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Par François Jarraud

Le résultat du premier tour de l’élection présidentielle est-il une bonne ou une mauvaise nouvelle pour l’Ecole ?

Si rien n’est joué, la perspective d’une défaite probable du candidat Sarkozy peut réjouir les partisans d’une rénovation de l’Ecole républicaine et les opposants à l’Ecole libéralisée du projet Sarkozy. Ce serait pour l’Ecole la fin d’une décennie de sape idéologique et économique. Mais l’Ecole française ne peut se contenter d’une simple conservation. Elle a besoin d’être profondément rénovée. On sait qu’elle n’arrive pas à doter d’un diplôme reconnu environ 150 000 jeunes dans chaque génération et que, pour les autres, l’accès au diplôme est plus fortement lié à l’origine sociale et ethnique que dans la plupart des autres pays développés.

Or les pays qui ont réussi à faire évoluer leur système éducatif sont ceux où un consensus sur les réformes nécessaires a pu apparaitre. Les experts de l’OCDE citent régulièrement la Finlande, qui a totalement rénové son système éducatif il y a plus de 30 ans ou encore, bien plus récemment , l’Allemagne. Le résultat du 22 avril rend tout consensus improbable. Il montre qu’on entre dans une période probablement longue de confrontation politique intense. Si la gauche de la gauche, malgré un très bon résultat, n’est pas en mesure de dominer la gauche, la droite conservatrice devient de façon durable l’otage de l’extrême droite. Le rapport des forces est tel que la droite conservatrice est poussée à durcir le ton et à aller chasser sur le terrain de Le Pen. La perspective des législatives peut même pousser à une recomposition à droite avec une nouvelle extrême droite encore grossie d’apports venus de l’UMP dans des fiefs où seule l’alliance avec le FN peut garantir le retour à l’Assemblée. Enfin, entre le pole social démocrate et la droite dure, le débat politique sera d’autant plus violent que la crise économique fera ses ravages. Or l’expérience de pays aussi différents que la Suisse ou les Etats-Unis, par exemple, montre que l’Ecole est, avec l’immigration, le terrain de jeu préféré de ces nouvelles extrêmes droites. Le débat sur les notes, l’apologie de l’effort et de l’élitisme, la mise à l’écart des étrangers, le contrôle sur les savoirs enseignés sont autant de thèmes porteurs pour les leaders de cette droite. Tirons en deux conclusions : le consensus nécessaire au changement sera beaucoup plus difficile à construire, la question des valeurs devient centrale.

Or quand on parle valeurs, on parle éducation. L’épisode Sarkozy a attaqué les valeurs de l’école républicaine. Et le succès relatif de la liste Le Pen chez les jeunes amène à interroger l’Ecole sur sa capacité à transmettre les valeurs républicaines. C’est oublier que, si l’exposition à l’enseignement, là aussi d’après l’OCDE, pousse plutôt aux opinions modérées, une partie de la jeunesse, plutôt celle où Le Pen fait de bons scores, est déscolarisée tôt. C’est oublier aussi que l’école n’est pas la seule à transmettre des valeurs, il y a celles de la famille, du groupe des pairs et de la classe. Et elles peuvent entrer en conflit avec celles d’une école qui n’est pas non plus socialement neutre. C’est pourquoi la question des valeurs défendues par l’Ecole n’est pas que philosophique. Défendre les valeurs de l’Ecole c’est aussi faire en sorte que tous en tirent profit. Un sacré défi à relever.

François Jarraud