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Avec « un horaire dérisoire face aux enjeux », Marc-André Selosse, professeur au Muséum national d’Histoire naturelle et aux Universités de Gdansk (Pologne) et Kunming (Chine), membre de l’Académie d’Agriculture s’alarme sur la disparition progressive des sciences de la vie et de la Terre au lycée. Le scientifique détaille les raisons de ses inquiétudes. « Les SVT préparent au complexe », assure celui qui voit la bio-industrie chinoise « préparer activement ces compétences là ». Au delà des emplois, « les SVT fondent la liberté de choix et de décision citoyenne ». « La chute des postes au capes de SVT (-20,4% en 2019 et -23% en 2018) illustre le recul ». Marc-André Selosse regrette aussi le manque d’interdisciplinarité de la réforme avec la suppression des TPE. Il déplore un « enseignement scientifique trop court pour faire vivre cette interaction (scientifique) dans l’emploi du temps ou l’esprit de l’élève ».

Quel constat faites-vous sur le volume horaire réservé aux SVT dans le nouveau lycée ?

Un constat alarmé, inquiet pour l’avenir et attristé. Alarmé de la place trop limitée des SVT. Pourquoi une moitié de l’horaire dédié à la Physique-Chimie en Seconde (soit 1,5h/semaine), au lieu d’une équité ? Trois heures permettraient de développer des réflexes et d’assurer une présence réelle dans la formation ? Avec la Physique-Chimie, le Numérique et les Mathématiques, les SVT s’incorporent à un Enseignement Scientifique (ES) unique au lycée. Or, c’est une erreur épistémologique de penser que les sciences, en tant que méthode, soient réductibles les unes aux autres ; l’expérience d’esprit mathématique, l’expérience pratique en SVT et une démarche calculatoire en Physique incarnent des savoir-faire tous utiles mais très différents, que le temps dévolu à l’ES ne permettra pas de tous manier. Bizarrement, cela choque peu alors qu’une combinaison Histoire-Géographie-Philosophie aurait (logiquement) choqué… Je m’alarme d’une disparition horaire des SVT en silence.

Inquiet car le monde n’a jamais été aussi plein d’enjeux où les SVT fondent la liberté de choix et de décision citoyenne. La montée de scepticismes et de fake news sur les avancées scientifiques inquiète, sur la sécurité des aliments ou des vaccins par exemple. Les appels (par exemple gouvernementaux) à informer la jeunesse sur le respect de la féminité, la santé alimentaire, le SIDA… seront des impuissances successives si l’on n’offre pas un bagage initial utilisable face à tous les sujets. Raisonnement critique et culture de base en SVT serviront demain face à toutes les nouvelles questions ; une formation en seconde n’y suffit absolument pas ! Un article du Monde (23 mars 2019) interpelait la sphère pédagogique parce que, sic, « le dérèglement climatique est trop peu enseigné ». Mais hélas, cet article ne se faisait pas l’écho que deux des sciences qui construisent la compréhension des phénomènes environnementaux (Physique-Chimie et SVT) ont un horaire dérisoire face aux enjeux… de fait, la mobilisation lycéenne nous rappelle que les choix et les horaires éducatifs ne coïncident pas avec les priorités d’une partie de la société… ni avec un monde durable. Donc je suis inquiet pour la génération de demain, dépouillée d’atouts vitaux pour juger de ce qui l’entourera.

Attristé, enfin, car je connais les efforts des profs de SVT pour s’adapter à des programmes qui ont complètement changé ces dernières décennies : biologie moléculaire, sciences de l’évolution, écologie, biotechnologies… Les SVT sont des matières qui ont le plus évolué, au point que les parents comprennent parfois mal ce qu’apprennent leurs enfants (une preuve de changement parfois retournée en critique des SVT). Cette capacité d’évoluer au gré d’un monde en changement n’est pas mobilisée dans cette réforme car elle ne développe pas la parole des SVT. La chute des postes au CAPES SVT (-20,4% après -23% l’an dernier) illustre le recul de la voix des SVT dans le concert de la formation, au risque d’y perdre l’harmonie.

Comment justifier le choix des SVT en terminale en lien avec les autres disciplines ?

Nous passons ici de la formation citoyenne à celle des spécialistes. Dans l’esprit de la réforme, les combinaisons d’options permettent des choix variés, des interdisciplinarités originales et des cursus personnels : c’est sans doute le plus grand et bel espoir de renouvellement soulevé par cette réforme. Le potentiel d’interfaçage des SVT est riche dans ce contexte : avec les SES, pour une nouvelle approche de nos sociétés ou préparer aux filières agro-alimentaires ; avec la philosophie, sur la bioéthique ou sur la place de l’homme dans le monde ; avec la Géographie (au moins) pour le développement durable… Dans ce contexte, je vois poindre une offre trop limitée de combinaisons incluant les SVT, notamment avec les sciences dites « humaines », pour générer de nouveaux savoir-faire.

De plus, nous avons besoin de professionnels formés par et pour les SVT… Les entreprises du génie de l’environnement, de la bio-économie et de la médecine constituent plus du tiers du chiffre d’affaire du CAC 40 ; les secteurs pharmaceutique, cosmétique et agroalimentaire construisent notre commerce extérieur. La génération qui monte peut en profiter : le Ministère de l’Agriculture estime par exemple que les bio-industries nouvelles (biocarburant, biomatériaux, etc.) génèreront 100 000 emplois dans les 20 ans à venir. En formant des spécialistes de haut niveau, on peut aussi retenir ou attirer des entreprises en France. En Chine, notamment dans l’Université où je travaille, je vois bien préparer activement ces compétences-là !

Je suis en particulier choqué des rumeurs selon lesquelles, en Terminale, on ne puisse prendre l’option Physique-Chimie sans les Mathématiques. D’abord, on ne peut envisager que les programmes aient verrouillé ce tandem au risque de dénaturer une réforme placée par le Ministre sous la bannière du choix (répétons-le, la très-grande force de cette réforme). Ensuite, il serait gravissime, notamment pour les lycéens inquiets du climat, de les priver du tandem Physique-Chimie / SVT propre à envisager l’environnement et ses métiers de demain ! Il faudrait ne rien comprendre aux enjeux environnementaux pour empêcher ce tandem-là.

Bien sûr, on peut prétendre que le tandem Physique-Chimie / Mathématiques prépare mieux à la sélection, par exemple en médecine, à la fac ou encore en classe prépa (BCPST). Mais on voit les hiatus qu’a créé ce système en découplant la matière de sélection de celle du métier : en important trop tard la biologie dans les formations du supérieur, on n’obtient qu’un vernis superficiel. Les gestionnaires de l’environnement, notamment agricole, n’ont pas anticipé ni guère géré la crise de nos écosystèmes. En médecine, les vertus curatives de la fièvre et les fonctions antibiotiques de la carence en fer chez les femmes enceintes, bien comprises biologiquement, sont encore souvent combattues par des prescriptions aberrantes et coûteuses. Bref, pourquoi ne pas sélectionner directement sur la discipline-clef ? Sinon autant revenir au grec et au latin comme outils de sélection – tout aussi décalés.

De grâce, pensons à l’épanouissement et à l’avenir professionnel des plus jeunes : cette réforme est l’occasion d’imaginer de nouvelles compétences, d’épanouir de nouvelles interdisciplinarités pour les métiers de demain. Notre société exige de plus en plus, de l’environnement à la santé, de compétences en SVT. Sortons des associations disciplinaires et des trajectoires de sélection d’hier, sinon tout sera à refaire demain. Innovons, par pitié, innovons !

Au-delà de la connaissance pure, en quoi les SVT sont-elles importantes dans la formation de nos futurs décideurs ?

On retourne ici aux différences entre matières scientifiques. Toutes utilisent la logique et l’approche expérimentale (ou de test), certes, mais dans leurs spécificités gisent leurs contributions respectives à former l’esprit. Un énoncé mathématique est vrai ou faux ; la vitesse d’une bille lâchée du haut de la tour Eiffel est modélisable et donc calculable lors de son impact au sol. Malheureusement, pour les objets complexes et multi-déterminés, comme ceux du vivant ou de la géologie, une valeur ou une certitude sont plus difficiles, voire impossibles à acquérir. La Thalidomide fut une bonne prescription au départ, mais plus ensuite ; dans mes études, les neurones ne repoussaient pas, tandis qu’on soigne maintenant en les aidant à repousser… En SVT, on quantifie, on expérimente pour valider, mais on apprend aussi à observer la diversité et la complexité ; de plus on conçoit une part de doute et d’humilité (sur des modèles climatiques ou des aspects médicaux, par exemple). Observation, doute et gestion de la complexité, bien que moulées dans une approche scientifique, forment très bien pour décider demain – même hors des SVT.

Je travaille avec des chefs d’entreprises des domaines cosmétiques ou bancaires qui introduisent des ingénieurs agronomes dans leurs équipes de direction pour cette souplesse ou ces types d’analyses. Les SVT préparent au complexe et, si elles n’ont pas l’exclusivité de la complexité, elles seules y opèrent avec des outils quantifiés et expérimentaux.

Trop souvent, nos décideurs restent ignorants des données des SVT et de l’existence de compétences ad hoc. Des politiques affirment que l’augmentation du CO2 troue la couche d’ozone ou que le chlordécone (un insecticide utilisé sur la banane aux Antilles, qui a intoxiqué les écosystèmes) n’est pas cancérigène ; d’autres doutent de la toxicité des fongicides ou de l’alcool… Cependant, les travaux scientifiques sont nombreux et anciens, payés de nos impôts ainsi rendus inutiles. C’est parfois pure stratégie politique, mais ce négationnisme quant à la science démontre une approche des faits et une priorité des réalités dangereuses pour le futur. On ne met pas en cause impunément un génocide ou une décision de justice. Une telle attitude face à la science fait le lit des fake news scientifiques dans la société.

Nos décideurs actuels ont trop peu reçu de SVT dans leurs formations et nous devons éviter cela demain. Car il s’ensuit un autre problème : l’environnement et la santé sont perçus par eux seulement comme des contraintes. Rien n’est plus faux : ces domaines offrent aussi des solutions pour des filières plus performantes dans l’économie de demain, plus compétitives face à des consommateurs plus exigeants. Ils peuvent revitaliser des développements locaux (pensez aux circuits courts !) et dessiner des processus moins coûteux, à long terme, en santé publique. Comble d’errance, on finit même par fâcher les citoyens avec les impératifs écologiques en n’y voyant qu’une source de taxes…

Notre société décide souvent en ignorant que les SVT nous soufflent aussi des solutions. Cette ignorance conduit par exemple à priver les plus jeunes, et notamment aux futurs décideurs, de SVT au lycée. Dès aujourd’hui, on omet la formation à la transition écologique. Demain, ce choix accentuera le divorce entre décisions et potentialités de la science.

Quelles perspectives pour la suite ? Quelle place faut-il accorder à la pluridisciplinarité au lycée ?

Il ne faut pas s’imaginer que je plaide ici pour une discipline seulement. Au contraire, à plusieurs reprises, j’ai mentionné interdisciplinarités et interfaçages disciplinaires – ce que doit permettre la réforme du lycée, si on en respecte l’esprit.

C’est un seul cerveau que construisent chacune de nos disciplines, et des résonnances entre les programmes et dans les équipes pédagogiques peuvent amplifier le message de chaque discipline. Par le passé, les programmes ont trop souvent ressemblé à des favelas : chacun construit son petit édicule sans l’intégrer dans une harmonie d’ensemble. Or, on peut imaginer des liens et des rappels entre les disciplines qui créent des résonnances, où les unes éclairent les autres et vice-versa, comme la Galerie des Glaces dont chaque partie illumine et amplifie l’autre.

Au passage, cela adoucit le problème du partage des heures entre disciplines. Examinons de telles complémentarités : répondre correctement à un exercice en SVT en déclinant successivement les faits, la conclusion, puis l’interprétation qu’on peut en tirer, c’est faire du Français : l’exercice peut faire l’aller-retour entre les deux disciplines ; examiner avec quelle probabilité des valeurs expérimentales diffèrent et construire un test statistique est aussi un savoir-faire mathématique. Inversement les exercices de Mathématique ou les activités de Français pourraient porter sur des thèmes issus des SVT ou encore des Sciences Sociales. Ainsi peut-on idéalement importer les objets et les questions d’une autre discipline. Une façon de ne pas attendre 15 ans de solfège (les outils de langue et de calcul) avant de toucher un instrument (les disciplines d’application) ! Cette image n’est pas anodine, quand le retour en force de l’enseignement des Mathématiques et du Français dans le premier cycle y bouscule les autres enseignements ! Pourquoi ne pas travailler l’expression ou le calcul au cours d’exercices portant sur des objets d’autres disciplines ? Oui, décrire une pomme et les fonctions de ses parties peut être un exercice de français.

Même si sur le terrain tout se passe souvent plus sainement, des signaux comme la disparition des TPE sans autre espace d’interaction entre disciplines n’aident pas et l’enseignement scientifique est trop court pour faire vivre cette interaction dans l’emploi du temps ou l’esprit de l’élève. L’émergence d’interdisciplinarités ne doit pas se noyer dans un combat pour les horaires : on doit l’accompagner plus. La Galerie des Glaces de l’enseignement reste à monter : ce n’est pas une favela, bien sûr !, mais il y manque encore (presque) tous les miroirs alors que la réforme en laissait les emplacements libres.

Entretien par Julien Cabioch

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