L’Intelligence Artificielle signe-t-elle l’obsolescence programmée de l’exercice scolaire par excellence : la dissertation ? C’est la question, brûlante et cruciale, à laquelle s’est confronté Arthur Allain, professeur de français au Lp2i de Poitiers. Au lieu d’envisager l’IA comme concurrente de l’Ecole, de la réflexion des élèves, de la créativité des enseignant·es, il a choisi d’en faire un outil pédagogique pour travailler l’art difficile de la dissertation : les types de sujets, l’organisation, la rédaction. Le dispositif conduit à un fécond renversement : l’élève enseigne à l’IA, interagit avec elle, améliore ses consignes, perçoit et corrige les erreurs. Et le bilan s’avère positif : « Les progrès en dissertation sont clairs, d’autant que les élèves ont apprécié l’exercice. Pour la maitrise de l’IA, ils.elles ont à mon avis surtout progressé dans leur connaissance de ce qu’est une IA, c’est-à-dire une simulation d’intelligence, et non une véritable intelligence, capable d’erreur, et même de mensonge ! »
L’IA peut être perçue par beaucoup d’enseignant.es comme une menace, en particulier pour les travaux de type dissertation qu’elle pourrait réaliser à la place de l’élève : dans ce contexte, pourquoi le choix étonnant de travailler la dissertation avec l’IA ?
En effet, je trouve également que l’IA peut avoir des effets négatifs très forts sur les apprentissages si on n’y prend pas garde. Par conséquent, son arrivée a bouleversé très rapidement ma façon d’enseigner, puisque certaines choses deviennent, à mon avis, ou impossibles, ou à modifier en profondeur. Demander une dissertation faite à la maison par exemple ne me semble plus pertinent tant la tentation (bien compréhensible) sera forte pour l’élève de confier cette tâche à une IA plutôt qu’y travailler des heures. J’ai donc esquivé comme j’ai pu ces effets pervers.
Mais je me suis aussi demandé ce que cela pourrait apporter de positif. Et en discutant avec plusieurs collègues également intéressés par le sujet, cette idée est arrivée de faire coacher l’IA par les élèves. En effet, en manipulant différentes IA, je me suis aperçu que le résultat, lorsqu’on demande une dissertation, peut faire vaguement illusion, mais est bien souvent décevant, et en tout cas ne correspond pas à ce que la discipline, et le format bac, exigent. Il pouvait donc être pertinent de confier la tâche aux élèves de rédiger les prompts corrects pour arriver au bon résultat : un élève qui parvient à voir ce qui ne va pas dans le travail rendu par la machine puis à lui dire comment faire mieux est forcément un élève qui a bien compris l’exercice.
Le dispositif que vous déployez invite à un savoureux renversement des rôles qui amène l’élève à se retrouver « en situation d’enseignant » : pouvez-vous expliquer ? en quoi cette inversion vous semble-t-elle intéressante ?
Diverses études montrent que dans une relation tuteur/tutoré ou mentor/mentoré, c’est le tuteur, ou le mentor, qui en apprend le plus : il doit analyser le travail d’un autre, vérifier ce qu’il faut améliorer, et donner les bons conseils pour faire mieux. C’est une tâche très riche, et il est en effet très ludique pour elles.eux de se retrouver en position d’enseignant.e. Enfin, c’est une tâche intéressante à réaliser en petits groupes, cela permet de discuter ensemble des éléments à modifier dans la production de l’IA, et les élèves apprennent donc ainsi également les un.e.s des autres. Certain.e.s d’entre elles.eux, si on les laissait seul.e.s face à l’IA, pourraient se trouver paralysé.e.s par l’illusion de perfection que renvoie un texte qui s’affiche sur un écran d’ordinateur et qui est fait par quelque chose qui est réputé très performant. Le travail en groupe aide à lever cette difficulté.
Vous avez utilisé l’IA en classe d’abord pour travailler sur les types de sujets : de quelle façon ?
Cette étape était très rapide : j’ai projeté l’IA au tableau, en tapant moi-même le prompt pour avoir des sujets dans le thème retenu pour le bac. Nous avons ensuite discuté la pertinence des sujets, cela permet de parler ensemble des formes possibles que pourrait avoir le sujet du bac. Puis nous en avons choisi un certain nombre à traiter. Cette partie pourrait être faite par les élèves, cela serait intéressant.
Vous avez ensuite utilisé l’IA pour aider les élèves à mieux organiser la dissertation : selon quel dispositif ?
Il s’agissait d’arriver à un plan de dissertation tel qu’attendu pour le bac : grandes parties, sous-parties contenant toutes au moins un exemple précis.
Vous avez enfin utilisé l’IA pour travailler sur la rédaction elle-même : selon quelles modalités de travail ?
Chaque groupe devait faire rédiger une sous-partie, l’introduction ou la conclusion. Il fallait arriver là encore à un résultat qui correspondait à la méthode donnée par le professeur. Chaque paragraphe devait être organisé de cette façon : idée (argument qui répond à la problématique), exemple précis, analyse de l’exemple reposant si possible sur un ou des procédés littéraires explicitement nommés.
En quoi vous semble-t-il essentiel pour de telles activités de garder la mémoire des prompts et du work in progress ?
Les prompts des élèves constituent la partie intéressante de l’exercice, c’est sur ça qu’on revient à la fin de l’exercice en classe entière. En effet, les prompts sont autant de conseils pour bien faire une dissertation, et c’est bien cela l’objectif de la séance : chacun.e doit ressortir du cours avec une idée plus claire de ce qu’est une dissertation. Le résultat fourni par l’IA est intéressant pour valider les conseils : si la dissertation est bonne, les consignes sont bonnes. Les bons résultats (les paragraphes, introductions, conclusions qui ont été jugé.e.s satisfaisant.e.s) peuvent aussi servir d’exemples si on en fait une base de données laissée à la classe.
Pour ce travail, vous avez utilisé Chat GPT : quelles en sont les limites ? quels conseils donneriez-vous aux collègues ?
Je me suis aperçu après d’une grande limite de ChatGPT, et malgré mes nombreuses recherches, je n’ai pas encore trouvé d’IA gratuite qui n’ait pas ce défaut : ChatGPT ne parvient pas à chercher dans les œuvres littéraires complètes, même lorsqu’elles sont disponibles sur le net et libres de droits. C’est même plus grave : hormis les quelques citations célèbres, l’IA se contentera pour les autres d’inventer une citation qui pourrait venir de cet ouvrage, tout en affirmant qu’il s’agit d’une véritable citation (guillemets à l’appui).
Un test très simple peut vous convaincre : demandez à une IA la première phrase d’un classique littéraire (à part les incipits très célèbres), c’est systématiquement faux même si pas complètement hors sujet. Mais l’IA la présente comme vraie, et n’admet son erreur que si nous lui affirmons que c’en est une, la plupart du temps en proposant une nouvelle phrase, elle aussi fausse ! C’est un bon apprentissage à faire par les élèves pour démystifier les IA, et je commencerai l’année dans toutes mes classes par cette petite expérience.
Au final, les élèves vous semblent-ils avoir progressé dans la maitrise de l’IA et/ou de la dissertation ?
Selon moi les progrès en dissertation sont clairs, d’autant que les élèves ont apprécié l’exercice. Pour la maitrise de l’IA, ils.elles ont à mon avis surtout progressé dans leur connaissance de ce qu’est une IA, c’est-à-dire une simulation d’intelligence, et non une véritable intelligence, capable d’erreur, et même de mensonge !
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
Sur le site Lettres de l’académie de Poitiers
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Elodie Lahaye : Dialoguer avec Antigone à l’heure de l’IA
Alix Callies : Apprendre à écrire avec l’IA
Rima Mobayed : Changer la posture des élèves face à l’IA
Alexandra Zonabend : Pour un I ou pour un A
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D. Bucheton et S. Fontaine : L’Ecole au défi des Intelligences
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