Le bac professionnel a 40 ans ! « Trois voies d’égale dignité » : voilà le projet original. Avec un « baccalauréat d’une égalité de dignité, mais non d’une égalité de parcours » tant sont rares les poursuites d’étude dans le supérieur pour les lycéens de la voie professionnelle, souligne l’historien Claude Lelièvre dans sa chronique.
« L’initiative la plus importante »
Il y a tout juste quarante ans, le 22 mai 1985, le Premier ministre Laurent Fabius annonce que le gouvernement prépare «une loi-programme sur cinq ans pour l’enseignement technique ». Il précise que cette loi permettra la création de nouveaux établissements scolaires, les «lycées professionnels», et la mise en place d’un nouveau baccalauréat, le « baccalauréat professionnel ».
Le 28 mai 1985, le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Pierre Chevènement, commente cette annonce au cours d’une conférence de presse. Selon Jean-Pierre Chevènement, la décision de s’engager dans cette loi-programme constitue «l’initiative la plus importante du gouvernement pour l’éducation nationale». Il s’agit en premier lieu de répondre aux besoins de la modernisation du pays en formant des ouvriers de plus en plus qualifiés, «souvent au niveau du baccalauréat, quelquefois à un niveau supérieur encore ».
« Trois voies d’égale dignité »
Le 8 octobre 1985, le ministre précise qu’il s’agit « d’offrir, à l’issue de la classe de troisième, trois voies d’égale dignité » : la voie générale, dans laquelle « peuvent s’engager ceux qui ont les capacités de poursuivre des études aux niveaux les plus élevés de l’Université » ; la voie technologique, « qui conduira la majorité des jeunes qui s’y engagent vers un niveau de technicien supérieur » ; et la «voie professionnelle, qui assure, après l’obtention d’une qualification de niveau V, une possibilité de poursuivre la formation jusqu’au niveau du baccalauréat et même vers un niveau plus élevé ».
Il y a donc l’affirmation (symbolique) par le titre même de « baccalauréat » d’une égalité de dignité, mais non d’une égalité de parcours (même si, compte tenu de sa « double nature », l’obtention du bac permet juridiquement l’entrée à l’Université).
Hausse du taux de bachelier
Entre 1987 et 2008, le taux de bacheliers professionnels dans une classe d’âge passe très progressivement de 0,1 % à plus de 12 %
Mais de 2008 à 2012 le taux de bacheliers professionnels dans une classe d’âge fait un véritable bond en avant puisqu’il passe de 12,4 % en 2008 à 24,4 % en 2012. Il se stabilise ensuite autour de 22 % (20 % ces trois dernières années)
Ce doublement spectaculaire en quatre ans est l’effet d’un changement de curriculum. Avant 2009 les baccalauréats professionnels se préparaient en quatre ans (en 2 années menant au BEP suivies de 2 années conduisant au baccalauréat professionnel lui-même). A partir de 2009, les baccalauréats professionnels ont un cursus de 3 ans, à l’image des trois ans d’enseignement des baccalauréat généraux ou technologiques
Poursuite d’étude rare à l’université
Au fur et à mesure des années et du développement de la place des baccalauréats professionnels, (en particulier après cette réforme du cursus) une partie accrue (et non négligeable) des lauréats de bacs professionnels ont tenté leur chance avec plus ou moins de réussite à l’Université (très peu) ou (surtout) dans les différentes sections conduisant au BTS.
En 2024, près de la moitié des titulaires d’un baccalauréat professionnel ont tenté de poursuivre des études (47%), la plupart en Sections de techniciens supérieurs ( 39 % ) et seulement 4,3 % à l’Université.
D’une certaine façon, lors de sa conférence de presse du 29 mai 2018, le ministre de l’Education nationale Jean-Michel Blanquer avait pris acte de cette évolution historique en cours en mettant désormais officiellement à égalité le choix pour un lauréat du baccalauréat professionnel de poursuivre des études supérieures et celui de s’insérer immédiatement dans la vie active Il avait alors en effet annoncé son projet que les élèves aient désormais le choix entre « un module d’insertion professionnelle et d’entrepreneuriat » (avec rédaction de CV et préparation aux entretiens de recrutement ) et un « module de poursuite d’études ».
L’anticipation des épreuves des baccalauréats professionnels dès le début mai 2025 qui vient d’avoir lieu peut s’inscrire (de façon caricaturale et non sans dommages collatéraux) dans ce type de changements finalement non maîtrisés, tant s’en faut.
On peut en effet s’interroger sur l’opportunité – on ne peut plus tardive – de « libérer » en toute fin de cursus et après les épreuves du baccalauréat professionnel six semaines qui seront consacrées pour les uns à un stage supplémentaire et pour les autres à des « cours intensifs » pour préparer leur entrée dans l’enseignement supérieur.
Claude Lelièvre
