Print Friendly, PDF & Email

L’arrivée des vacances correspond-elle à une modification des usages du numérique par les élèves et par les enseignants ? Tout peut le laisser penser, tant les temps de vacances sont des moments de rupture avec le quotidien de l’année. Et pourtant on remarque que pendant cette période, nombreux sont ceux qui retournent vers les écrans pour des activités variées, parfois aussi nombreuses voire davantage que dans l’année. Certains sont tentés par une cure de sevrage numérique, d’autres au contraire en profitent pour un gavage… L’évidence des machines numériques ne se soucie pas des temps de vacance ou de travail, elle se soucie d’abord des usagers et de leur manière d’être, de se comporter, de vivre en société.

Cahiers de vacances, cours de vacances et autres devoirs ont peuplé et peuplent encore ces temps d’été de nombreux jeunes. Mais désormais il y a aussi le numérique qui offre un autre potentiel de diffusion, de suivi, d’échange à quelqu’endroit que l’on soit ou presque. On peut aisément imaginer une société hyperscolarisée qui tenterait de mettre à profit ce nouveau vecteur pour poursuivre son action éducative au delà des limites antérieures. On pourrait imaginer cette société qui profiterait du numérique pour mettre fin à la vacuité intellectuelle (pas pour tous et pas de la même manière) du temps de vacances, ou tout au moins qui tenterait de faire disparaître l’effet de cette coupure d’été (et d’autres) dont on repère qu’elle a une influence sur la mémoire dès les premiers jours de l’année scolaire suivante. Imaginons ce que pourrait devenir l’ENT d’un établissement avec une telle volonté ? On s’étonne de ne pas voir ce marché se développer davantage.

Les temps de vacances permettent à chacun de se « reconfigurer le logiciel, peut-on dire pour utiliser une métaphore bien risquée.

Pour l’élève, c’est la rupture. C’est d’abord une rupture spatiale, plus besoin de se déplacer vers l’établissement. C’est ensuite une rupture temporelle, plus besoin de respecter l’emploi du temps imposé. Pouvoir gérer, au moins en partie son espace et son temps, est un des éléments clés de ces vacances. Or l’un des effets du numérique est justement de ne pas se soucier du lieu et du temps. En période scolaire, il suffit de voir l’usage de ces machines pour comprendre cela. En temps de vacances, les choses sont plus compliquées surtout pendant les grandes vacances. On peut penser que les usages sont principalement orientés vers la communication avec sa communauté d’une part, et vers la découverte d’horizons nouveaux, mais en ligne. Si vous restez à votre domicile pendant ces temps de vacances, la télévision d’abord, les écrans connectés ensuite sont des fenêtres vers « ailleurs ». Or ces fenêtres sont autant d’opportunité de découvertes, de rencontres, voire même d’apprentissages. Enfermé dans son quartier on perçoit le potentiel d’intérêt que représentent ces écrans pour lutter contre l’ennui entre deux rencontres avec des amis. Si vous avez la chance d’aller en déplacement, vous risquez d’être sollicité pour un usage fréquent des écrans. Ces sollicitations seront bien sûr liées aux activités que vous aurez organisées, mais elles sont aussi potentiellement apprenante. Les élèves, les jeunes, ont devant eux des possibles jusque là inaccessibles, les mettent-ils à profit ? Le monde scolaire ignore ces usages s’il ne les a pas imposés (devoirs de vacances). Dans certains cas il les rejette car ils considèrent qu’ils manquent de sérieux, de rigueur, certains disent même d’effort. Et pourtant il est indéniable que de nombreux apprentissages se développent et qu’ils méritent non pas une scolarisation, mais une valorisation. On se rappelle ces clubs de vacances qui offraient (peut-être encore maintenant) des ateliers d’initiation à Internet et autres activités ludo-numériques.

Pour l’enseignant c’est la recharge. Un peu à l’image de la batterie de mon ordinateur portable, l’enseignant termine souvent l’année en se disant qu’il a besoin de « recharger ses batteries ». Comme l’élève il profite de ce nouvel espace temps qu’il peut gérer sans les contraintes de l’année. Sorte d’élève inversé, l’enseignant peut enfin prendre le temps d’aller visiter tous les lieux réels et virtuels qu’il a entraperçu le temps d’un chapitre pendant l’année. Ils le disent presque tous, pendant les vacances on se met à jour. Pas une reconfiguration donc mais le souhait, parfois, de changer la version du logiciel. Cette préoccupation permanente de son activité professionnelle fait de l’enseignant un scolarisateur permanent : il transforme une visite de site touristique en cours de géologie à venir ou en étude de texte. Grace à l’appareil photo numérique, parfois simplement le smartphone, il va capter des instants et les mettre en boite pour servir dans l’année. Traditionnellement ils déclaraient en profiter pour lire, désormais il est possible qu’ils en profitent aussi pour surfer sur Internet. Ainsi les vacances restent-elles souvent un peu plus scolaires pour les enseignants que pour les élèves. Ceci sans compter sur ces enseignants qui vont simplement préparer leur année complète pour éviter la surcharge quotidienne ensuite.

Peut-on, doit-on apprendre avec le numérique pendant les vacances ? On entend déjà gronder les bataillons de vacanciers pour refuser cette idée. Et pourtant, à y regarder de plus près, le numérique est un très puissant vecteur de l’obligation d’apprendre tout le temps. Encore faut-il définir ce qu’est apprendre. En suggérant que ces apprentissages ne peuvent avoir rang dans le monde scolaire, comme nous l’avons écrit auparavant, il est indéniable que ce qui s’apprend pendant ces temps de vacances s’inscrit bien dans le cadre plus général de la réussite scolaire. La corrélation entre résultats scolaires et usage intensif des médias passifs ou ludiques nous rappelle ce problème. Ce qui est appris dans ces temps informels interfère avec ce qui s’apprend dans les contextes formels, en particulier scolaire. C’est parfois là que certains font la différence. Avec le livre (qui coute cher) c’était bien connu, avec le numérique les cartes sont rebattues. Une fois connecté, les contenus disponibles le sont pour tous, sans considération de classes sociales, de lieux de vie ou de cadre familial. On identifie là un formidable gisement de développement personnel. Mais qui en profite réellement ? Et pour quoi faire.

Les temps de vacances sont un réservoir à passions. Non contraints par l’obligation scolaire et par la pression sociale, ce sont des temps qui permettent de se libérer et de prendre « le droit d’apprendre comme on veut ». Malheureusement utiliser ce droit ne va pas de soi. Quand on regarde le potentiel d’étonnement et de curiosité des plus jeunes, en particulier à l’école primaire, on se dit que le numérique offre de véritables occasions d’apprentissage et de découverte. Mais quand on regarde comment le rapport à l’apprendre se transforme ensuite, pris entre le poids du scolaire et la peur de l’orientation/insertion, on ne peut que déplorer que cela se traduise aussi par une désaffection personnelle visible pendant ces temps de vacances.

On pouvait penser que ces temps de vacances seraient un tremplin formidable pour apprendre ce que l’on a envie, il semble que malheureusement le vécu scolaire de l’année soit tel que ce temps intermédiaire soit aussi investi par l’imaginaire de l’école. Les vacances ne sont pas des écoles inversées et souhaitons qu’elles ne le deviennent pas, au risque de l’hyperscolarisation numérique. Par contre elles recèlent un potentiel d’imagination et de curiosité qu’il faudrait bien que chacun puisse s’emparer, quitte à bousculer, au retour, les institutions. La forme scolaire aura pesé toute l’année, les vacances font aussi partie de cette forme. C’est cela qui est impressionnant au moment où le numérique offre à chacun un tel potentiel de liberté de voir que si peu en profitent; un peu toujours les mêmes….

Et si l’on profitait des vacances pour tester notre apprenance ?

Bruno Devauchelle

Toutes les chroniques de B Devauchelle