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 » Le Ministre pense-t-il vraiment que nous allons tous avoir comme priorité de lire et travailler plus de 200 pages de théorie grammaticale, même si leur but est la simplification du travail en classe ? » Professeur à l’Inspe de Lorraine, Jean-Paul Vaubourg souligne l’inadaptation de la publication de la nouvelle grammaire ministérielle et des nouveaux programmes. Envoyée sur les professeurs par en haut, non accompagnée, elle a peu de chances d’atterrir…

Une grammaire comme les autres ?

En juillet, le Ministère a fait paraitre le document « Grammaire du français. Terminologie grammaticale ». Très attendu, il a pour but d’unifier et clarifier la nomenclature grammaticale à utiliser à l’école et au collège. Ce n’était pas du luxe parce que les manuels, les pratiques des enseignants et les textes officiels étaient en discordance sur de nombreux points, par exemple sur les oppositions complément de phrase/ complément de verbe et complément circonstanciel/complément essentiel.

Dans un article du 24 juillet, Pierre Sève fait une analyse très précise de ce document ministériel. Cette lecture détaillée lui permet de pointer ce qu’il nomme « zones obscures », « partis qui ne sont pas discutés », « manques regrettables », « authentiques erreurs » et « cuistrerie ». Finalement, son analyse nous montre simplement que cet ouvrage est une grammaire, qui est inscrite dans une époque, qui a paru à un moment précis et qui de ce fait s’insère dans une liste d’autres grammaires. Un ouvrage de grammaire est une compilation de notions, une superposition d’explications et de justifications. Celui du Ministère a fait l’objet de réflexions nombreuses pour conduire les auteurs à des choix ; de ce fait, il n’échappe au « risque d’éclectisme » que signale par ailleurs Jean-Christophe Pellat, l’auteur de la Grammaire méthodique du français. Une fois de plus, il est montré qu’écrire une grammaire prétendument claire est un travail périlleux. Les auteurs du document ministériel, pour être clairs et exhaustifs, ont écrit plus de 200 pages, mais était-il vraiment possible d’être à la fois précis, clair, pratique et complet ?

Pierre Sève conclut son analyse en donnant deux exemples d’« avancées profitables » qu’il reconnait à ce document : « reconnaissance des relatives substantives dont l’antécédent est un ce ou un celui ; présentation claire des semi-auxiliaires (aller, venir de, commencer à, finir de…+ infinitif) ». De bien maigres avancées, sur des notions bien spécifiques et pointues, sur des détails scolairement inutiles au moins pour la première notion, cela fait peu pour un ouvrage qui prétend servir à unifier l’enseignement de la langue à l’école et au collège. Est-ce vraiment une « avancée profitable » en ce cas ? Quel intérêt à pointer de tels détails ? Je crois que là n’est pas le problème de cette parution finalement.

Accepter le complexe

La correction récente de la session 2020 de l’écrit du CRPE a montré qu’utiliser une théorie de la langue pour traiter des questions liées à l’école était redoutablement complexe : dans une question de connaissance de la langue de cette session du concours de professeur d’enseignants pour le groupement 1 (académies de Amiens, Caen, Clermont-Ferrand, Créteil, Grenoble, Lille, Lyon, Montpellier, Nancy-Metz, Paris, Poitiers, Reims, Rennes, Rouen, Versailles) , il était demandé aux candidats d’analyser le mot « du » dans la phrase de La Fontaine « « Si quelque chat faisait du bruit, / Le chat prenait l’argent. » Si l’on suit la grammaire méthodique du français, « du » n’est pas un article partitif, mais si l’on suit le Grevisse de l’enseignant il s’agit bien d’un article partitif, qui « résulte de l’amalgame de la préposition de (qui abandonne sa valeur ordinaire) avec l’article défini le, la, l’, les ». Aucune de ces deux références n’est mauvaise ou ne peut être considérée comme non pertinente.

Chaque année, la correction de cette deuxième partie du CRPE est un bon exemple du problème évoqué ici : exercice de langue, à destination de futurs professeurs des écoles, il cherche à vérifier les connaissances de base des candidats, selon l’idée que pour savoir s’il faut ou non enseigner ou non telle ou telle notion et pour choisir la façon de l’enseigner si le programme le demande il faut maitriser suffisamment la notion en question. Mais la construction du barème de correction de cette partie du concours d’une part et la correction des copies elles-mêmes d’autre part suscitent toujours des discussions, des échanges, des doutes, voire des querelles chez les correcteurs : tout ceci n’est pas toujours provoqué par les erreurs, maladresses ou approximations des candidats mais bien aussi par l’impossibilité de traiter une réponse de langue de façon claire avec un barème simple et précis.

Que veut dire changer les pratiques ?

Le problème posé par la parution de ce document ministériel récent, et, redisons-le, si attendu et maintes fois annoncé, n’est cependant pas fondamentalement la faible proportion entre des « avancées profitables » et des « zones obscures « ; encore une fois, il s’agit d’une grammaire et il est normal qu’il en ait les limites.

Le problème est double, comme souvent depuis quelques années, avec ces parutions :

– le document parait en plein été, comment peut-il alors intéresser les enseignants ? D’ailleurs quelle n’a pas été notre surprise de voir paraitre aussi, le 31 juillet (on ne peut pas être au plus près du cœur de l’été !) une nouvelle version des programmes des 4 cycles, de la maternelle à la fin du collège. Quand on a le courage de les comparer à la version précédente, qui a paru en 2018, on s’aperçoit que la base du document est la même. On ne sait pas s’il faut s’en réjouir, car il faut alors traquer les modifications, les différences, les ajouts, pour chercher à comprendre la nécessité de cette parution. Pourquoi le Ministère n’a-t-il pas indiqué les changements, en en expliquant les justifications ; pourquoi, même, n’a-t-il pas indiqué en couleur les modifications ? Les signaler ainsi aurait bien aidé tous ceux, enseignants, IEN, CPC, professeurs d’INSPÉ, qui pour avoir beaucoup travaillé depuis 3 ans sur la version précédente, commençaient à bien la connaitre.

– le document grammatical lui-même parait sans qu’aucun accompagnement ne semble prévu pour ce texte bien sûr censé être appliqué et utilisé dès cette rentrée. Des constellations de formation continue vont se mettre en place dans les circonscriptions ? Mais elles ont déjà un tel programme potentiel ! Des formateurs vont devoir expliquer et présenter ce document ? Mais les conseillers de circonscription doivent eux-mêmes se former et traiter tant de points dans ces suivis de constellations. Et en dehors de ces nouveaux dispositifs de formation, quelle place peut trouver ce document dans une formation continue devenue réduite depuis des années ?

Que le Ministre pense qu’il changera la pratique dans les classes en faisant paraitre des guides, des programmes, des documents à un rythme rapide, soit. C’est lui qui décide. Mais pourquoi en ce cas ne propose-t-il pas l’accompagnement nécessaire à la bonne compréhension de ces documents ?

Pourquoi les auteurs de la terminologie de 2020 n’expliquent-ils pas en quoi elle va aider les enseignants, en quoi elle va stabiliser les notions à enseigner, en quoi elle permettra aux enseignants de choisir la hiérarchie des notions à enseigner et les façons de le faire ?

Les programmes successifs listent des notions. Les manuels consacrent une double page à chaque notion pour suivre au plus près ces programmes – et donc être vendables. Mais comment les enseignants peuvent-il déterminer l’importance relative à donner à chaque notion, quel temps consacrer à chacune d’elle, quelles notions demandent un travail spiralaire et des reprises régulières, lesquelles peuvent / doivent être traitées sur le mode analogique et sans appui terminologique précis dans les petites classes et lesquelles nécessitent une désignation claire et précoce ?

Il faut aussi noter que ces parutions, sans doute prévues depuis plusieurs mois, ne tiennent aucun compte du contexte particulier de cette transition entre deux années scolaires. Nous avons tous dû faire face à une situation compliquée et inquiétante. Nous attendons avec incertitude la rentrée de septembre, sans savoir ce que la situation sanitaire nous permettra ou nous empêchera de faire. N’était-il pas possible d’attendre quelques mois que la sérénité revienne pour faire paraitre ces documents ? Le Ministre pense-t-il vraiment que nous allons tous avoir comme priorité de lire et travailler plus de 200 pages de théorie grammaticale, même si leur but est la simplification du travail en classe ? Pense-t-il vraiment qu’il nous sera possible de faire dans les semaines qui viennent le travail de comparaison entre les programmes de 2018 et ceux de 2020 qu’il n’a pas fait, nous laissant le soin de confronter les dizaines de pages des programmes de 2018 à celles du programme de 2020 ?

Combien de temps faudra-t-il aux enseignants, aux formateurs, aux équipes de circonscription pour lire, comprendre, assimiler puis appliquer ces nouvelles consignes ? Pourtant, il nous faudra peut-être faire vite si l’on ne veut pas que des prochaines publications arrivent avant que celles-ci aient pu être appliquées et aient pu produire des effets.

Jean-Paul Vaubourg,

Professeur de français à l’INSPÉ de Nancy

L’article de P Seve