« Ce qui se joue ici, c’est la survie d’un service public qui respecte ses agents et ses principes ». Jeudi 22 mai 2025, le 93 était mobilisé contre le management toxique en soutien aux professeurs mutés d’office à la veille des vacances de printemps. À Noisy-le-Grand comme à Pantin, la communauté éducative s’est mobilisée contre la brutalité administrative et le management toxique imposés à plusieurs enseignants. Cinq professeurs ont été mutés d’office « dans l’intérêt du service », sans entretien préalable, sans contradictoire, sans défense possible. Un traitement expéditif qui soulève colère, sidération et solidarité. Sur le terrain, enseignants, parents d’élèves, élèves, syndicats et élus dénoncent une dérive autoritaire qui menace non seulement les individus mais toute l’institution scolaire.
Pressions, impunité, souffrance des personnels
« Le rectorat se couvre de honte avec ces mutations dans l’intérêt du service qui ont du mal à déguiser une sanction extrêmement brutale » déclare Louise Paternoster, la co-secrétaire de la CGT Educ 93. Elle dénonce l’idéologie du ministère depuis 2017 : « hiérarchie sourde autoritaire et réactionnaire, manque de moyens, mise en souffrance des personnels, mise en cause du statut ». Les organisations syndicales (CGT, CNT, FSU, SUD) apportent leur soutien aux professeurs mutés et exigent l’annulation de la mutation d’office. Les cinq enseignants concernés sont aujourd’hui en arrêt maladie, et dans un des collèges concernés, deux professeurs ne sont pas remplacés.
Présent sur place le matin devant le collège François Mitterrand de Noisy-le-Grand, puis l’après-midi au rassemblement de Bobigny, le député Thomas Portes (LFI) a dénoncé l’absurdité de la situation : « Dans une académie où les professeurs manquent cruellement, le rectorat préfère organiser des mutations d’office plutôt que de répondre aux besoins des élèves. » Il a aussi mis en lumière le climat de pression exercé non seulement sur les enseignants, mais aussi sur les élèves eux-mêmes. Ces derniers, ayant lancé une pétition de soutien à leurs professeurs, ont été convoqués par la direction : « C’est une méthode scandaleuse, on cherche à faire taire tout le monde, même les élèves. C’est inadmissible. »
Des familles solidaires, des élèves abandonnés
Du côté des parents d’élèves, la colère est également grande. La FCPE du collège en éducation prioritaire Jean Lolive de Pantin rappelle qu’aucune tension particulière n’avait été remarquée ces deux dernières années, et que même l’administration avait reconnu le professionnalisme des enseignants aujourd’hui mutés. « Nos enfants n’ont plus de cours de français ni d’anglais, à la pire période de l’année, et aucune solution n’est proposée. On parle vaguement de remplaçants, mais tout le monde sait qu’ils ne viendront pas » regrettent-ils.
Les parents s’inquiètent surtout de l’impact psychologique de cette brutalité sur les élèves, à qui l’on retire soudainement leurs professeurs sans explication. Anne, une professeure du collège glisse à ce propos : « Alors, vraiment, le motif « dans l’intérêt du service » est d’une hypocrisie sans nom ! » Elle poursuit : « L’Éducation nationale, de par la gestion menée par le rectorat, me semble de plus en plus éloignée de l’intérêt des élèves. Je partage complètement le ressenti des parents d’élèves de mon collège : mes élèves sont méprisés. On les prive de professeurs très investis dans leur mission et très compétents dans leur métier simplement parce que des décisionnaires ne font pas leur travail de gestion des ressources humaines. »
« Stop à la violence managériale dans l’Éducation nationale »
Sur les pancartes brandies par les professeurs mobilisés, les slogans sont clairs : « Stop à la violence managériale dans l’Éducation nationale » , « Chef toxique, profs en panique », « Vérité falsifiée » , « 1 prof muté + 1 prof non remplacé » « On instruit, ils détruisent », « Mutations déguisées, répression camouflée ». La colère est palpable, nourrie par l’injustice et la volonté de ne pas céder à la peur et aux pressions. « Ça nous révolte, on continue », déclarent des collègues et amis des professeurs mutés. « On ne peut pas laisser passer ça, c’est grave, et dans le contexte politique actuel, c’est encore plus inquiétant » dit Emma. Les professeurs dénoncent deux cas emblématiques de répression déguisée : deux établissements où l’institution a laissé la situation se dégrader, puis a choisi de frapper les lanceurs d’alerte aveuglément au lieu d’agir contre les dérives.
Une attaque contre la démocratie sociale
Pour Sophie Vénétitay, secrétaire générale du SNES-FSU, il s’agit clairement d’une offensive contre l’activité syndicale : « Ce sont des représentants syndicaux qui sont visés. Ce qui pose problème, c’est leur engagement, leur travail de terrain, leur défense des droits. » Elle alerte sur la dérive administrative enclenchée depuis la réforme de 2019 : « Ces mutations dans “l’intérêt du service” ont été pensées pour affaiblir les statuts des fonctionnaires. Elles permettent à l’institution de sanctionner sans procédure équitable, sans contradictoire, en écartant les organisations syndicales du processus. C’est une stratégie pour agir en toute impunité. » Elle poursuit : « Ce n’est pas un hasard si ce sont des syndiqués qui sont visés. Parce que nous faisons valoir des droits, parce que nous interpellons le ministère, les rectorats, les chefs d’établissement. Ce que l’on nous reproche, c’est de vouloir faire respecter les règles. »
Deux établissements, même injustice : peur, colère et souffrance au rendez-vous
Au collège François Mitterrand de Noisy-le-Grand, deux professeurs syndiqués ont été mutés d’office « dans l’intérêt du service » après trois années de lutte contre un management autoritaire. L’enquête administrative, menée sans contradiction, est jugée partiale et à charge pour les lanceurs d’alerte.
Au collège Jean Lolive de Pantin, malgré onze alertes signalant un conflit entre collègues, aucune médiation n’a été organisée. Trois enseignants sont mutés d’office, deux d’entre eux sont syndiqués. Le sujet est clivant. Anne est une des collègues, elle qualifie de « graves » les accusations portées. Comme d’autres, elle souligne que la mutation d’office – qui n’est pas, officiellement, une sanction disciplinaire- bafoue le principe fondamental de se défendre. Elle relève que « cette décision montre aussi que maintenir des enseignants reconnus très compétents en poste dans un collège REP+ n’a aucune importance pour le rectorat. »
Elle témoigne des sentiments mêlés de peur, de colère et de souffrance : « Nous sommes très nombreux et nombreuses à ressentir une vive colère face à l’injustice de cette décision. Nous avons aussi très peur pour la suite de nos carrières. En ce qui me concerne, pour la première fois, j’ai du mal à aller travailler. Il m’est aussi très difficile d’aller travailler alors que des collègues font face à une situation d’une telle injustice. C’est devenu très compliqué de rester pleinement concentrée sur mon enseignement. »
Djéhanne Gani
