Le 13 mai 2025, l’équipe du Centre Alain-Savary de l’IFE (Institut Français de l’Education, ENS de Lyon) présentait sa nouvelle plateforme destinée à la formation (initiale et continue) des formateurs du Premier et Second Degré.
« L’usage de ce genre de plateforme ne va pas de soi : il demande de reconsidérer une culture »
Rappelant la longue histoire de l’IFE, depuis vingt ans, en matière de conception de ressources pour la formation construites à partir du « travail réel » (Neopass@ction, NeopasSup pour le travail des enseignants du supérieur, NéopassCadres pour la formation des inspecteurs et des chefs d’établissement) et ses différentes ramifications internationales, Luc Ria, directeur de l’institut, insiste sur les enjeux d’une formation centrée sur l’activité réelle des professionnels : s’intéresser à l’activité visible, mais aussi invisible, à partir des cadres théoriques de l’ergonomie de tradition française et de l’analyse du travail. Ces approches s’intéressent à la difficile articulation entre le travail prescrit et le travail réel, aux compromis opératoires que doivent construire les professionnels, débutants ou expérimentés, pour faire ce qu’ils ont à faire et arbitrer entre des dilemmes souvent coûteux.
Il insiste sur le temps nécessaire pour élaborer ce genre de ressource : « il a fallu quatre ans pour la construire, et la genèse de Neopass@ction avait elle aussi duré cinq ans ! ».
Pourtant, explique-t-il, l’usage de ce genre de plateforme ne va pas de soi : il demande de reconsidérer une culture « traditionnelle » de la formation, d’oser s’intéresser de près à l’activité réelle des professionnels qu’on veut former, dépasser les oppositions entre « bonnes » et « mauvaises » pratiques tout en s’appuyant sur les connaissances des recherches. Il demande aussi à poursuivre la collaboration entre différents « cercles » d’usagers et de formateurs de formateurs.
« Nous pensons que la plateforme a vocation à être utilisée en interaction »
Prenant la suite, Frédérique Mauguen, responsable du Centre Alain-Savary, insiste sur cette continuité, mais aussi sur la collaboration interprofessionnelle qui est nécessaire pour construire ce genre de plateforme : recueillir des situations, gagner la confiance des acteurs pour qu’ils acceptent de montrer leur activité ordinaire, scénariser des contenus, produire des textes de synthèses. « La formation continue est soumise à une succession de réformes et de prescriptions qui peuvent la rendre difficile, d’autant plus que les métiers de la formation sont nombreux, appartenant à des institutions différentes (INSPE, rectorats/EAFC, DSDEN). La question de la formation des formateurs est toujours un enjeu complexe, qui demande à plusieurs espaces de collaborer, et de s’interroger sur « qui doit former les formateurs, et à quoi ? ».
Etre formateur d’enseignants, c’est avoir des compétences sur le métier d’enseignant, sur les savoirs en jeu, mais aussi de compétences pour former, des outils techniques, et de nombreuses connaissances issues de différents champs de recherche. « Il nous parait donc important de former à comprendre et agir sur les situations de travail ». C’est pour cette raison que la plateforme centre ses approches sur des « moments de travail » typiques que vivent les formateurs : faire des apports, mener un retour d’expérience, faire face à un désaccord, analyser une vidéo, démarrer un groupe de travail, expérimenter un outil, construire une ingénierie hybride…
S’intéresser aux « problèmes de travail » des formateurs, ce n’est pas s’éloigner des problèmes que rencontrent les enseignants et les élèves, c’est-à-dire de enjeux didactiques toujours présents dans les situations observées. Ce n’est pas non plus croire qu’une plateforme va être « autoformatrice », et que les formateurs peuvent se former devant un écran. « Nous pensons qu’elle a vocation à être utilisée en interaction, dans des collectifs de travail, pour apprendre ensemble à mieux analyser les problèmes de travail présentés, mettre à jour les tensions et les dilemmes rencontrés, confronter les points de vue et les manières d’exercer le métier, envisager des alternatives et de nouvelles possibilités pour agir, en envisageant les gains et les risques des choix qui sont possibles ».
C’est pour cette raison que l’équipe de l’IFE et du Centre Alain-Savary propose aux académies et aux INSPE des formations à l’usage de ses ressources, mais aussi un appui à la conception de scénarios de formation de formateurs, avec des accompagnements inscrits dans la durée. « Nous avons l’expérience que la formation, ça demande du temps, et qu’il faut trouver des modalités adaptées pour répondre réellement aux demandes des différentes académies et institutions ».
Prenant le relai, Rachel Jay-Manson, Claire-Lise Muzart, Marie Gybely, Zahra Hajjat et Henrique Vilas-Boas, chargé·es d’études au Centre Alain-Savary entrent dans la structure de la plateforme, en prenant l’exemple d’une formatrice qui mobilise un vidéo en formation : « La plateforme présente toujours une situation contextualisée, les éventuels supports utilisés par la formatrice, suivie d’extraits d’entretiens avec la personne filmée, des vécus de personnes formées, mais aussi les regards d’autres formateurs sur la situation et plusieurs points de vue d’experts formateurs de formateurs. »
« Montrer des discussions entre formatrices, et de justifier des choix »
Les participants de la journée sont invités à se prêter au jeu : « dans l’observation de cette vidéo, et à l’aide de la transcription des échanges, notez un ou deux points auxquels vous êtes sensibles ». Les réactions de la salle sont très variées : « elle insiste sur le regard éthique », « elle essaie de préciser aux personnes si elles décrivent ou interprètent », « elle recadre », « elle reformule », « elle pose le cadre en différé », « elle cherche à protéger chaque prise de parole », « elle veut éviter une dérive vers trop d’affectif «, « elle donne des consignes très cadrées », « je m’interroge sur les choix qu’elle fait », « j’aurais besoin de l’interroger pour en savoir plus »…
Suite à ces premiers échanges, on montre un extrait de l’entretien de la formatrice qui précise les choix qu’elle a faits, et exprime ses dilemmes : « Je me dis que j’aurais pu faire autrement. Je n’y ai pas réfléchi avant, mais je me dis que… » Les animateurs de la matinée soulignent combien l’extrait montre la complexité du travail de la professionnelle, et comment le fait d’être confrontée à sa vidéo lui permet de nourrir une discussion intérieure qu’elle verbalise, et dans laquelle les spectateurs se projettent. Ils font aussi découvrir les points de vue des formés : « quand elle nous a montré la vidéo, on rend visible ce qu’on sait, mais sur quoi on ne prend pas toujours le temps de réfléchir. Je peux avoir du recul que je ne peux avoir en classe. Sans la vidéo ça aurait été moins libre de parole. Chacune a pu montrer qu’elle voit des choses différentes. »
La plateforme est aussi l’occasion de montrer des discussions entre formatrices, et de justifier des choix : « Si j’étais toi, j’aurais fait autrement. Bon, mais… ». La salle réagit : « Je pense que c’est un bel outil pour montrer à des collègues formateurs l’étendue de nos dilemmes et de la complexité du travail des formateurs. Ca me fait beaucoup de bien de voir ça.. »… La discussion se poursuit sur « Quelles vidéos choisir en formation ? » : « Faut-il montrer des vidéos de bonnes pratiques, au risque qu’elles paraissent trop parfaites et que les enseignants n’adhèrent pas ? Des vidéos qui montrent des difficultés, au risque de mettre en péril la personne filmée ? ». Encore une fois la salle réagit : « Moi aussi j’ai déjà pris des missiles en formation quand les enseignants me reprochent de leur montrer des situations de réussite avec quatre élèves sans qu’on sache ce que font les vingt autres !! »
La matinée se termine, avec pour les participants un sentiment partagé : « la formation de formateurs, c’est un chantier qui est complexe, mais qui est fondamental pour véritablement « professionnaliser » les formateurs, dans le premier et le second degré. »
Pour connaitre les conditions d’accès à la plateforme NeopassFormation, contacter le Centre Alain-Savary de l’IFE cas.ife@ens-lyon.fr
Patrick Picard
