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En cinquième, après avoir étudié les translations, un peu de géométrie spatiale et une réactivation des priorités de calcul, nous avons étudié les probabilités. C’est un thème que je trouve adapté au début d’année de cinquième, car c’est nouveau mais chacun a l’expérience de l’aléatoire dans sa vie.

Lancers de dés en 5ème

En cinquième, nous sommes en début de cycle 4. Les attendus sont de l’ordre de la découverte. Les attendus de fin de cinquième sont regroupés sous le titre « Comprendre et utiliser des notions élémentaires de probabilités » : il s’agit de « placer un évènement sur une échelle de probabilités », de calculer des probabilités dans des cas simples d’équiprobabilité, c’est-à-dire lorsque chaque issue a la même probabilité d’apparaître, comme lorsqu’on lance un dé non truqué ou une pièce équilibrée. En quatrième on modélisera un peu plus, en envisageant une probabilité comme un nombre associé à des caractéristiques, et en troisième on reliera statistiques et probabilités, et on étudiera des cas un peu plus complexes.

Mais là, nous sommes en cinquième. Nous avons introduit les probabilités à l’aide d’un jeu, Ave !, dans lequel nous avons lancé des dés marqués de chiffres romains. Les élèves ont fait des probabilités conditionnelles avec beaucoup de gaieté, et sans souci. Nous avons posé le vocabulaire spécifique des probabilités, construit la leçon, interrogé ces notions et la réflexion des élèves sur beaucoup, beaucoup d’exemples.

Nous corrigeons, jeudi matin, l’exercice suivant :

Louane lance six fois un dé équilibré et observe la face supérieure. Elle obtient six fois « 6 ». Les propositions suivantes sont-elles vraies ou fausses :

Le dé est truqué ;

Il y a plus de chances d’obtenir « 6 » au prochain lancer ;

Il y a moins de chances d’obtenir « 6 » au prochain lancer ;

Toutes les faces sont équiprobables.

Les élèves semblent tous d’accord : la première proposition est fausse puisque l’énoncé stipule que le dé est équilibré, mot dont nous avons appris le sens. Ils ajoutent que toutes les issues sont équiprobables, et que de ce fait les deux propositions précédant la dernière sont forcément fausses. Un élève ajoute : « en fait, au prochain lancer, elle pourrait très bien obtenir « 6 » encore. Elle a une chance sur 6 que ça arrive ».

Un autre réfléchit et questionne : « Oui, mais du coup c’est bizarre. Il y a une probabilité de 1/6 d’obtenir un « 6 » au lancer d’après, mais avoir sept « 6 » d’affilée c’est quand même hyper peu probable ! »

Vous remarquerez que la modélisation chez ces deux élèves est différente, et que cela se voit à la façon dont ils expriment la probabilité : pour l’un, c’est « une chance sur 6 ». Pour l’autre c’est « 1/6 ». Le premier élève valide ce qui est attendu en cinquième. Le deuxième est déjà engagé vers les attendus de la quatrième.

A ce stade en tout cas, je sais que je n’irai pas au bout de ce que j’avais prévu pour cette séance. Nous sommes partis ensemble pour une escapade imprévue. Et c’est très bien : ce sont des questions très intéressantes et apparemment contradictoires. Voilà une des utilités des maths : expliciter, montrer qu’il n’y a pas contradiction en fait. Alors j’explique en m’appuyant sur les représentations existantes des élèves. Je simplifie, en repartant d’une pièce (qui n’a que deux issues), qu’on lance une, puis deux, puis trois fois, puis six fois. Nous revenons au dé et nous finissons par conclure que la probabilité d’obtenir sept faces « 6 » est en effet très proche de 0, après calcul (j’en profite pour caser une première rencontre avec les puissances, puisque nous croisons 6×6×6×6×6×6×6=6^7), alors que celle d’obtenir un « 6 » au septième lancer est bien supérieure. Sans mobiliser du vocabulaire qui sera introduit au lycée, nous parlons en fait d’intersection d’événements et d’indépendance.

Bref, tout ça pour dire qu’à la fin de cette séance, je suis très contente.

Les maths et la vraie vie

Le lendemain, c’est l’évaluation. Elle est bien réussie, d’ailleurs. Mais le dernier exercice que j’ai proposé était conçu pour aller plus loin : dans la bande dessinée Le devin de la série Astérix et Obélix, un soldat romain veut vérifier si le devin est vraiment un devin. Manifestement, si le Romain conclut qu’il est un devin, ça va mal se passer pour lui ; il faut donc échouer au test de prédiction. Le Romain demande au devin la somme des faces de deux dés à six faces qu’il va lancer. Et là, le devin répond « 7 ». C’est bêta, parce que comme 7 = 1 + 6 = 2 + 5 = 3 + 4, c’est le nombre qui a le plus de « chances » d’apparaître.

L’exercice est un peu guidé, et une majorité d’élèves répondent que le soi-disant devin a tort de choisir le « 7 » car c’est le nombre le plus représenté. Super. Mais il y a la dernière question : « Si tu étais à la place du devin, quel nombre aurais-tu choisi ? »

Un élève m’a écrit « 1, parce que le Romain a l’air tellement idiot qu’il ne va pas voir que c’est impossible ». Ok. D’autres ont répondu « 2 ou 12, parce qu’il n’y a qu’une façon de les obtenir ». Ok aussi. Jusque-là, c’est top, je suis une prof de maths comblée. Et puis il y en a quelques-uns qui ont répondu de façon plus surprenante : « 5 parce que c’est mon chiffre porte-bonheur », ou « 11 parce que c’est la somme du jour de naissance de maman et de papa ». J’ai discuté ensuite avec ces élèves (sur chiffre et nombre, déjà), en essayant de les amener à comprendre ce que j’attendais et pourquoi leur réponse me paraît irrationnelle. Ils m’ont expliqué que « oui d’accord, 1 et 12 c’est ce qui a le moins de chances de sortir en théorie, je le sais, mais moi je sais aussi que j’ai plus de chance sur mon nombre à moi ».

Sur le coup, je me suis demandée si j’avais raté mon objectif. D’un côté oui, puisque ces élèves ne transfèrent pas ce qu’ils apprennent en probabilités dans « la vraie vie », comme ils disent (moi, mes maths c’est aussi ma vraie vie, mais bon). D’un autre côté, ils ont répondu à la question posée, puisque je l’avais formulée en sollicitant leur avis. Ce que j’ai trouvé vraiment intéressant, c’est qu’ils puissent ne pas transposer leurs connaissances et leurs compétences : pour eux, il y a d’un côté le monde mathématique, de l’autre leur monde à eux. Ou peut-être le monde scolaire vs le monde réel.

La prochaine fois, je demanderai : « quel nombre le devin aurait-il dû choisir pour avoir la plus grande probabilité d’échouer ? ». Et je comparerai les réponses à celles de cette année. Je pense que la formulation de la question est décisive. En leur demandant leur « avis », en les faisant se mettre à la place du devin, ils sont sortis des maths.

J’ai donc encore du travail.

Claire Lommé