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Entre jeudi soir et ce weekend, les enseignants ont reçu une multitude de consignes contradictoires : école fermée aux élèves mais présence obligatoire, une moitié des enseignants présents, continuité des réunions et différents conseils de classes, présence sur la base du volontariat ou injonctions… Bref, une situation qui ne rassure pas les professeurs, qui par ailleurs comme tous les français, commencent à saisir l’ampleur de la crise que rencontre le pays, mais aussi le monde. Sur les réseaux, les collectifs de professionnels d’interrogent, échangent les infos mais aussi les ressources car quoique l’on se dise, les profs sont tous inquiets pour leurs élèves… Certains ont accepté de témoigner.

Une ambiance assez spéciale dans la salle des maîtres

Soline est professeure des écoles à Montreuil (93). Comme tout le monde, c’est en écoutant l’allocution présidentielle qu’elle apprend la nouvelle. « Vendredi, c’était une ambiance assez spéciale dans la salle des maîtres. On ne savait pas trop ce qui allait se passer, s’il fallait accueillir les enfants. C’était le flou total et ça l’est encore… » Toute la journée de vendredi, l’équipe de cette petite école maternelle s’est organisée. Il s’agissait de trouver des ressources numériques, de préparer des photocopies, de récolter toutes les adresses mail des parents mais aussi de savoir quels enseignants seraient volontaires pour accueillir les enfants des soignants. « Vendredi soir, l’info c’était qu’il fallait que tout le monde soit présent lundi. Depuis j’attends la mise à jour ». Certains de ses collègues ont des blogs, d’autres pas. Soline est perdue, « moi je n’ai pas mis de blog en place pour mes PS/MS, donc je ne sais pas comment je vais maintenir le lien ». Pas facile dans ces conditions de rassurer les parents inquiets vendredi soir… « J’ai eu du mal à leur expliquer qu’on était aussi démunis qu’eux, que nous avions comme eux découvert l’annonce jeudi soir… » Concernant les enfants de soignants, Soline sera volontaire même si elle attend plus d’infos sur les conditions de cet accueil.

« Ce sont six ou sept parents qui pourront assurer le suivi de leurs enfants »

Marianne est enseignante à Stains (93). Vendredi, l’inspecteur de circonscription a organisé une vidéoconférence pour présenter à chacun les différents outils numériques existants, ceux du CNED mais aussi d’autres. « Il nous a rappelé que si nous avions déjà des supports, il fallait rester dessus. Nous on a Klassroom, donc on va privilégier ce mode de communication. On va aussi créer une classe virtuelle afin de pouvoir renforcer ce lien par des activités au quotidien ». Son inquiétude première ? Les élèves éloignés de l’école. « On est en REP+, ce sera les parents qu’on voit tous les jours, qui sont très disponibles, très proches de l’école qui suivront leurs enfants. C’est une minorité, six ou sept dans notre classe de vingt-cinq. Pour les autres, je ne sais pas quoi faire… » Marianne sait aussi que beaucoup d’enfants n’ont ni ordinateurs, ni tablettes. « Les smartphones ne sont pas vraiment adaptés à un suivi scolaire ». Malgré toute sa bonne volonté, Marianne ne sait vraiment pas comment vont s’organiser les jours prochains. Pour se rendre sur son lieu de travail, elle prend les transports en commun : une heure trente de trajet. Pourtant, elle sera à l’école lundi, même si ce n’est pas obligatoire, pour soutenir le directeur et être présente si besoin. Mais qu’en sera-t-il des jours suivants… C’est l’inconnu pour elle, comme pour son directeur et sa hiérarchie.

Le suivi pédagogique, ce n’est pas le plus important dans les jours qui viennent

Mohamed est professeur de mathématiques en collège à Sarcelles (95). Du côté institutionnel, il a fallu attendre vendredi après-midi pour recevoir un mail de la direction. « On nous disait qu’il y avait une réunion obligatoire mardi et que tous les conseils de classe étaient maintenus ». Infos démenties depuis… Du côté de sa relation aux élèves, « je ne vais pas aborder de nouvelles notions, ce n’est pas évident surtout qu’on n’a pas l’habitude de travailler comme ça ». Dans cet établissement où il existe déjà un ENT, Mohamed a d’ores et déjà décidé que c’est par ce biais qu’il communiquera avec eux. « Mais bon, tout ça va renforcer les inégalités. Mes élèves ne vont pas pouvoir être aidés dans leur quotidien, certains ne sont pas équipés. Et puis ils n’ont pas tous les bagages. Certains devront s’occuper aussi de leurs petits frères et sœurs ». Mais pour cet enseignant, la continuité pédagogique, ce n’est pas ce qui occupera les esprits dans les prochains jours « Ce qui se passe est très grave, l’école, ce sera le dernier souci des parents je pense… Alors j’essaierai de garder le lien en leur demandant de continuer de réviser, en leur donnant un programme mais j’ai l’impression que ce qui se joue est dramatique, donc… Si on rate deux ou trois semaines ce n’est pas le plus grave. Surtout que chez nous, ce ne sera pas la première fois… avec le manque de remplacement, les élèves cumulent souvent plus de jours sans cours… »

Une direction complètement dépassée

Dans le collège de Julie, professeur de français dans le dix-neuvième arrondissement parisien, l’ambiance avec la direction était déjà assez conflictuelle. « On avait organisé une assemblée générale pour demander à la direction d’annuler la journée portes ouvertes samedi, et déjà ce n’était pas gagné… Après l’annonce du président, on s’attendait à ce que la direction organise une réunion, nous réunisse ou communique… Rien. Il a fallu que l’on demande à les rencontrer ». Lorsqu’enfin il a été possible de discuter avec la proviseure – car il s’agit d’une cité scolaire – c’était juste pour donner des informations sur l’organisation de la « continuité pédagogique ». Depuis, comme partout, les messages contradictoires se succèdent. Dimanche à 12h30, Julie reçoit un mail qui lui annonce que les conseils de classe sont maintenus, alors que le ministre et le premier ministre semblaient tenir un discours différent. « Ce n’est pas rassurant, ordre et contre ordre alternent. C’est assez effarant de se rendre compte que personne ne sait ce qu’il s’agit de faire ». Les enseignants ont donc décidé de répondre collectivement qu’ils ne se rendront pas dans l’établissement, pour les conseils de classe mais aussi pour le reste… « Beaucoup d’entre nous prennent les transports, d’autres ont des enfants, même si la direction dit en avoir conscience, on nous demande de maintenir tout de même les réunions. Mais pourquoi ? Aujourd’hui, on a les moyens d’organiser tout cela à distance… » Pour l’accueil des enfants du personnel soignant, idem… Personne ne sait combien d’enfants sont concernés, donc ce sera la grande surprise. Julie dénonce aussi le manque d’anticipation. « On aurait pu au moins essayer de savoir qui est équipé et qui ne l’est pas. On a du matériel au collège, on aurait pu prêter des ordinateurs aux élèves par exemple… Là, on va pouvoir joindre les élèves, mais pas grand-chose de plus ». Une question qui tient à cœur à cette enseignante dont une grande partie des élèves est de classe populaire.

Les annonces de Blanquer nous ont empêchés de nous préparer

Pour Rachid, beaucoup le connaissent sous le pseudo Rachid l’instit sur Twitter, ses élèves de SEGPA à Marseille vont être en grande difficulté… Sa crainte principale ? « Que j’y arrive pas. Tout ça c’est très soudain. On n’était pas préparés. Même si on avait des doutes, le fait que le ministre martèle que ça n’arrivera pas nous a empêché de nous préparer et de préparer nos élèves. Si j’avais su que c’était de l’ordre du possible, j’aurais pu les initier à certains outils tels que Discord ou leur donner des plans de travail que l’on aurait répété toute la semaine, mais là, je n’ai eu que vendredi ». Même l’ENT, une partie de ses élèves ne savent pas trop l’utiliser. « Vendredi je les ai laissés, en les rassurant, en leur assurant que je continuerai à les suivre. Mais je ne savais même pas quel moyen utiliser… ». Rachid pose aussi la question des élèves qui vivent en foyer et les autres. « On ne parle pas des élèves qui n’ont pas de parents derrière eux, ceux qui sont livrés à eux-mêmes et qui seront tentés de faire des bêtises. Qu’est-ce qu’on organise pour eux ? » Il pose aussi la question de l’équipement et des compétences nécessaires à cet usage, « un smartphone, ce n’est pas adapté pour travailler. Et puis, je ne leur ai pas appris à rédiger des mails ou à m’envoyer des documents Word. Seule une minorité de mes élèves pourra suivre mes consignes ». Au niveau de l’établissement, l’équipe pédagogique se réunira lundi pour discuter de la permanence pédagogique pour les élèves de soignants. « On est obligés d’y être, le chef d’établissement nous a expliqué que l’on était mobilisables et que cela faisait partie de notre devoir de fonctionnaire » Un mail reçu dimanche midi, une information qui diffère de celle du ministre… La veille, un mail du recteur demandait aux enseignants d’être présents tous les jours dans l’établissement. Alors Rachid relativise, « ce que nous traversons est si grave qui le suivi pédagogique me semble secondaire… »

A l’heure où cet article est écrit, les enseignants, sauf les volontaires devront être présents dans leur école demain. Les chefs d’établissements mais aussi les directeurs et directrices semblent aussi soumis à cette obligation – même si là encore rien n’est clair… Qu’en sera-t-il lors de la publication… nul ne le sait et sûrement pas le ministre de l’éducation nationale…

Lilia Ben Hamouda