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Le colloque international sur  » Les conditions de réussite des réformes en éducation « , organisé par le CIEP (centre international d’études pédagogiques) à Sèvres, s’est achevé vendredi 14 juin. Durant deux jours, une soixantaine d’experts – chercheurs, praticiens et responsables, dont plusieurs anciens ministres – venus de près de trente pays, ont échangé autour des réformes menées chez eux, des difficultés à les mettre en place et des possibilités réelles de changer les choses. S’il n’y a pas de recette miracle, il est apparu que pour réussir des changements, il fallait s’appuyer sur toute une chaîne d’acteurs. Des réformes d’autant plus indispensables que face aux mutations, l’école doit absolument se transformer, devenir un lieu où l’on apprend à apprendre, à innover et à s’adapter, au risque sinon pour elle de perdre sa place centrale dans l’éducation.

« Une certitude : il n’y a pas de meilleure façon » de mener des réformes : Jean-Marie de Ketele, professeur émérite de l’université catholique de Louvain (Belgique), a eu la délicate mission de faire la synthèse des ateliers qui se sont déroulés la veille, où les participants ont étudié des cas et mené des comparaisons.

Pédagogue de réputation internationale, il a souligné « le rôle extrêmement fort joué par les contextes culturels différents ». Il a notamment distingué entre « la culture anglo-saxonne, plus pragmatique, empirique », qui privilégie l’autonomie des acteurs et la gestion communautaire au niveau local, et « la culture latine, plus hiérarchique et plus top down ».

« Il n’y a pas non plus de réforme unique », a ajouté Jean-Marie de Ketele. Les réformes interviennent en effet à des stades différents des systèmes éducatifs. Certaines tendent à généraliser l’accès à l’éducation. D’autres visent à améliorer la qualité des apprentissages. D’autres enfin veulent promouvoir un nouveau projet social et refonder tout le système.

Optimisme

L’universitaire a voulu donner un ton à ces deux jours de débat : « Faut-il être optimiste ou pessimiste ? » quant à la possibilité de réformer. Il a rappelé les nombreuses remarques désabusées entendues. Par exemple : « Plus ça change, rien ne change », « Il y a de la fatigue devant la multiplicité des réformes, devant les missions toujours plus nombreuses », « Avec l’avancée des neurosciences, l’éducation va devenir une banche de la médecine » ou encore « La bureaucratie empêche toute réforme »…

« Je prendrais toutefois le parti de l’optimisme », a déclaré Jean-Marie de Ketele. « Même l’absence de réformes produit des réactions sur une catégorie d’acteurs, il y a environ 12 % d’innovateurs partout ». Toute réforme produit « des effets à bas bruit », a-t-il ajouté, et sur le terrain, la solution de micro problèmes peut produire des macro réformes si l’État le soutient bien sûr ».

Dix leviers

Jean-Marie de Ketele en est venu au coeur du sujet : comment faire accepter les réformes, un sujet qui préoccupe aujourd’hui pratiquement tous les gouvernements, de l’Afrique à l’Asie en passant par l’Europe ? L’universitaire a cité dix leviers possibles.

D’abord, « il faut travailler avec les élèves, un acteur trop souvent oublié, à condition qu’ils soient accompagnés par des enseignants. » Il a cité l’exemple de la Corée du sud où l’on a expérimenté au lycée un semestre sans évaluation. « Ce qui est appris est le fait des élèves eux-mêmes et l’on a vu un bien-être apparaître » dans un pays où la pression scolaire et la course à l’excellence sont extrêmement fortes.

Pour mettre en œuvre des réformes, il faut ensuite « travailler avec les enseignants, et non pour eux, sans eux ou contre eux », a expliqué Jean-Marie de Ketele. Pour dépasser les tensions, il faut prévoir « des tiers médiateurs ».

Parmi les leviers, il a évoqué ensuite, dans l’ordre : travailler avec les parents et la société civile – notamment sur les questions autour du genre -, avec les chefs d’établissement et encore avec les communautés au niveau local. Il a ici cité la Catalogne qui a fait face à une arrivée massive de migrants : « On a vu l’importance d’instaurer une gouvernance participative en évitant le piège de l’enfermement . »

Autres acteurs qu’il faut impliquer pour réussir des réformes : les institutions de formation – souvent les dernières informées des résultats des recherches, a regretté le chercheur -, les institutions internationales qui vont de plus en plus sur le terrain recueillir des données et les évaluations internationales qui poussent les pays à améliorer leur système.

Taille des classes

Lors de la dernière table ronde, six chercheurs ont ensuite été invités à imaginer, en huit minutes, l’école de 2030.

Eric Charbonnier analyste à l’OCDE, a décrit « dans un monde en pleine mutation », une école où « au delà des connaissances, c’est leur utilisation et de plus en plus de compétences que les élèves devront maîtriser – ils devront être capable de réfléchir, de résoudre les problèmes, de distinguer le vrai du faux, il leur faudra avoir confiance en eux… ». Des pays sont déjà engagés dans cette direction, comme le Canada, ou Singapour, a-t-il précisé, alors que d’autres en restent à une vision centrée sur les disciplines.

Eric Charbonnier a aussi plaidé pour une continuité dans les réformes, pour un système qui cherche à faire réussir tous les enfants sans en laisser au bord de la route « car ce n’est pas une fatalité » et pour une formation de qualité des enseignants.

« Si vous réduisez la taille des classes, sans préparer les enseignants à utiliser des pédagogies innovantes, vous perdez les bénéfices de cette réduction », a-t-il ajouté, dans une allusion transparente à ce qui se passe en France. Mais dans l’atmosphère feutrée de cette conférence ouverte par le ministre Jean-Michel Blanquer, qualifié de « pair » et de « collègue » lors de la clôture, la remarque est restée sans suite…

Education de l’ombre

Mark Bray, professeur à l’université de Hong Kong et spécialiste de la « shadow education » – tous les dispositifs de soutien et d’accompagnement scolaire privé – nous a propulsés dans un monde futuriste où, en 2030, l’école classique serait durement concurrencée par cette « éducation de l’ombre ».

« En hausse depuis dix-vingt ans, la shadow education, dont la Corée est la championne, se développe un peu partout dans le monde et va continuer dans les prochaines années, a prédit le chercheur. En Chine déjà, des jeunes ne font plus que l’école de base pour acquérir les fondamentaux. Puis ils s’inscrivent dans des firmes d’éducation de l’ombre qui, selon eux, les préparent mieux à la compétition dans le supérieur et plus tard dans un monde globalisé. »

Abdel Rahmane Baba-Moussa, secrétaire général de la Confemen (conférence des ministre de l’éducation des pays de la francophonie), originaire du Bénin, imagine, lui, la cohabitation de deux systèmes : une éducation formelle avec les écoles classiques, et une autre informelle, où l’on apprend sur le tas, par l’apprentissage, avec des méthodes alternatives, avec des passerelles entre les deux.

« Il faut diversifier les parcours et arrêter d’emprisonner l’éducation dans la forme scolaire qui laisse beaucoup d’enfants sur les côtés. ».

Confiance coréenne

Ancien vice-ministre de l’éducation en Corée du sud, professeur à la Yeungnam University, Chaechun Gim, a évoqué les volontés de réformes actuelles. Le président a fixé deux objectifs : améliorer la gouvernance, « estimant que le ministère de l’éducation avait trop de droits », et innover davantage afin de rendre les élèves moins passifs.

Pour cela, Séoul a invité l’OCDE à venir étudier le système coréen avant de retenir les directions à prendre. « Nous avons des enseignants excellents, des financements stables, un potentiel de recherche important. Je suis optimiste : d’ici 10 ou 20 ans, cela aura changé en mieux », a conclu Chaechun Gim, montrant la grande confiance en eux des Coréens qui caracolent en tête des évaluations internationales.

Doyenne de l’inspection générale de l’éducation nationale, Caroline Pascal – seule femme parmi les 7 intervenants à la tribune… – a décrit une réforme apaisée, loin des « réformettes partisanes » et des « controverses stériles ». « Nôtre rôle est d’élever le débat éducatif », a-t-elle estimé avant d’appeler à « construire un système éducatif de qualité » qu’elle n’a toutefois pas pu définir.

« Du boulot nous attend » a conclu Jean-Marie de Ketele. Coiffant sa casquette de chercheur, il a alors cité trois « besoins fondamentaux » : « poursuivre des recherches évaluatives sur des objets difficiles à mesurer comme la qualité ou le bien-être », mener des recherches longitudinales, « plus coûteuses mais nécessaires car le temps de la réforme est long », enfin donner des marques de reconnaissance à tous les acteurs. « On n’améliorera pas le système si l’on n’accepte pas les enseignants tels qu’ils sont. Il faut leur envoyer des signes de reconnaissance. »

Véronique Soulé

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