La réécriture de contes est en passe de devenir un genre littéraire à part entière, et on ne peut que s’en réjouir. En effet, il ne s’agit là finalement que de renouer avec les origines de ces récits universels et mouvants, venus de la nuit des temps, qui dialoguent avec chaque époque et n’en finissent pas de se réinventer. Car « la quête de leur signification est inépuisable » si l’on se prête au « jeu délicieux de l’interprétation », explique Charlotte Dekoker, journaliste autrice de l’ouvrage Tout sauf charmants ?, illustré par Lucie Louxor, qui appelle à porter un nouveau regard sur les contes de fées.
Questionner les contes de fées
D’où viennent les contes ? A qui sont-ils destinés ? A quoi servent-ils ? Comment peut-on les interpréter ? … Après avoir rappelé dans une introduction éclairante, à la fois informée et facile d’accès, les différentes questions que posent les contes, l’autrice propose donc à ses lecteurices de jouer à ce « jeu délicieux de l’interprétation » sur dix célèbres récits, de Banche Neige à La reine des Neiges, en passant par Hänsel et Gretel, Le Petit chaperon rouge, Jack et le haricot magique, La Belle et la Bête, Cendrillon ou encore Barbe bleue, La Petite Sirène et Aladdin.
Si leurs origines sont orales et lointaines, ces récits sont souvent associés aux versions littéraires qu’en donnèrent notamment Villeneuve, Perrault, Andersen, les frères Grimm… Fort différentes parfois d’autres versions qui les ont précédées, elles ont fait ensuite leur chemin et ont été elles-mêmes transformées, voire supplantées dans l’imaginaire par celles qui les ont suivies, notamment celles des films d’animation des studios Disney. Aucune n’est plus légitime, d’une certaine manière, qu’une autre, en revanche toutes ont quelque chose à nous dire et sont révélatrices du contexte et de l’époque de leur rédaction.
Réécritures personnelles et pistes de réflexion
L’autrice se propose de poursuivre cette chaine d’écriture, et nous invite à découvrir ses propres palimpsestes. Chaque chapitre commence donc par une réécriture à partir « d’à peu près » le conte. Pleine de fantaisie, souvent très drôle, elle revitalise le récit, ou en déplace le sens, en changeant, par exemple, de point de vue. Cette version, parfois très personnelle, est suivie d’une série de réflexions qui invitent « à porter un nouveau regard » sur le récit, en l’actualisant et en faisant dialoguer les époques voire les versions.
Au fil des récits sont ainsi abordées de multiples questions. Qu’a à nous dire de la culture du viol le Petit Chaperon rouge, de la domination masculine Cendrillon, ou du consentement La Belle et la Bête ? La Petite sirène est-elle une transfuge de classe ? Aladdin un Ouïghour ? Jack et son haricot un écologiste qui s’ignore ? … Pourquoi la barbe de Barbe bleue est-elle bleue ? Le capuchon du Petit Chaperon rouge, rouge ? Le teint de Blanche Neige blanc ? Les ogres représentent-ils les bourgeois ? Que désigne le mot fée ? Verre ou vair : y a-t-il vraiment débat ? …
L’ensemble est très varié et zigzague d’une piste à l’autre ; interrogeant l’histoire littéraire et les contextes, les angoisses ancestrales et les clichés ; discutant Bettelheim ou convoquant Bourdieu, Annie Ernaux et Edouard Louis… On apprend, on s’étonne, on n’est pas toujours d’accord, mais cela fait partie du jeu d’un ouvrage qui revendique une approche personnelle, et se donne avant tout pour mission de montrer le large champ de questionnements possibles qu’ouvre la lecture des contes.
Une invitation à tirer la chevillette pour découvrir combien entre « archaïsme désespérant » et étonnante modernité, ces récits ancestraux nous aident à comprendre aussi le monde d’aujourd’hui. Une lecture détonante qui invite au débat et devrait tout particulièrement intéresser les lycéen·nes.
Claire Berest
« Loup, qui es-tu ? ». Article à retrouver sur le site du Café pédagogique.
