S’il est une mine d’informations, Le Petit guide du genre que vous venez de publier est effectivement tout petit par son format : 122 mm sur 87 mm ! Pourquoi ce choix ?
C’est très certainement ce format qui nous a justement donné envie d’écrire ce petit guide du genre. Non qu’un format plus classique soit rédhibitoire mais il est vrai que le marché des livres en sciences humaines et sociales comprend traditionnellement des formes de publications plus classiques. Qui dit petit livre (par sa taille) dit aussi petit prix, et voici ce qui constitue un argument central dans nos problématiques de genre, d’inclusion, de lutte contre les discriminations et de lutte contre les violences. Si le savoir se veut transférable, accessible, il faut qu’il le soit également par les formats proposés et par un prix attractif. A 4.5€ le livre, les éditions first font un réel travail de démocratisation.
Cela étant, si l’on regarde un peu du côté des publics visés par les publications en sociologie du genre, nous faisons le constat que les livres de vulgarisation écrits par des universitaires sont rares (quelques formats, notamment de bande-dessinées, font cependant exception). Nous sommes là dans un intermédiaire intéressant : des connaissances universitaires à visée d’un public non spontanément enclin à lire de la sociologie. Pourtant, dans ce travail de vulgarisation, nous ne sommes pas certaines d’être parvenues à une forme parfaitement extérieure à nos travers universitaires (les notes en références, les définitions, les données chiffrées…). Ce livre, il faut l’assumer, est donc une « petite » entreprise de vulgarisation, de diffusion et de traduction des savoirs sur le genre, dans un contexte politique national comme international qui nécessite toutes les ressources possibles pour résister aux conservatismes.
Ce que nous voulions dire par cette expression « d’entre-deux » c’est que nous sommes dans un instant de fragilité. Certes, des conquêtes ont existé (droits des femmes, droits des minorités de genre comme de sexualité), mais ces dernières sont rendues précaires par des politiques d’austérité budgétaires et par des changements de régimes plus conservateurs, qui mettent à mal voire effacent certaines avancées. Ce qui se passe aux Etats-Unis en est un exemple flagrant, mais la France n’est pas épargnée.
Mais cet « entre-deux » n’est pas qu’un moment de fragilité, c’est aussi un moment paradoxal. Pour le dire plus nettement : si des droits ont été conquis (comme la reconnaissance de l’homophobie et de la transphobie dans le droit ou bien encore le renforcement des dispositifs contre les violences sexistes et sexuelles), les faits de violence restent assez stables. Evidemment, ceci peut masquer non pas une augmentation des violences mais des plaintes, mais les enquêtes de victimation ne traduisent pas un effondrement des expériences sexistes ou LGBTphobes. C’est dire combien cet « entre-deux » relève d’un instant décisif : si les représentations bougent et que les comportements évoluent peu ou de manière pas si significative que cela, c’est peut-être qu’un retour en arrière des droits comme des imaginaires se profile.
Donc « plus de tolérance », mais aussi « des violences persistantes, voire en augmentation » ? Comment un tel paradoxe est-il possible ?
En effet cela peut apparaitre comme paradoxal. Mais plusieurs explications peuvent être mobilisées. Premièrement le fait que la tolérance est déclarative lorsque les violences sont des réalisations concrètes qui peuvent tout à fait s’accommoder de bonnes volontés initiales. Deuxièmement, l’indice de tolérance (qui est mesuré tous les ans par la CNCDH – Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme) montre que si certaines thématiques indiquent une augmentation de la tolérance, d’autres résistent plus (comme autour du racisme). Autrement dit, que la tolérance dans son ensemble n’existe pas, et nous le constatons bien du côté des LGBTphobies lorsqu’il s’agit d’aborder plus spécifiquement la question trans. Troisièmement, soulignons qu’il suffit parfois d’un petit nombre d’intolérants pour que les violences persistent voire augmente. Les mouvements masculinistes en sont un bon exemple. Peu nombreux mais fortement constitués (notamment sur les réseaux sociaux), ils constituent une force d’influence importante aujourd’hui à destination des jeunes hommes (la série Adolescence le montre bien). Un petit nombre d’individus peut donc terroriser un grand nombre de personnes !
Une partie de votre guide s’intitule « Contours du genre », un titre qui semble dire la difficulté, encore aujourd’hui, à définir la notion de genre. Pourquoi cette entreprise est-elle si difficile ?
C’est assez étrange car cette partie est aussi une partie définitionnelle. Et les définitions provenant de partout (de la psychiatrie, de la psychologie, de la sociologie etc.) nous avons tenté d’en définir les contours disciplinaires pour mieux en souligner les imbrications. Puis nous avons choisi de partir de la triade « sexe – genre – sexualité » pour montrer combien dans tout cela le genre est premier, ou tout du moins central, afin d’inclure dans notre réflexion un champ large de thématiques. Les questions féministes, LGBTIQ, la santé, l’école… autant vous dire qu’à vouloir embrasser aussi largement nous ne pouvions que nous confronter à des difficultés définitionnelles.
Mais assez parlé de nous. Le genre n’est pas si compliqué à définir, même s’il demeure des controverses scientifiques. Car le genre existe, qu’il soit pensé comme un élément subjectif de la personne, un processus de socialisation inégalitaire, un dispositif à subvertir ou bien encore un outil de domination… ou tout à la fois (car c’est cela que nous défendons). Non, si le genre est compliqué à définir c’est moins dans l’action de définition que dans la défense de cette dernière étant donné les oppositions acharnées qui s’érigent encore et toujours face à ce concept.
Déconstruire, assouplir les normes de genre, continuent donc d’être un chantier essentiel qui nous concerne toustes ?
Le débat autour du genre et du wokisme est devenu l’un des enjeux majeurs de notre époque, révélant des tensions profondes dans nos sociétés. Le genre, loin d’être une simple catégorie biologique, est une construction sociale complexe qui influence nos identités, nos relations et nos luttes pour l’égalité. Reconnaître cette réalité, c’est accepter la diversité des expériences humaines au-delà des anciennes cases traditionnelles.
Ce que nous avons cherché à faire, c’est mettre en lumière les injustices sociales, les discriminations systémiques, et à promouvoir une société plus inclusive. Ce petit livre invite à questionner les normes établies, notamment en matière de genre, d’origines ou de classe, à travers les questions intersectionnelles. Car ce ne sont pas des catégories superposables.
Cependant, cette démarche suscite aussi des résistances, parfois nourries par la peur du changement ou la volonté de préserver des structures de pouvoir. Il est essentiel de dépasser ces polémiques. Les plateaux télé des chaînes de désinformation en continu invitent de nombreux anti-wokistes, qui passent leur temps à transformer le réel, sans qu’aucune première concernée et/ou théoriciens ne soient invités. Il est temps d’engager un dialogue constructif, fondé sur l’écoute et le respect mutuel. Pour cela, une définition commune est proposée dans ce petit livre.
Dans ce travail de déconstruction, où en est l’Ecole ? Quels progrès a-t-elle encore à réaliser ?
Ce petit livret montre à quel point le genre est protéiforme et complexe. C’est pourquoi, en premier lieu, les équipes éducatives doivent être sensibilisées afin de pouvoir répondre aux éventuelles demandes des jeunes et si besoin les accompagner au mieux. La circulaire Blanquer concernant les élèves trans, même si elle reste perfectible constitue un réel progrès. Il est important de rappeler que depuis le fiasco des ABCD de l’égalité et les mouvements anti-genre, parler de genre engendre des crispations et des attaques contre l’institution et les personnes qui la représentent.
Les programmes EVARS sont une avancée considérable. Mais il existe encore de fortes disparités entre les académies, et les référents EVARS sont dans certaines d’entre elles des personnes nommées sans connaissance, et/ou sans lien avec les référents académiques à l’égalité et aux discriminations. Pour preuve, nombre de référent·es ont commandé l’ouvrage avant même sa parution.
Soutenir les luttes pour la reconnaissance des identités de genre, c’est défendre les droits fondamentaux et la dignité de toutes et tous. C’est aussi repenser nos institutions, nos lois, et nos pratiques pour qu’elles reflètent cette pluralité. En somme, il s’agit de choisir : perpétuer des systèmes exclusifs et inégalitaires, ou construire ensemble une société où chacune et chacun peut s’épanouir librement, sans subir ni discrimination ni invisibilisation. Ce choix engage notre responsabilité individuelle et collective, dans une visée toujours éducative et pédagogique, car la santé mentale de la jeunesse est l’affaire de toutes et tous.
Propos recueillis par Claire Berest
« Ce que les « Teen series » ont à nous apprendre sur l’adolescence ». A retrouver sur le site du Café pédagogique.
« L’EVRAS : un sujet éminemment politique ». A retrouver sur le site du Café pédagogique.
