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« Oui c’est la troisième édition, mais ne comptez pas sur des EGE 2020. Nous avons remis quarante préconisations au Ministre, elles sont restées lettre morte. Notre lutte prendra une nouvelle forme. Et comme on part de rien, on a plus rien à perdre… » Il y a de la détermination samedi 30 novembre pour la troisième édition des Etats généraux de l’Éducation (EGE). Après le Petit Bard en 2017, Créteil en 2018, c’est Stains (93) qui accueille les Etats généraux. A la tribune, des femmes qui égrènent les conditions de scolarisation de leurs enfants. Avec une revendication : le droit pour leurs enfants des quartiers populaires d’accéder à une instruction digne. Leur ton, loin d’être victimiste, montre une détermination sans faille. Elles ne demandent pas la charité, elles exigent que les valeurs de la République, qui trônent fièrement sur tous les frontons des édifices publics, soient respectées sur l’ensemble du territoire. Un vrai défi…

Ce ne sont pas nos enfants qui ne sont pas adaptés, c’est l’école qui ne l’est pas

Magda, Hind, Kaoutar, Zohra, Yasmina… , toutes des femmes, toutes des mères, qui lorsqu’on leur demande pourquoi cette tribune est entièrement féminine, expliquent que depuis des années ce sont elles qui sont sur le terrain, mais que bien souvent elles ont été invisibilisées. Toutes ont pour point commun de vivre dans les quartiers populaires, ces quartiers périphériques de grandes villes qui semblent évoluer dans un monde parallèle tant les difficultés s’amoncellent. Elles parlent de sécurité, de drogue, de locaux insalubres – Kaoutar Ben Mohamed cite Marseille où les rats cohabitent avec les élèves dans les écoles – mais aussi d’une qualité d’enseignement moindre. On se dit que non, l’école, service régalien de la République est la même partout, que ce sont juste les élèves de ces quartiers qui sont plus difficiles, pas adaptés. Ce à quoi rétorque Kaoutar, du collectif marseillais, « C’est l’école qui n’est pas adaptée ».

On les force à prendre en considération le quotidien de nos enfants

Alors elles reconnaissent qu’elles ont longtemps laissé la place vide dans les différentes instances en lien avec la scolarité de leurs enfants. Mais aujourd’hui elles prennent conscience de ce qui s’y joue et décident de réinvestir ces espaces institutionnels. Mais elles le font à leur façon, en s’organisant collectivement. Comme l’association Izard qui est devenue un partenaire incontournable dans le quartier toulousain auquel elle doit son nom. « Avant que nos enfants arrivent au collège, on croit qu’ils ont les mêmes droits que les autres, mais on se rend bien vite compte que non. Alors on a commencé à travailler avec la ville et l’éducation nationale sur le décrochage scolaire. On les force à prendre en considération le quotidien de nos enfants, qui dorment mal à cause des squats dans les immeubles, des deals qui se jouent sous leur fenêtre, des descentes de police dans le quartier qui les réveillent en pleine nuit. Quand ils arrivent à l’école, ils sont crevés » explique Yasmina Issad qui fait partie de la délégation toulousaine.

Ces femmes reconnaissent sans mal que si elles le pouvaient, elles seraient les premières à fuir ces quartiers, mais « ce serait de toute façon pour se retrouver dans un autre quartier du même type… ».

A Montpellier, le collectif du Petit Bard estime qu’il fait avancer les choses. « On démontre notre expertise et on est force de proposition. Par exemple, on a mis en place une banque de stages pour accompagner les troisièmes dans leur recherche puisque jusqu’à présent nos enfants étaient cantonnés à des stages à la boulangerie ». Et ça marche, elles sont aujourd’hui un interlocuteur privilégié des parents mais aussi des profs principaux qui n’hésitent pas à les solliciter. Mais cela ne s’arrête pas à faire fonctionner les réseaux, elles outillent les élèves pour cette première expérience en entreprise, elles les aident à re-construire leur estime de soi, mise à mal au quotidien. Et des exemples comme celui-ci, elles en ont pléthore.

On est les oubliés de la République

Hind, du collectif organisateur, explique l’émergence du mouvement stanois. « Nous avons assisté aux EGE de Créteil, et ca a été révélateur pour nous. Nos problèmes sont sociaux, économiques et cela influe sur la scolarité de nos enfants. On est les oubliés de la République. Pourtant nous ne sommes pas des citoyens de seconde zone, nous ne quémandons rien, nous exigeons juste l’équité ».

Ces constats, ces revendications, c’est sous la forme d’une pièce de théâtre, L’éducation : flagrant délit d’inégalité, qu’elles ont elles-mêmes rédigés qu’elles les affichent. « Nous habitants des quartiers populaires, parents d’enfants en détresse, traités inégalitairement sur le territoire de la République, accusons l’état et le ministère de l’éducation nationale de non-assistance à nos enfants en danger. Nous nous adressons à l’assemblée citoyenne ici présente pour lui demander de recevoir nos griefs, nous entendre témoigner de la rupture d’égalité et du désengagement de l’état auxquels nous sommes quotidiennement confrontés, et faire en sorte que justice nous soit rendue ». Une pièce ovationnée par le public, nombreux, qui se termine par la magnifique chanson de circonstance Résiste de France Gall.

Une table ronde mêlant chercheurs et collectifs

Laurence De Cock qui était invitée à une table ronde sur la légitimité des parents, avec Choukri Ben Ayed, évoque la relation école-famille en la définissant comme une sorte de « rapport schizophrène qui encourage la relation et qui tient dans le même temps un discours paternaliste, infantilisant sur les parents de milieux populaires : de toute façon, ils ne savent pas lire, ils sont démissionnaires. Un discours qui vise à les délégitimer. Et puis, de plus en plus, vous politisez la question, vous dénoncez cette maltraitance institutionnelle à l’égard de vos enfants. Et cela, cela les dérange ». Choukri Ben Ayed abonde en évoquant, quant à lui, le rapport ambigu entre les chercheurs et les parents. « Souvent, les chercheurs ont une vue surplombante des choses, ils estiment mieux savoir que vous, premiers concernés. Moi, j’ai beaucoup appris de vous et cela m’a obligé à me repositionner. Vous avez beaucoup de choses à dire, une expertise que l’on doit prendre en compte. Il faut que l’on arrête de vous trouver des porte-paroles. Si on tente autant de vous brider, c’est parce que vous inquiétez ».

Et, clairement, les collectifs des états généraux de l’éducation ont pris la décision d’accaparer le micro au niveau national. « Dans nos quartiers, le droit d’accéder à une instruction digne n’est pas respecté, le droit à la sécurité n’est pas respecté. La loi n’est pas appliquée. L’égalité des chances est un droit et non une faveur. Il y a des échéances politiques dans les mois, et les années, qui viennent. On va investir les lieux, être plus visibles et surtout on va demander des comptes à nos élus. Et selon leurs réponses, nous nous organiserons ».

Lilia Ben Hamouda

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