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Le pourcentage de bacheliers dans une génération s’élève à 79,2% cette année (et retombe donc sous les 80% qui avaient été atteints ces dernières années) a calculé la DEPP à l’issue du second groupe d ‘épreuves. A vrai dire, un grand flou pas si artistique que cela plane sur ce mot d’ordre, son origine, sa signification . Qu’est-ce qui a été vraiment décidé, et par qui ?

Naissance d’un objectif

L’objectif de « 80 % d’une classe d’âge au niveau du bac » a pour origine la transformation d’une proposition qui avait été faite dans le rapport « Les lycées et leurs études au seuil du XXIe siècle » (dit « rapport Prost »), publié en décembre 1983. Il y était proposé d’« atteindre l’objectif de 80 % de jeunes achevant une scolarité de second cycle » (second cycle court ou second cycle long).

Ce chiffrage avait été établi par la commission présidée par Antoine Prost en ajoutant le flux d’entrée en apprentissage (15 %) au flux de 5 % correspondant aux enseignements spécialisés, et en retranchant le total de ces deux flux (considérés comme plus ou moins incompressibles) du total 100 %. On aboutissait ainsi à 80 %, pourcentage repris dans un sens quelque peu différent par Laurent Fabius et Jean-Pierre Chevènement un an et demi plus tard, en mai 1985 : 80 % d’une classe d’âge au niveau du baccalauréat. La différence essentielle tient à ce que, désormais, la « bonne fin » de l’ancien « cycle court » ou « cycle professionnel » est d’atteindre « le niveau bac ».

Un mot d’ordre politique ?

Ce mot d’ordre a été contesté par nombre de dirigeants politiques généralement situés à droite, puis finalement accepté dans un certain » flou artistique ». René Monory, ministre de l’Éducation nationale du gouvernement dirigé par Jacques Chirac, a en effet repris à son compte, dès son arrivée à la tête du ministère en 1986, le mot d’ordre de « 80% d’une classe d’âge au niveau bac » (un peu à la baisse : 74%), alors que le même Jacques Chirac n’a pas hésité à dire encore à la « Convention sur l’éducation et la formation » tenue par les partis de droite en janvier 1990 que « 80%, ça n’a pas de signification, car il n’y a pas 80% d’élèves aptes à s’ouvrir à l’étude des concepts ». Il est vrai que le flou persistant autour du sens précis de « 80% d’une classe d’âge au niveau bac » n’était pas de nature à clarifier les débats.

Lorsqu’en 1985 le ministre de l’Éducation nationale Jean-Pierre Chevènement a annoncé l’objectif de « 80% d’une classe d’âge au niveau bac » (c’est à dire, pour lui, en terminale) à l’horizon de l’an 2000, il a ajouté qu’en tablant sur un taux de succès des candidats au bac de 75% on devrait avoir alors 60% de bacheliers effectifs dans une classe d’âge. Mais il n’a guère été entendu sur ce dernier point.

Qui décide quoi ?

Jean-Pierre Chevènement s’en est longuement expliqué lors de son audition par la Commission dite « Thélot » le 28 janvier 2004. « L’objectif que je me suis donné a été d’amener une plus forte proportion de jeunes à poursuivre leurs études. La formulation que j’en ai donnée n’était pas excellente, car elle a introduit beaucoup de confusions. 80% au niveau du bac, ça n’était pas 80% au bac. Or j’observe que même Claude Allègre, qui était le conseiller de Lionel Jospin avant d’être ministre de l’Éducation nationale, fait cette confusion et croit que j’ai donné cet objectif. Non, j’ai dit 80% au niveau du bac. J’y suis souvent revenu par la suite, mais sans me faire vraiment comprendre parce que « au niveau du bac », c’est quelque chose que les gens ne comprennent pas. Cela veut dire en fait à 18 ans en terminale, et puis, réussisse qui pourra. Je n’étais pas partisan de l’abaissement des critères d’exigence au niveau du baccalauréat, mais je constate que mes successeurs, ou plus exactement l’administration, peut-être avec leur aval, inconsciemment peut-être, a assoupli constamment le niveau d’exigence, de sorte que le bac a été donné non plus à 50% de ceux qui s’y présentaient mais progressivement à 60-70%, peut-être même davantage. Donc on a assisté à un phénomène curieux, c’est qu’à la fois il y a eu un flot croissant de jeunes qui, comme je le souhaitais, poursuivaient leurs études, et en même temps le bac a été octroyé plus généreusement. »

Le taux de réussite aux baccalauréats qui était de l’ordre de 66% depuis 1969 jusqu’en 1985 monte à 70% en 1986 et 1987, puis à environ 75% de 1988 à 1995. Le taux de 60% de bacheliers dans une classe d’âge est atteint dès 1994 (6 ans avant la date prévue) : 36% de bacheliers généraux dans la classe d’âge de 1994, 16% de bacheliers technologiques, et 8% de bacheliers professionnels.

Mais dans le  »flou artistique » qui a entouré le mot d’ordre « 80% au bac », personne n’a salué alors. ce  »succès historique ». Le plus remarquable, c’est qu’il apparaît que l’on peine à savoir qui décide quoi, et pourquoi ou pour quoi en l’occurrence…

Claude Lelièvre

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