Les révisions pour le bac de français peuvent-elles se faire un peu plus collectives et ludiques ? Peut-on même transformer en terrain de jeu les fastidieux programmes du français 1ère ? Exemple en est donné au lycée Vauban à Brest par Rachel Pouliquen : elle a amené ses élèves à concevoir et réaliser un jeu de cartes autour d’un roman au programme de l’abbé Prévost : Manon Lescaut. Le travail d’appropriation favorise une vivante « rencontre entre des élèves devenus spécialistes de l’œuvre intra ou inter-classe ». Et la lecture de chaque élève s’en trouve « valorisée, sollicitée et nourrie dans l’échange que permettent les cartes à jouer. » Eclairages …
Comment le projet est-il né ?
La matière romanesque de Manon Lescaut avec ses zones de doute, d’ombre, d’ellipse, de non-dit, de mauvaise foi narrative a suscité chez les élèves un premier temps de lecture marqué par une forme de frustration parce que l’on est pas sûr, parce que l’on se demande, parce qu’on ne voudrait pas … lequel a mené à la discussion entre pairs dès les premières heures d’étude. C’est donc un partage aux allures de confrontation qui est à l’origine de ce projet collaboratif. L’articulation ayant été faite autour du désir de rendre compte de la dimension tout ensemble immédiate et retorse de la séduction romanesque à l’œuvre dans le récit, le choix d’une appropriation via la création d’un jeu s’est tôt imposé pour « questionner l’ alliance entre le hasard et le contrôle »
Pourquoi la forme d’un jeu de cartes ?
En référence à Lescaut qui initie Des Grieux au jeu, le format cartes à jouer était une évidence. De plus, la dispense d’un plateau de jeu favorise une plus grande liberté et est moins chronophage tout en rencontrant une pratique très présente chez nos lycéen . Chez les vôtres aussi peut-être. « Manon et les cartes à jouer : cela pourrait même être un épisode retrouvé dans les papiers d’un libraire fictif du XVIIIème siècle !
Comment concrètement avez-vous mené la réalisation ?
Les outils ont été papier, crayon, tablettes, ciseaux, colle, imprimante couleur, plastifieuse (pour la version collector). L’espace de travail a été deux salles de cours attenantes avec tableaux et marqueurs mis à disposition et plus tard le CDI. On ne le redira jamais assez mais les projets réclament de l’espace !
Selon quelle organisation ?
Le projet a été réalisé en demi-groupe classe. Au sein de chaque demi-groupe 4 autres groupes se sont formés.
Un groupe « Connaissances sur l’œuvre » pour élaborer des questions fermées. Exemples : « Après le deuxième emprisonnement, quel sort est réservé à Des Grieux ? », « Où Des Grieux rencontre-t-il Manon ? », « Où les amants fuient-ils lors de leur seconde fuite ? »…
Un groupe « Argumentation » pour poser des questions plus ouvertes. Par exemple : « Pourquoi Manon reste-t-elle avec le chevalier ? », « Dans ce livre, que recherche perpétuellement Manon Lescaut ? » … De nombreux exemples reflètent bien, il me semble le trouble qui était celui des élèves face à cette lecture et qui est à l’origine du projet.
Un groupe « Imagination ». On peut y convoquer un spectre de compétences assez vaste : Abécédaire, nuage de mots, reformulation d’un passage du point de vue de Manon, « Les experts contre les faussaires » (parmi ces textes, lequel est celui de l’abbé Prévost ?)…
Un groupe « Réalisation des cartes ». Avec des choix à faire : quelle apparence pour les cartes ? quelle règle pour le jeu ? quels gages/malus/bonus ? …
Quel bilan tirez-vous de cette expérience ?
L’enjeu est de déployer une rencontre entre des élèves devenus spécialistes de l’œuvre intra ou inter-classe. La lecture de chaque élève est valorisée, sollicitée et nourrie dans l’échange que permettent les cartes à jouer. Cela montre qu’une œuvre comme Manon Lescaut peut toucher des élèves qui demeurent trop souvent à la marge du plaisir qu’offre le romanesque.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
Rachel Pouliquen dans Le Café pédagogique