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Alors qu’Emmanuel Macron annonçait un « retour normal » en classe de tous les élèves, les propos de JM Blanquer et le décret publié dès le lendemain de l’allocution présidentielle ne vont pas dans le sens de l’apaisement. Les inquiétudes des enseignants n’ont pas été levées par le Ministre de l’éducation nationale. Le décret ordonne « dans les écoles élémentaires et les collèges, l’observation d’une distanciation physique d’au moins un mètre s’applique uniquement dans les salles de classe et tous les espaces clos, entre l’enseignant et les élèves ainsi qu’entre chaque élève lorsqu’ils sont côte à côte ou qu’ils se font face. L’accueil est assuré par groupes qui ne peuvent pas se mélanger ». Il n’apporte pas plus d’éclairage. Cela signifie t-il la fin du protocole sanitaire ? Car difficile de tenir une classe entière, entre 25 et 30 élèves, dans une salle qui mesure au mieux 50m2… Un casse-tête auquel sont confrontés les enseignants de l’école Anatole France d’Antony (92), Marie*, directrice d’une RPI en Bretagne ainsi qu’Helena*, professeure des écoles dans une école maternelle parisienne.

« Il n’y a pas de décrocheurs mais il y a des enseignants au bord de la rupture, au bord du burn out… »

« En un mot, nous sommes désabusés » expliquent Aline Becker et Cécile Cluchier, directrice et enseignante de l’école maternelle Anatole France d’Antony (92). « Nous sommes dans le flou, encore une fois ». Alors que JM Blanquer expliquait à la radio qu’il y aurait de nouvelles annonces avant mercredi concernant les nouvelles conditions d’accueil des élèves, le téléphone d’Aline ne cesse de sonner. « Depuis ce matin les parents nous téléphonent pour savoir comment va s’organiser le retour de leur enfant. Et moi, directrice de l’école, en charge de mettre en œuvre cet accueil, je leur réponds que je ne sais pas et cela ne les rassure pas ». Depuis le 18 mai, 57% des élèves de l’école sont accueillis en présentiel à mi-temps par tous les enseignants qui assurent leurs cours en présentiel mais aussi en distanciel. « Quand on a une classe, on ne lâche pas un quart de ses élèves. On entend que les profs ne travaillent pas, qu’ils sont fainéants alors qu’on assure un double service. Aujourd’hui, je peux vous dire que non, il n’y a pas de décrocheurs mais il y a des enseignants au bord de la rupture, au bord du burn out… ». En ce qui concerne la distanciation, « en maternelle, c’est un mythe alors que l’on a seulement dix élèves et que l’on a pu individualiser le matériel. Mais comment faire avec une classe complète ?». Alors qu’un troisième réaménagement de l’école en un mois se profile, Aline, Cécile et leurs collègues sont donc dans l’attente d’un éclairage de leur hiérarchie. Peut-être viendra-t-il de BFM…

« Macron a menti ! »

Marie qui est directrice d’une école RPI en Bretagne nous avait déjà fait part de son ressenti lors de la réouverture des écoles le 11 mai dernier. Elle était partagée entre bonheur de reprendre le chemin de l’école et colère contre le ministre qui assurait que les salles de classe pouvaient accueillir 15 élèves. Elle nous avait démontré, croquis à l’appui, qu’il était impossible de recevoir plus de huit élèves en même temps. C’est donc en présentiel et en distanciel, qu’elle et sa collègue ont assuré leur service. Alors quand elle a entendu le président parler de retour normal à l’école, c’est un soupir de soulagement qu’elle a lâché… Parce que pour Marie, il est impensable de finir l’année comme ça. « Je veux revoir mes élèves, qu’on se retrouve même si ce n’est que pour quinze jours, cela en vaut la peine, c’est mieux que rien», dit-elle. «Cela permet de clore l’année d’une plus jolie façon ».

Pourtant lundi matin, c’est de la colère que Marie ressentait. « Macron nous a menti, il a menti à toute la France en assurant que l’école allait reprendre normalement. Comment accueillir mes trente élèves en assurant un mètre de distance entre eux ? C’est tout bonnement impossible. Donc ce décret et les propos de Blanquer, c’est un vrai coup de massue ». Les annonces du Ministre, c’est dans la cour de récréation en écoutant la radio lors de l’accueil des élèves qu’elle les découvrent. « Lui a été plus subtil, il a dit que tous les élèves reprendraient mais jamais que ce serait à temps complet… Mais pour les parents et pour tous les citoyens l’ayant entendu et ayant entendu le Président la veille, l’école reprend pour tout le monde et à temps complet ». Une position qui la met, tout comme Aline et tous les directeurs et directrices, dans une position très délicate. « On va encore penser que ce sont les fainéants de profs qui ne veulent pas travailler… Je commence vraiment à penser que le prof bashing de ces derniers jours prend ses sources au Ministère… Tout cela est malhonnête, je suis déçue de ne pas revoir mes élèves d’un coup mais aussi inquiète de la réaction des familles qui vont penser que c’est moi qui en fait trop… »

« Il faudrait des jours de pré-rentrée pour tout organiser encore »

« Je suis très très en colère » explique Helena, enseignante d’une classe multi-âge dans une école maternelle parisienne. Cette enseignante n’a pratiquement jamais arrêté de se rendre à l’école, confinement ou pas : accueil des enfants de soignants puis d’une partie des élèves. Sur sept enseignantes, deux seulement n’ont pas repris et cela se justifie par des fragilités au niveau de leur santé. Le 18 mai, elles accueillaient une trentaine d’élèves, le 2 juin, c’était un élève en plus par groupe. « C’était tout une organisation : aménagement des salles de classe, individualisation du matériel parce qu’en maternelle tous les feutres, la peinture sont en commun ». Présentes trois jours et demi par semaine, elles assuraient l’enseignement à distance sur la journée et demie restante, « mais un peu tous les jours aussi… » Une organisation qu’elles ont eu du mal à mettre en place et qu’elles doivent revoir dès lundi prochain. « Il faudrait des jours de pré-rentrée pour tout organiser encore. C’est fatiguant, on n’en peut plus. Les repères changent tous les jours, pour nous c’est dur alors pour les enfants ! Nous sommes dans un état de stress, d’épuisement, on est au bord du craquage… On a souffert et on souffre encore, il y a là une vraie maltraitance institutionnelle »

Toutes estiment qu’un retour à l’école de tous les enfants est positif, qu’il leur fera du bien, qu’il fera des biens aux élèves mais aussi aux parents mais cela doit se faire dans des conditions normales, comme l’a si bien dit le président. Un président auquel Héléna reproche de ne pas avoir eu un mot pour les enseignants qui sont victimes de vindicte sur la place publique depuis plusieurs jours. « Il a eu un mot pour la police, mais rien pour nous ». Elles attendent, comme beaucoup d’autres enseignants, un discours clair et pas dimanche soir pour lundi. « On attend de la clarté, de recevoir des circulaires par voie hiérarchique » comme l’explique Aline.

Lilia Ben Hamouda

Marie et Helena sont des pseudonymes