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Par Monique Royer

Alors que l’expérience de révision du bac avec Twitter fait le buzz, Monique Royer jette un autre regard sur cette expérience. Pas sur le professeur. Mais sur les élèves. Comment les élèves vivent-ils leur expérience du web 2 au regard de leur avenir de bachelier professionnel ? Comment le tweet façonne leur rapport au lycée ? Le tweet aussi c’est une affaire de classe…

La classe de Terminale Bac Pro Comptabilité du Lycée Doriole à La Rochelle est une classe de lycée professionnel ordinaire ou presque. Leur enseignante de français et d’histoire-géographie, Laurence Juin, les a initiés aux réseaux sociaux, et a utilisé les outils du web 2.0 comme outils au service de sa pédagogie. Est-ce que cela fait d’eux des élèves différents ? Un an après une première visite, le Café est revenu les voir pour en parler avec eux, échanger sur leur expérience de lycéens et de leur avenir aussi.

Notre rencontre anime le dernier cours avant les congés de Pâques, un dernier sas avant les vacances, avant les révisions et la dernière ligne droite du bac. On bouge les tables pour trouver la configuration idéale pour un dialogue impromptu. L’idée de relayer en direct l’échange sur twitter est adoptée, le nom est trouvé, ce sera #pausecafé. Morgane s’installe au clavier pour raconter en 140 caractères les temps forts de l’interaction.

Nous avons fait connaissance il y a un an lors du projet #tweetfemmes. Laurence Juin avait alors impulsé la création de binômes composés d’un élève et d’une femme qui twitte. Chaque lycéen devait réaliser le portrait de sa comparse à partir des échanges développés. Ensuite, ils ont écrit des récits fantastiques. Des deux côtés des binômes, l’expérience avait été une réussite : rentrer en contact, dialoguer, encourager, produire ; à l’abri des tweets la communication est allée au-delà d’une rencontre formelle. Parfois, le dialogue s’est poursuivi, avec le temps il s’est estompé mais le souvenir reste vivace. A l’entrée de la classe, un élève me demande « c’est vous qui nous avez donné des petites Tour Eiffel, la mienne je l’ai encore ». Ce n’était pas moi mais Delphine, twitteuse pour le Cidj. Dans l’échange, plusieurs lycéens le soulignent : Tweetfemmes est l’initiative qu’ils ont préférée.

Et des outils, ils en ont utilisés : pearltree, storify, la création et la mise en ligne de vidéo, de QR codes, tumblr ; leur maitrise du web 2.0 est impressionnante. Ils ont même créé leur Cv en ligne avec une présentation dynamique qui donne envie de mieux les connaitre. Depuis quelques jours, ils utilisent twitter pour réviser le bac, une expérience qui vaut à leur enseignante de nombreux articles dans la presse. Le Figaro, Sud Ouest, Elle, RTL, les médias se pressent. Certains élèves ont été interviewés mais cela semble les laisser froids. Leur étonnement est réel lorsqu’on leur parle de l’écho de leurs travaux numériques. La terminale Bac Pro compta de Doriole est célèbre sur le net. Ca les fait rire !

En début de séance, ils me présentent une de leurs dernières réalisations. Ils ont répondu devant la caméra à cette simple question « tu voulais faire quel métier quand tu étais petit ». Le résultat est drôle et vif, on retrouve les vocations phares des enfants : vétérinaire, acteur de film d’action, patron de chocolaterie ou encore plein de métiers à la fois. Aujourd’hui, certains ont une idée nette de ce qu’ils veulent faire. D’autres hésitent encore, comme dans toutes les classes. Trois élèves ont déjà trouvé un employeur pour poursuivre leurs études avec un BTS en alternance pour devenir assistant de direction ou aide-comptable. Une jeune fille a décidé de s’orienter vers une CAP carrosserie, une filière qui l’attire depuis longtemps. Deux garçons souhaitent eux préparer des concours pour entrer dans l’armée ou dans la police. A la question de l’avenir, tous ne répondent pas. Le bac est proche et le doute subsiste encore quant à son obtention.

Les 100% de réussite au brevet ne se reproduiront peut être pas. Les notes du bac blanc de compta viennent d’arriver et elles ne sont pas fameuses. Les élèves sont déçus pour eux et pour leur enseignante en comptabilité. « Elle s’investit tellement pour nous ». Visiblement, les relations avec leurs enseignants sont pour eux un des atouts de leur lycée. « On n’imaginait pas qu’on aurait des relations comme cela avec eux au lycée pro » précisent-ils. Depuis l’an dernier, je constate que l’image de leurs études s’est améliorée à leurs yeux même s’ils déplorent qu’enseignants de collège, parents et élèves des filières généralistes posent un regard négatif sur les filières professionnelles. Julie me dit « Ecrivez-le dans votre article, le lycée pro c’est bien ». Ils ont acquis grâce à leurs stages une expérience professionnelle qu’ils ont su valoriser dans leur CV. Ils ont exploré dans la pratique leur futur métier. Les stages ont aussi été l’occasion de renforcer les liens avec les enseignants. Twitter leur a permis de communiquer constamment avec eux, de faire part de leurs éventuelles difficultés.

Lorsqu’on les interroge sur une évolution de leurs projets liée à l’usage des réseaux sociaux, la question leur parait incongrue. Travailler dans la communication ? Ils n’y songent pas, selon eux, leur cursus ne leur permettrait pas. Les compétences acquises avec l’usage de twitter, ils préfèrent les valoriser pour chercher un stage, une entreprise support de l’alternance. Le réalisme de leurs propos est frappant. Au rêve d’enfant, ils opposent la crise et la difficulté de trouver du travail. Et puis, certains d’entre eux sont là par choix, et le rêve passe aussi par là : réussir dans une voie mésestimée mais qui réserve de belles surprises. Ils ont essuyé les plâtres du Bac Pro en trois ans, une durée trop courte pour quelques uns. « Changer le bac pro » remporte leurs suffrages. Et c’est le seul bémol entendu.

Leur témoignage est un véritable plaidoyer pour l’enseignement professionnel. Et s’ils expriment une certaine hâte de le quitter pour poursuivre leur chemin, le lycée aura été pour eux un lieu riche d’apprentissages. Dommage qu’ils n’aient pas le temps de réaliser un dernier travail avec Laurence Juin pour partager leur goût du lycée professionnel, ce serait à coup sur une belle mise en valeur d’une filière encore trop souvent méprisée.

Monique Royer

La première rencontre avec la terminale Bac Pro Compta de Doriole

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