Faire classe dehors, « c’est une approche structurée et qui permet de transformer et de repenser les pratiques pédagogiques et les apprentissages » pour Nora Latroch, enseignante d’Histoire-géographie, l’HGGSP et l’EMC au Lycée Maurice Genevoix (Marignane). « Travailler dehors modifie profondément la relation pédagogique : les élèves sont en mouvement, en interaction, dans un espace plus ouvert, moins contraint. Cela favorise la coopération, l’écoute, l’expression orale. Beaucoup d’élèves qui s’expriment peu dans la salle se révèlent dans ces formats »
Comment en êtes-vous venue à faire classe dehors ?
Cette pratique est d’abord partie d’un constat : le travail de groupe et la coopération en classe générait du bruit peu propice à l’autonomie et aux interactions entre élèves. Très souvent associée à l’école du dehors en maternelle ou aux projets nature en primaire, la classe dehors est encore peu visible dans le second degré, a fortiori dans les disciplines comme l’histoire-géographie ou l’EMC. Pourtant, sortir de la salle pour apprendre autrement n’est pas un simple à-côté : c’est une approche structurée et qui permet de transformer et de repenser les pratiques pédagogiques et les apprentissages.
Alors, comment vous organisez-vous ?
Faire classe dehors, c’est une pratique pensée, structurée, inscrite dans les programmes. J’ai dans un premier temps « ritualisé » mes séances en extérieur. Elles sont construites selon une logique en trois temps : un lancement en classe avec consignes claires et attendues, une mise en activité dehors, puis un retour structurant en classe, qui permet de formaliser les apprentissages. Chaque sortie s’inscrit dans une séquence de travail et dans les exigences du programme.
Au fil de l’année, j’ai mené plusieurs activités diverses avec mes élèves :
– En Seconde : simulation d’un débat à l’Ecclésia athénienne ; jeu de rôle autour d’un conflit d’usage de la ressource en eau du Nil et du barrage de la Renaissance ; croquis de terrain autour des risques et aménagements sur le pourtour de l’étang du Bolmon (dans une logique E3D).
– En Première HGGSP : carte vivante sur les routes de la soie, mise en espace des acteurs du multilatéralisme et de l’unilétarisme américain, ou encore débats scénarisés à partir de dossiers sur la démocratie athénienne.
– En Terminale : avec production de podcasts et vidéos en extérieur à partir de documents d’archives sur la Nuit de Cristal ou encore sur les bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki, débats mouvants et Q-sort en EMC sur des thèmes tels que les jurés en cour d’assise, la démocratie directe.
Et qu’est-ce que cela change ?
C’est une autre façon d’être ensemble, de faire classe. Travailler dehors modifie profondément la relation pédagogique : les élèves sont en mouvement, en interaction, dans un espace plus ouvert, moins contraint. Cela favorise la coopération, l’écoute, l’expression orale. Beaucoup d’élèves qui s’expriment peu dans la salle se révèlent dans ces formats.
Loin d’un décrochage ou d’un relâchement, les séances dehors exigent une rigueur de préparation. La consigne doit être claire, les rôles précis, les attendus explicites. On y apprend à observer, à se repérer, à argumenter, à prendre la parole en public. On réinvestit des savoirs dans un cadre stimulant et vivant.
Et quels effets observez-vous de cette pratique ?
Des effets visibles sur les élèves… et les enseignants !
Les effets constatés sont nombreux : davantage de mémorisation, davantage d’engagement, davantage de coopération entre pairs, mais aussi une meilleure appropriation des espaces et des enjeux locaux. L’activité autour de l’étang du Bolmon a par exemple permis d’aborder des questionnements sur la préservation de l’espace proche et de travailler sur de la géographie du sensible, l’engagement.
Côté enseignant, sortir pousse à se renouveler, à créer, à faire autrement. Cela demande du lâcher prise dans sa posture d’enseignant et une relation de confiance établie avec les élèves. On enseigne au plus près du réel, moins soumis au bruit d’une salle de classe et à l’enfermement, dans une logique expérientielle qui donne du sens aux savoirs. Le matériel est différent : on délaisse le vidéoprojecteur pour des plots, des balles, des minuteurs et des craies. Cela permet aussi de laisser place à la créativité des élèves dans les scénarisations d’activités.
Pouvez-vous préciser votre démarche ?
C’est une démarche ouverte, partagée et ancrée. Mon travail s’inscrit dans une logique E3D, en lien avec le projet d’établissement, et s’ouvre à d’autres disciplines. Je participe à la Journée académique de la pédagogie et aux Rencontres internationales de la classe dehors (mai 2025, Marseille), où je partagerai ces expériences, ces outils, et les réflexions qu’elles nourrissent.
Je co-interviens aussi avec ma collègue de philosophie, Dounia Hamra, sur des classes de Terminale, notamment sur des projets de découverte d’art urbain.
Enseigner dehors, en Histoire-Géographie et EMC, c’est possible. C’est même indispensable, si l’on veut que les élèves relient les savoirs au monde. Non pas fuir la classe, mais faire de l’espace un allié pédagogique, et replacer le corps, le collectif et le réel au cœur de l’enseignement. Reconnecter l’élève à son environnement.
Propos recueillis par Djéhanne Gani
