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Seulement 7 à 8% des collégiens devraient retourner en classe le 18 mai. Un pourcentage inférieur à celui des écoliers le 11 mai. Cela montre l’importance des difficultés que rencontre l’Education nationale pour la réouverture des classes. Mais cela illustre aussi l’écart entre les propos très optimistes du ministre et la réalité du terrain. L’enseignement à distance reste le mode très majoritaire de scolarisation. L’intérêt pédagogique de la réouverture dans ces conditions est contesté.

7 à 8% ou 15% des collégiens ?

Après deux mois d’interruption, 150 000 collégiens de 6ème et 5ème retournent en classe le 18 mai, selon les propos de JM Blanquer sur TF1 le 15 mai. Ils seront accueillis dans « 85% des collèges » soit 4000 collèges selon le ministre. Ces chiffres peuvent paraitre élevés mais une simple division indique seulement une quarantaine d’élèves par collège, ce qui est très peu.

La réouverture des collèges ne concerne que les régions déclarées « vertes ». Dans les régions « rouges » (Hauts de France, Ile de France, Grand Est, Bourgogne Franche Comté) les établissements ne rouvrent pas et on ne saura qu’à la fin mai si une réouverture sera possible en juin.

Environ 40% des collégiens sont en zone rouge. Sur les près de deux millions de collégiens de la zone verte, le ministre a retenu les 990 000 élèves de 6ème et 5ème pour revenir le 18 mai. Seulement 150 000 devraient le faire, soit près de 15% des 6èmes et 5èmes ou 7 à 8% des collégiens concernés.

Des pressions pour augmenter le nombre d’élèves

Pour JM BLanquer « c’est une amorce ». Le ministre donne à entendre que le nombre d’élèves pourrait augmenter avec par exemple la scolarisation d’une partie des 4èmes et 3èmes en juin. « C’est mon voeu le plus cher » dit-il sur TF1.

Ce voeu a peu de chances d’être exaucé. Pourtant l’administration de l’Education nationale a multiplié les pressions en ce sens. Elles étaient dénoncées par le SNPDEN, principal syndicat de personnels de direction dès le 6 mai. « Pour le retour des premiers élèves à compter du 18 mai, les perdir des collèges veulent eux aussi du temps et de la souplesse pour bien faire et pas des pressions de certains échelons académiques pour faire du chiffre. La qualité en sécurité doit primer sur le quantitatif », écrivait P Vincent sur son fil Twitter. Mais les chefs d’établissement se heurtent à des contraintes matérielles pour la reprise.

Des contraintes pour els établissements

Ils sont d’abord contraints par un protocole sanitaire jugé « impossible » par le Snpden qui fixe des règles très strictes. En fait la reprise des établissements dépend directement du nombre de personnels de nettoyage que le département peut mettre à disposition de l’établissement. Chaque local scolaire utilisé par les élèves doit faire l’objet d’un nettoyage biologique qui nécessite davantage de main d’oeuvre alors que les départements affectent moins de personnel que d’habitude. En effet, une partie des agents doit rester chez soi.

Pour le chef d’établissement, le nombre de groupes d’élèves dépend du nombre de salles nettoyables. Ce nombre a peu de chances d’évoluer d’ici la fin de l’année. Par conséquent, si des 4èmes et 3ème reviennent au collège ce serait aux dépens des 6èmes et 5èmes. Le nombre d’élèves par groupe, qui ne dépassera jamais 15, dépend de la taille des salles retenues pour accueillir des élèves. Dans la pratique il oscille entre 5 et 15 élèves.

Une autre contrainte forte des établissements est le transport scolaire. Là aussi le nombre d’élèves par autocar est limité et il n’est gère possible de multiplier les rotations (qui sont souvent longues).

Les chefs d’établissement doivent aussi faire avec les instructions concernant le personnel éducation nationale. Les enseignants fragiles ou vivant avec une personne fragile sont autorisés à continuer l’enseignement à distance. Les enseignants qui dont des 4èmes et des 3èmes doivent continuer eux aussi l’enseignement à distance. Le chef d’établissement ne peut donc compter que sur une partie du personnel enseignant. Plusieurs syndicats mettent la pression pour un respect strict des règles sanitaires et il est possible que des enseignants exercent leur droit de retrait dès le 18 mai.

Quel intérêt pédagogique ?

Certains points de la reprise n’ont pas été clarifiés par le ministère. Il en est ainsi de l’articulation entre enseignement en présentiel et en distanciel. Le ministre a dit que les enseignants exerçant en présentiel ne devraient pas faire de distanciel. Mais cette déclaration théorique se heurte à la complexité des cas concrets et à la volonté de nombreux enseignants de ne pas laisser tomber leurs élèves qui ne peuvent pas venir au collège. Ailleurs la réouverture s’accompagne de l’arrêt total de l’enseignement à distance.

L’intérêt pédagogique de la réouverture n’est pas évidente pour une partie des enseignants. D’abord parce que globalement l’enseignement à distance s’est installé. On en connait les limites : décrochage d’une partie non négligeable des élèves, augmentation des inégalités. Mais dans certains établissements , les élèves sont au rendez-vous et le programme sera bouclé. Ailleurs c’est très différent et un très fort pourcentage des élèves est perdu. L’annonce que le brevet sera donné au controle continu et que les notes du 3ème trimestre ne compteront pas n’a pas arrangé les choses.

La crise sanitaire a totalement émietté l’Education nationale. La reprise très partielle ne remédie pas à cet émiettement mais l’augmente puisque , parmi les élèves qui ne sont pas perdus de vue par l’éducation nationale , il y aura maintenant ceux qui ont pu bénéficier de l’attention et des encouragements du professeur et des échanges avec leurs camarades et ceux qui sont toujours seuls face au travail scolaire. Comment réussir à regrouper pédagogiquement la classe ?

Pour les enseignants, le retour en classe oblige à penser une nouvelle pédagogie. « Toute la pédagogie qu’on a mis en place (avant le confinement NDLR), il va falloir l’oublier », nous a dit par exemple A Le Thiec, professeure d’histoire géographie. Le protocole sanitaire, outre son aspect impressionnant pour des élèves aussi jeunes, rend très difficile le travail coopératif entre élèves. Les interactions avec le professeur sont distanciées et orales. La pente penche fortement pour un retour au cours magistral ou au cours dialogué, situation que de nombreux enseignants des collèges ne souhaitent pas.

Courir après le temps

Enfin la situation pédagogique des collèges est différentes du premier degré. Dans les écoles les enfants qui reviennent en classe peuvent compter sur un nombre assez important de journées de classe. Sur combien d’heures de français, d’anglais ou d’histoire-géographie peut compter un collégien d ‘ici la fin de l’année ? Dans nombre de collèges on va pratiquer une alternance par semaine ou demi semaine entre les groupes d’élèves. Cela laisse très peu d’heures pour chaque élève dans chaque disciplines. Comment donner du sens à ce temps fragmenté et doublement haché par le maintien de l’enseignement à distance ?

Toutes ces questions auraient du être pensées et recevoir des réponses. Mais le ministère continue à courir après le temps. Très occupé à sa communication on a l’impression qu’il est totalement dépassé par les problèmes posés par la crise sanitaire. La multiplication des directives pédagogiques hors sol alors qu’il faudrait penser la cohérence de l’action pédagogique ajoute à ce sentiment.

Cette réouverture des collèges est bien totalement inédite. Elle se fait sous pression de nombreuses contraintes. Les propos très optimistes du ministre ne vont pas les faire disparaitre.

François Jarraud