », une publication de l’OCDE, en 2011 . « Les recherches menées dans ce domaine controversé n’ont pas permis de tirer des conclusions cohérentes, même s’il apparaît que les classes moins peuplées pourraient avoir un impact sur des groupes spécifiques d’élèves, notamment les élèves défavorisés ».

Des études françaises allaient dans le même sens. En 2001, une étude de Denis Meuret sur une RTC en classe de CP concluait en insistant sur les limites de la réduction de la taille des classes. Il critiquait les dédoublements. « Les recherches ne justifient donc certainement pas une réduction de la taille des classes (RTC)… C’est le résultat le plus clair des études menées en France ». Le propos était ensuite plus nuancé (« Elles ne justifient pas non plus une attitude fondée sur l’idée que la RTC est forcément la politique la moins efficiente qui soit. Elles peuvent effectivement, semble-t-il, servir d’argument à une politique visant les populations défavorisées pendant les premières années du primaire, pourvu que la baisse soit importante, que des mesures de formation adéquates soient prises »). Mais c’est l’idée générale qui a longtemps été retenue.

A cette époque là, les études nord américaines comme STAR étaient soigneusement oubliées. Aujourd’hui elle est considérée comme une source fiable qui plaide pour la RTC.

On était dans les années Sarkozy, celles des suppressions de postes. L’idée à la mode à cette époque là était plutôt de regrouper les collégiens et les lycéens en amphis de 120 élèves pour les « matières de leçons » (terme d’un rapport de l’époque). Une solution que les enseignants savent impossible dans 80% des établissements mais qui permet d’envisager de sérieuses économies. Finalement cela ne s’est pas fait (sauf exception) et l’idée a été enterrée après 2012. Mais il n’est pas exclu elle aussi de la voir revenir…

Le coup de tonnerre de Piketty et Valdenaire

En 2006, T Piketty et M Valdenaire mettent les pieds dans le plat en publiant une étude qui prouve l’intérêt de réduire les effectifs en éducation prioritaire et qui explique que cela peut se faire à moyens constants.

La grande force de leur travail c’est de s’appuyer sur une méthode incontestable. Elle utilise les effets de seuil qui font que de façon aléatoire certaines classes sont éclatées en deux groupes classes et se retrouvent à petits effectifs. On entend souvent dire que c’est une étude théorique or ce n’est pas le cas. M Valdenaire a calculé l’effet de la suppression de la légère réduction du nombre d’élèves en éducation prioritaire (l’écart entre une classe ordinaire et une classe de Rep est de 2 élèves) et d’une diminution de 5 élèves dans chaque classe de zep (ancêtre des Rep). « La suppression des ZEP aboutirait d’après nos estimations à une progression des inégalités de réussite scolaire entre élèves scolarisés en ZEP et hors ZEP de 11% au primaire, 6% au collège et 3% au lycée », écrit M Valdenaire. « La diminution de 5 élèves des tailles de classes de ZEP conduirait au contraire, dans notre hypothèse basse, à une réduction des inégalités de 37% au primaire, 13% au collège et seulement 4% au lycée ». Si l’impact est faible au lycée et même au collège, il est majeur à l’école.

Quand Piketty et Valdenaire ont sorti leur étude dans une revue ministérielle en 2006 elle a immédiatement été censurée par le ministre de l’époque G de Robien. S’en est suivi un scandale et le renforcement de la position officielle si pratique.

Le tabou levé en 2014

Il faudra attendre 2014 et une étude d’Olivier Monso (Depp) pour voir la position officielle bouger. Dans Education & formations (la revue où Piketty et Valdenaire ont été censurés 8 ans plus tôt !) il écrit :  » « Les travaux récents sur des données françaises consacrés à l’impact de la taille des classes sur la réussite scolaire ont tous abouti, quoiqu’avec des nuances, à ce constat… Une réduction du nombre d’élèves par classe bénéficie davantage, dans l’ensemble, aux élèves issus d’un environnement social ou scolaire défavorisé, et notamment à ceux scolarisés dans un établissement en éducation prioritaire. Toutefois, elle ne constitue pas forcément la réponse appropriée à tous les types de difficultés scolaires ». O Monso relève que les études sont convergentes avec des méthodologies différentes.

Deux autres études récentes

Depuis d’autres études ont renforcé la thèse des partisans de la RTC. En 2013, P Fredriksson, B Ockert et H Oosterbeek publient une étude sur le devenir des jeunes suédois entrés à l’école entre 1967 et 1982. « Réduire la taille des classes est bénéfique dans les tests cognitifs et non cognitifs à l’âge de 13 ans et 16 ans », écrivent-ils… « Plus important, nous trouvons que des classes plus petites augmentent la durée de l’éducation, les salaires et les revenus à 27 ans et 42 ans ». Autrement dit l’effet est durable, il est permanent. Pour les auteurs, « réduire d’un élève par classe dans les 3 dernières années du primaire (de 10 à 13 ans) augmente la durée de l’éducation de 20 jours ». Cela augmente donc la probabilité d’accéder à l’enseignement supérieur. La même réduction se traduit par une hausse de 1,2% du revenu. Ils calculent aussi le rapport coût / bénéfice pour monter que le rapport est positif pour l’Etat.

Beaucoup plus récemment, une étude de A Bouguen, J Grenet et M Gurgand, publiée à la rentrée 2017, conclue à l’efficacité des dédoublements de CP.  » Le dédoublement de la taille des classes (de 24 à 12 élèves par classe) conduirait, d’après les études recensées dans cette note, à une amélioration des performances scolaires comprise entre 20 % et 30 % d’un écart-type », expliquent les auteurs. Un tel effet est important : dans une classe de 24 élèves, il correspond pour l’élève médian à une progression de 2 à 3 rangs et il est d’un ordre de grandeur comparable à la moitié de l’écart de performance moyen que l’on observe à l’entrée en CP entre les enfants de PCS favorisées (cadres, professions intellectuelles supérieures) et les enfants de PCS défavorisées (ouvriers, personnes sans activité professionnelle). »

Au même moment les dédoublements se sont créés des ennemis inattendus liés à la façon misérable dont ils ont été mis en place avec la suppression brutale des maitres surnuméraires et le bourrage des autres classes. Ces adversaires n’utilisent pas les arguments du début du siècle mais affirment que l’efficacité n’existe que si le dédoublement est accompagné d’une pédagogie spécifique.  » Une réduction de la taille des classes n’est donc pas suffisante pour réduire les inégalités de réussite : ce sont les pratiques efficaces qui font réussir les élèves », écrit par exemple le Centre Savary récemment.

Pourquoi la réduction serait-elle efficace ?

Autrement dit, ils posent une bonne question qui est celle du pourquoi. Pourquoi la RTC améliorerait-elle l’efficacité de la classe ? Et aussi pour qui serait-elle bénéfique ?

Il est clair que dans beaucoup d’écoles la réduction n ‘aurait aucun effet, même sans doute avec une pédagogie bien adaptée. Tout simplement parce que dans les écoles des quartiers favorisés les enfants ont déjà un haut bagage éducatif transmis par les parents. Inversement c’est dans les quartiers populaires, comme l’avaient bien vu Valdenaire et Piketty, que l’efficacité est au maximum.

Les effectifs plus réduits permettent bien sur de consacrer plus de temps à chaque élève, de le connaitre mieux et de mieux l’accompagner. Mais la RTC a aussi un effet immense sur le climat de la classe. Dans des écoles très défavorisées avec des enfants perturbés cet intérêt là n’est pas négligeable. La France est le pays d’Europe où les cours sont les plus perturbés selon l’OCDE. Réduire le nombre d’élèves c’est faciliter la tenue de la classe et donc gagner un temps important d’enseignement. Enfin la RTC a aussi des effets importants sur le travail enseignant. C’est moins de corrections, moins de parents à rencontrer, autant de temps gagné pour le travail pédagogique.

Tous est affaire de contexte

Est-ce à dire que le débat est clos ? Plus que l’étude officielle qui devrait évaluer l’année prochaine la première année des dédoublements de CP , on pourra en mesurer les effets vraiment en 2021 quand les enfants seront en cm2 ou en 2022 quand ils seront en 6ème. Là on verra s’il y a des gains durables.

Mais les effets seront-ils au rendez vous ? Car la même main ministérielle qui a multiplié les dédoublements a aussi poussé à la suppression de la semaine de 4.5 jours et allongé les jours de classe dans une semaine de 4 jours.

Faute de postes, elle a aussi entrainé le bourrage des autres classes, cela a aggravé la situation d’enseignement dans les autres niveaux du primaire. L’élève bien accompagné en CP et CE1 va ensuite connaitre 3 années où les conditions d’enseignement sont dégradées. Elle a aussi supprimé les maitres +, dont les effets sur les équipes enseignantes étaient positifs, et dégradé les relations entre les enseignants en créant une inégalité.

Une ou deux années de petits effectifs peuvent ils ancrer suffisamment des apprentissages qui se font en réalité sur tout le primaire ? On peut fortement douter de l’efficacité de la RTC dans le contexte précis de sa mise en oeuvre en France. Et on peut peut-être anticiper le prochain retour du balancier…

François Jarraud

La taille des classes une question politique

Etude Piketty et Valdenaire

Etude suédoise

Etude Monso

Etude 2017

Etude IFé