« Le poisson pourrit par la tête : un directeur inculpé, c’est forcément qu’il y a un système derrière » a lancé Ségolène Royal au sujet de l’affaire Bétharram. Mardi 20 mai 2025, lors de son audition devant la commission d’enquête parlementaire sur les modalités du contrôle par l’État et la prévention des violences dans les établissements scolaires, Ségolène Royal, ancienne ministre déléguée à l’Enseignement scolaire, a défendu vigoureusement sa circulaire de 1997 et son action en faveur de la protection des enfants contre les violences sexuelles à l’école.
Tout en soulignant les avancées permises par ce texte, elle a également adressé de vives critiques à l’encontre de François Bayrou, ministre de l’Éducation nationale et président du Conseil général : « forcément il était au courant ». Elle a dénoncé chez lui une attitude de déni et une inversion des responsabilités, évoquant « un mécanisme bien connu où quelqu’un qui a quelque chose à se reprocher se positionne en victime ». C’est un exercice de satisfecit politique et personnel, à en oublier qu’elle aussi était en responsabilité au ministère à l’époque des faits.
Une parole longtemps ignorée
« Un enfant qui parle d’un abus sexuel ne ment pas. » Ce rappel de Ségolène Royal résonne comme un leitmotiv dans son intervention. À plusieurs reprises, elle a déploré l’absence de prise au sérieux de la parole des victimes et le manquement des institutions, y compris dans les cas les plus graves : viols en internat, suicides d’enseignants et d’élèves, personnels protégés ou mutés plutôt que sanctionnés.
Une circulaire, un livret depuis 25 ans… mais oubliés ?
En 1997, alors en poste au ministère délégué à l’Enseignement scolaire, Ségolène Royal avait fait adopter une circulaire qu’elle qualifie de « prémonitoire », sur laquelle elle est longuement revenue. Celle-ci imposait des procédures de signalement et de prise en charge des violences sexuelles à l’école, y compris dans les établissements privés sous contrat. Vingt-cinq ans plus tard, elle s’étonne de son obsolescence de fait : « C’était un désert avant cette circulaire. Elle est toujours valable, mais pourquoi n’a-t-elle pas été suivie d’effet ? ». En effet, une circulaire pour quelle utilité ? peut-on se demander au regard des scandales et des affaires qui éclatent.
Ségolène Royal évoque aussi des outils pédagogiques oubliés, tel le livret « Mon corps, j’ai le droit de dire non », ou encore le message simple et puissant « Je te crois » à dire à un enfant qui dénonce un abus. Pour l’ancienne ministre déléguée de l’Education nationale et à l’enfance, ces dispositifs ont été abandonnés sans évaluation, à laquelle la succession de ministres aurait contribué, avec « désinvolture » juge-t-elle.
Mutations-sanctions et omerta institutionnelle
Ségolène Royal a insisté sur l’importance de l’interdiction des mutations-sanctions, longtemps utilisées pour étouffer les affaires, comme cela a pu être observé dans d’autres institutions, notamment religieuses. Elle affirme que les recteurs eux-mêmes lui avaient reconnu cette pratique : « On mutait, comme ça on n’avait pas à régler le problème. »
Dans certains cas, les fonctionnaires mis en cause n’étaient ni suspendus, ni sanctionnés – voire promus, comme elle le rappelle au regard de l’actualité. Un exemple flagrant selon elle d’un système protecteur envers les auteurs, et non envers les victimes.
L’affaire Bétharram : « Le poisson pourrit par la tête : un directeur inculpé, c’est forcément qu’il y a un système derrière »
« Si j’avais su, j’aurais fermé l’établissement ne serait-ce que huit jours pour auditionner tous les enfants » dit-elle, interrogée sur l’affaire Bétharram, établissement religieux sous contrat dont le directeur a été mis en examen pour viol en 1998. Interrogée par la co-rapporteure Violette Spillebout (EPR) sur un cas d’audition systémique et de fermeture d’un établissement, S. Royal doit admettre que non.
Ségolène Royal affirme ne pas avoir été informée à l’époque et déclare : « Le poisson pourrit par la tête : un directeur inculpé, c’est forcément qu’il y a un système derrière ». Elle juge que faire une enquête auprès des élèves, « aurait été une bonne gestion de ce dossier », « faire une audition de tous les enfants, et d’ailleurs c’est ce qu’aurait dû faire le Conseil général chargé de la protection de l’enfance » poursuit-elle, ciblant François Bayrou et portant l’attention et la responsabilité politique à l’échelle locale.
Selon elle, les faits de Bétharram n’auraient pas été remontés au ministère, jusqu’à elle -comme François Bayrou donc – Ségolène Royal a affirmé n’avoir jamais été alertée, ni par la chancellerie, ni par le rectorat de Bordeaux, de la mise en examen pour viol d’un directeur d’établissement en 1998. « Je n’ai pas été saisie de cette affaire », a-t-elle déclaré, s’interrogeant sur cette absence totale de remontée d’information : « Pourquoi cela ne remonte pas ? Je ne sais pas ». Elle affirme également ne pas avoir eu de retour sur un suivi éventuel des recommandations formulées par l’inspecteur chargé du rapport sur Bétharram.
François Bayrou dans le viseur : « forcément il était au courant »
Ségolène Royal n’a pas épargné François Bayrou, alors président du Conseil général concerné par l’affaire Bétharram. Elle remet en question les propos de François Bayrou : « Il dit qu’il ne lisait pas la presse locale, alors que l’affaire était dans la revue de presse du Conseil général et même à la télévision. Donc forcément il était au courant. Ensuite il dit qu’il est revenu sur son mensonge concernant le fait qu’il n’avait pas vu le juge et après il admet qu’il l’a vu pendant 2 h à son domicile. »
Contrairement aux dires de François Bayrou lors de son audition, « non seulement le surveillant n’avait pas été licencié mais en plus il avait été promu donc c’est bien là le signe que la direction est solidaire. Si un directeur fait ça, c’est que forcément il y a des complicités avec les gens qui sont en contact régulier avec des élèves c’est ça qui est terrible ».
Elle critique également une attitude de déni et d’inversion des rôles, dénonçant un mécanisme où « quelqu’un qui a quelque chose à se reprocher se positionne en victime ». Et de rappeler avec sévérité que « la responsabilité d’un Premier ministre est cruciale : s’il ne sait plus distinguer le bien du mal, la parole des victimes de celle des criminels, alors c’est la confiance des citoyens qui vacille ».
Une claque : « pas un geste de père de famille »
Royal est également revenue sur un autre épisode polémique : la claque donnée par François Bayrou à un adolescent dans un quartier populaire. Elle dénonce un geste qui n’est celui « d’un père de famille » et s’interroge : « L’aurait-il fait dans un centre-ville, face à un enfant de notable ? » Et surtout, elle dénonce l’instrumentalisation politique de l’événement, sans attention réelle portée à l’enfant, qui fut, dit-elle, harcelé, stigmatisé, et en échec scolaire après avoir été publiquement traité de voleur.
L’urgence d’un suivi et d’une évaluation
Enfin, la question posée reste entière : pourquoi les recommandations ne sont-elles pas suivies ? Pourquoi les circulaires pionnières ne sont-elles pas mises en œuvre de manière durable ? Ségolène Royal appelle à une réforme profonde de la gouvernance de l’Éducation nationale, moins cloisonnée, plus formée au droit pénal, et plus respectueuse des alertes, y compris dans le privé sous contrat.
Pour elle, il est temps de passer de la parole politique à l’action concrète, de protéger les lanceurs d’alerte, de croire les enfants, et d’assumer pleinement les responsabilités publiques : « La cruauté n’a pas sa place dans l’Éducation nationale. » N’a pas ou n’a plus sa place.
Djéhanne Gani
Bétharram et commission d’enquête : le dossier du Café pédagogique
