Alors que l’Intelligence Artificielle (IA) s’impose progressivement dans la société, les acteurs de l’éducation sont bousculés et ont le souhait de voir clarifiée, si cela est possible, la place à donner à l’IA. Si le cadre d’usage qui vient d’être publié déçoit les acteurs sur le plan des actions à mener, car se contentant d’encadrer, il est nécessaire d’aller plus loin. C’est ce que permet d’envisager la lecture de ce document : L’inspection générale a rendu son rapport sur l’IA en classe (L’intelligence artificielle dans les établissements scolaires, sur le plan administratif et pédagogique, N° 24-25 016B – mai 2025 ). Classique dans sa forme (synthèse et recommandations), il est particulièrement intéressant à lire sur le fond. En effet, basé sur des enquêtes de terrain et par questionnaire, saluons le fait que des éclairages plus précis sont mis à disposition tout au long de l’écrit.
Une lecture approfondie est indispensable, les recommandations ne suffisent pas
Malheureusement, il nous faut déplorer que nombre de lecteurs se contenteront de la synthèse et de la liste des recommandations, rédigées de manière trop générale. Alors qu’elles nécessitent d’aller plus près de l’enquête menée pour en comprendre l’origine, les causes et les possibilités de mise en œuvre.
Ce rapport est organisé en trois parties : la première est consacrée aux réalités de terrain, la deuxième à la question de la formation et la troisième à la nécessité d’un pilotage ouvert.
En faisant une enquête par questionnaire auprès des cadres de l’institution (72 réponses de 26 académies) et une autre auprès des enseignants (4943 enseignants de cinq académies), les inspecteurs ont pu ainsi commencer à percevoir l’état des lieux. Du côté des cadres, c’est l’impression d’une dispersion des actions engagée, trop souvent perso-dépendantes. Du côté des enseignants, l’intérêt est « mesuré »…. pour le dire autrement, il y a une sorte d’attentisme professionnel qui est complété par une curiosité intellectuelle personnelle ouvrant surtout sur des craintes, des réserves…
Au travers de leurs visites et des entretiens qu’ils ont menés avec des élèves, les inspecteurs (conscients des limites de leur exercice) nuancent la réalité des utilisations des IA par les élèves. C’est aussi la perception qu’ils ont des dérives de l’IA qui montre qu’ils sont attentifs et vigilants, au moins pour ceux qui ont été interrogés. Ainsi l’IA comme ami, l’hypertrucage, l’altération des apprentissages, les risques d’erreurs de l’IA, l’impact environnemental sont cités comme des dérives à ne pas négliger.
Ces réponses renforcent aussi la sensation d’un développement d’une forme d’angoisse face à l’évolution actuelle de la société, influencée par l’IA. Cette synthèse faite par les inspecteurs » les élèves interrogés indiquent regretter l’absence d’échanges constructifs avec la majorité de leurs professeurs, ceux-ci n’abordant souvent l’usage de l’IA qu’au travers du prisme de la fraude et de la sanction » (p.11) est révélateur de l’écart entre jeunes et adultes déjà évoqué dans le rapport des sénateurs en 2024.
Des enseignants « craintifs »
La principale catégorie d’usage de l’IA par les enseignants est la conception de séquences et séances d’enseignement. Cela s’effectue en dehors de la classe et vise un objectif : faciliter la tâche de l’enseignant : faire une progression, résumer des instructions officielles, concevoir des documents/support, faire des recherches d’information, etc.
Le rapport déplore aussi la disparition du « compte ressources » pour les enseignants, risquant de restreindre des possibilités d’usage. Il faut ajouter à cela que l’offre actuelle des Edtech reste très modeste et très fragile. Petites structures, bases financières fragiles souvent liées aux commandes de l’institution et ce n’est pas vraiment nouveau… Auprès des établissements et des enseignants cela reste souvent lointain.
Un volet particulier est consacré à l’IA adaptative. Parfois mélangé avec l’IA générative dans le texte, l’adaptatif semble constituer un horizon de personnalisation des apprentissages. Cela reste encore à l’état d’expérimentation, sauf pour un logiciel, cité dans le rapport, LALILO qui illustre justement l’usage de ce type d’IA à l’école primaire.
Une institution dispersée
Pour ce qui est de l’institution, troisième volet de ce rapport, le constat est accablant : dispersion voire concurrence entre niveaux et instances, absence de coordination, développement d’actions isolées. Il est ainsi écrit qu’il faudrait « améliorer la coordination des acteurs pour une meilleure efficience du déploiement des actions sur les territoires et le partage d’un discours commun de nature à donner une direction claire et partagée pour l’IA dans l’éducation« (p.42).
Mais ce qui est le plus significatif de ce rapport c’est la question de la place de l’échelon établissement qui amène ainsi à cette recommandation (n°5) : « Un échelon, pourtant central de la gouvernance de l’IA, reste aujourd’hui très largement sous-investi : celui de l’établissement scolaire. »
Les inspecteurs insistent fortement sur la nécessité d’un travail collaboratif au sein des établissements, qui associerait aussi les élèves et les parents autour des questions de l’IA et plus globalement des questions du numérique… Les groupes de pilotages du numérique existant dans les établissements ont un fonctionnement très peu efficace, se contentant souvent de la question des moyens…
Des contradictions au sein de l’institution
Pour conclure, il faut signaler ce paragraphe du rapport : « Le discours national est perçu comme ambigu voire contradictoire et freine le déploiement de l’éducation à l’IA sur le territoire » (p.46). Voici donc les cinq contradictions relevées par les auteurs du rapport :
- Mis en place de la « Pause numérique » (bientôt renommée « portable en pause ») contre nécessité de former les élèves à l’IA
- Former à l’IA contre la priorité incessamment rappelée des fondamentaux
- Développer l’IA et insister sur les enjeux de développement durable
- Nécessité de former alors qu’il y a absence d’outils souverains
- Opposition entre l’accélération induite par l’IA et gestion du bien être humain au sein de l’établissement et dans la société
En conclusion, un rapport riche en informations, pauvre en recommandations. Mais c’est aussi le sens que les inspecteurs généraux donnent à leur mission : porter des préconisations qui peuvent être entendues par les politiques, mais éviter d’entrer dans les zones conflictuelles autour de l’éducation et plus précisément sur l’action scolaire, disciplinaire, éducative.
Il est souhaitable que ce rapport puisse aussi donner naissance à un travail complémentaire de celui du cadre d’usage. Comme la commission européenne et l’OCDE l’ont engagé, il s’agit de donner de réelles pistes pédagogiques et didactiques pour donner sa juste place à l’IA dans l’école ce que propose le document sous-titré : « Un cadre d’alphabétisation en IA pour l’enseignement primaire et secondaire« .
Bruno Devauchelle
