Pouvez-vous nous faire un retour sur les échanges du congrès de la FSU SNUIuipp qui vient de s’achever ?
Ce congrès aura été l’occasion de confirmer nos orientations pour l’école et de se doter de mandats forts dans un contexte international et national très complexe. Notre priorité d’une école émancipatrice qui refuse le tri social reste essentielle. Il est plus qu’urgent de donner les moyens à l’école publique de faire réussir tous les élèves et pour cela il faut donner plus de moyens à ceux et celles qui en ont le plus besoin. Des mesures doivent être prises pour revoir la carte de l’éducation prioritaire pour qu’aucun territoire ne soit oublié, je pense en particulier aux territoires ultramarins. Mais il est aussi nécessaire de changer de politique en matière de carte scolaire en baissant drastiquement les effectifs par classe, c’est la clé pour améliorer les conditions d’apprentissage mais aussi les conditions de travail des personnels.
La question de l’attractivité est aussi une question qui nous a mobilisés pendant ce congrès avec notamment un éclairage à l’étranger avec nos invitées internationales mais aussi à travers nos mandats sur la revalorisation salariale. Les négociations sur les carrières sont à l’arrêt avec le ministère, nous avons d’ailleurs écrit dernièrement à la ministre pour que le décret sur l’amélioration du déroulement de carrière entre en vigueur à la rentrée comme elle s’y était engagée.
Mais nous avons aussi beaucoup débattu des AESH, de la direction d’école, de la formation, des questions écologiques et des questions féministes mais aussi du mouvement syndical et de notre engagement dans la construction de la maison commune. Nous avons d’ailleurs organisé une table ronde avec nos camarades de la CGT Educ’ Action.
On ressort de ce congrès avec une perspective d’une journée de grève à l’automne sur le budget pour imposer d’autres choix pour l’école. Nous avons un projet pour l’école solide et ambitieux, il s’agit bien de changer l’école pour changer la société ! C’est ça qui donne du dynamisme à nos équipes sur le terrain et elles ressortent reboostées après un congrès !
A votre poste, vous avez été en première ligne, quelle évolution avez-vous observé ?
Malheureusement durant ces 5 années, je n’ai pu que constater une dégradation des conditions de travail des enseignantes et enseignants ainsi que des AESH. Il y a toujours un gouffre entre les différents ministres et le terrain. Les cabinets sont à des années-lumière de ce qui se passe dans les écoles. A l’instar de Gabriel Attal qui annonce le jour de la rentrée que désormais les élèves de CP auraient 2H30 par jour d’enseignement de la lecture … je n’ai jamais su s’il croyait vraiment ce qu’il disait … mais forcément ça fait réagir les maîtres et maîtresses de CP qui passent plus de 2h30 par jour sur l’apprentissage de la lecture. Comment peut-on être aussi hors sol quand on est ministre ?
Beaucoup de déclarations relèvent de la pensée magique. Le problème c’est qu’il y a très peu de conseillers qui sont passés par le premier degré et sa spécificité est complètement méconnue. Ils ont une vision du second degré qu’ils souhaitent appliquer au premier degré alors que nous avons un fonctionnement totalement différent. Quand dans une réunion on se rend compte qu’une directrice de cabinet (certes éphémère !) ne sait pas que nos directrices et directeurs sont aussi chargés de classe … l’échange devient complexe.
On se retrouve alors avec des injonctions totalement en décalage avec la réalité de la classe, c’est le cas des nouveaux programmes par exemple.
Au final, on a une profession qui se sent méprisée et qui tient l’école à bout de bras … mais jusqu’à quand ?
Un vœu ou une mesure pour le 1er degré ?
Le sujet majeur qui traverse l’école actuellement c’est bien évidemment la question de l’école inclusive. Vous ne pouvez pas aller dans une école sans que le sujet ne soit abordé. Nous sommes sans doute à un tournant et il faut penser à transformer l’école et nos manières de fonctionner si on veut qu’elle soit réellement inclusive, mais pour cela il nous faut des moyens !
C’est aussi pour ça que nous demandons la tenue d’États généraux sur l’école inclusive pour les tous les acteurs se mettent autour de la table. Les collègues nous l’ont dit lors de notre dernière enquête, actuellement, c’est un élément qui dégrade les conditions de travail. Nos AESH doivent être confortées dans leur métier qui est essentiel et pour cela il faut les former, les revaloriser et leur donner un vrai statut. Elles doivent être intégrées dans le fonctionnement de l’école et des équipes.
Mais il faut aussi d’autres personnels dans l’école pour réussir cette école inclusive : le modèle un·e maître·sse / une classe ne peut plus perdurer. La solitude des PE est criante, il faut des équipes pluri professionnelles avec des enseignant·es spécialisées de RASED, des psy, des assistantes sociales, des infirmières … il faut avoir différents regards sur les élèves. Mais cela demande des moyens et un véritable investissement pour l’école, ce que ne prévoit pas le gouvernement actuel.
Dans nos écoles, il y a des équipes qui font un travail remarquable pour leurs élèves mais qui ont besoin de moyens et qu’on leur fasse confiance !
Qu’est ce qui aura marqué votre mandat ?
Il s’est passé tellement de choses en 5 ans (notamment avec le passage de 7 ministres !) et beaucoup de souvenirs me reviennent ! Mais forcément la période la plus marquante aura été la gestion de la crise sanitaire de 2020 à 2022 avec de multiples réunions en visio avec le ministre et son cabinet. Cette période aura mis à mal l’école avec des protocoles mouvants et annoncés la plupart du temps la veille pour le lendemain sur les chaînes de télé par JM Blanquer. Les semaines étaient ponctuées par les annonces le jeudi soir par le président accompagné du ministre de l’Education nationale et celui de la santé. Il fallait ensuite répondre aux multiples interrogations légitimes des journalistes, ça a aussi permis de mieux faire comprendre à l’opinion publique le fonctionnement du premier degré.
Et bien évidemment je garderai en mémoire cette grève du 13 janvier 2022, portée par la FSU-SNUipp, après l’annonce d’un énième protocole sanitaire, la veille de la reprise le 2 janvier, sans aucune concertation avec le ministère. La colère des personnels était telle qu’ils se sont très majoritairement mis en grève pour dire stop ! Et ça a fonctionné, pendant la manifestation nous avons reçu un message du ministère qui nous annonçait que Jean Castex souhaitait nous voir avec Olivier Veran et JM Blanquer. Nous avons rapidement compris que le vent tournait pour le ministre et que la gestion de la crise sanitaire dans les écoles était désormais confiée au premier ministre. Le 17 janvier, le scandale Ibiza éclatait et mettait définitivement le ministre en retrait. Cela aura montré que lorsque la mobilisation des personnels est majoritaire, ça fait bouger les choses !
Et demain pour vous ?
Ah … le problème quand on occupe ces fonctions, c’est qu’on ne pense pas beaucoup à soi ! Je dirais très égoïstement que j’ai d’abord besoin de me reposer et de me ressourcer. J’ai depuis 5 ans délaissé mes proches pour me consacrer à ma fonction qui demande beaucoup de temps. Je vais aussi prendre le temps de réfléchir à ce que je souhaite faire par la suite, je ne sais pas si je retournerai dans une école, je vais m’engager dans une formation dans un premier temps. Je vais prendre le temps de travailler sur les questions éducatives, ça je sais que je ne veux pas m’en éloigner ! Les politiques éducatives sont au cœur de mon engagement depuis 30 ans et ça ne va pas s’arrêter. J’ai besoin de prendre du recul pour savoir vers quoi mon engagement peut maintenant se porter … et peut être que finalement dans quelques mois c’est l’envie de revenir en classe pour retrouver les élèves qui ressurgira !
Propos recueillis par Djéhanne Gani
