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Au collège Eclair Robert Doisneau de Clichy-sous-Bois (93), le mot d’ordre c’est de choisir son orientation. Pour refuser l’orientation subie, Fabien Audy, professeur de SVT, référent découverte professionnelle et préfet des études, a développé des projets originaux. Dans cette commune particulièrement défavorisée, la découverte de l’entreprise peut-elle aider les élèves à échapper à leur destin ?

Jeune professeur , Fabien Audy est déjà une référence pour son engagement et la variété des projets montés dans le collège Doisneau de Clichy-sous-Bois. En 2005 c’est de Clichy-sous-Bois qu’était partie la révolte des banlieues et la commune fait partie des villes les plus pauvres de France. Au collège Doisneau, un parcours de découverte des métiers est proposé dès la 5ème aux élèves. L’option Découverte Professionnelle DP 3 est proposée à tous les élèves dès la 4ème et particulièrement aux élèves démotivés. Des projets locaux ouvrent le collège à son environnement économique, par exemple les entreprises de la téléphonie pour « Mobi3 ».

Est-il vraiment utile de faire réfléchir des collégiens à leur futur métier ?

La plupart des collégiens feront des études plus ou moins longues. Ce travail de découverte des métiers est un moyen d’élargir leurs connaissances et de créer des envies. Ils découvrent aussi que les parcours de vie sont compliqués avec des changements de formation. C’est donc leur dire qu’ils auront des choix à faire en leur présentant un éventail de possibilités mais sans leur demander de choisir maintenant. Ce n’est pas un couperet. C’est leur donner la possibilité en fin de 3ème de faire un choix en développant leur projet personnel et en ayant une meilleure connaissance. Cela évite le choix par défaut qui est source de démotivation. Ils se projettent dans des études. Peu d’élèves peuvent citer des métiers qu’ils ne côtoient pas. Il est donc nécessaire d’éveiller leur curiosité et d’élargir leurs connaissances. C’est possible aussi par exemple avec l’opération « un jour un métier » où les collégiens passent une journée en entreprise.

Il est important aussi de faire travailler les élèves sur le genre. Avec le projet « Déployons nos Elles » nous faisons intervenir des professionnelles au collège puis visiter l’entreprise. Dans l’entreprise, les élèves interrogent les salariées. Les collégiens découvrent des parcours et des métiers inattendus. Cela permet de remettre en question les stéréotypes.

Vous êtes professeur de SVT. Comment cela peut-il s’articuler avec les cours ?

En 5ème le programme se prête à des études allant en ce sens. Par exemple pour l’étude du corps humain et de l’alimentation en SVT, je fais intervenir une diététicienne et un psychologue. Quand on travaille sur l’eau on peut étudier le métier de technicien en hydraulique. Ce n’est pas une perte de temps car les compétences développées dans ces études se retrouvent dans les disciplines : s’exprimer à l’oral par exemple. En découvrant des métiers et des entreprises les apprentissages scolaires deviennent plus concrets. Finalement ça valorise les disciplines.

Comment fait-on pour faire intervenir des professionnels ?

A Clichy je m’appuie sur le Programme de Réussite Educative (PRE) et l’atelier santé de la ville. Les intervenants sont rémunérés dans le cadre de ces dispositifs. Ca fait partie des ressources du territoire. Il faut aller chercher les bons partenaires dans l’environnement du collège. Au collège on a développé des liens solides avec l’environnement économique.

Dans plusieurs projets les entreprises entrent au collège. C’est une bonne chose ?

Pour la découverte des métiers cela rend plus concret le travail des élèves. Par exemple, une directrice des relations humaines leur explique ce qu’il faut mettre dans un CV et ce qu’il faut éviter. Elle explique que la maîtrise de l’anglais est une prime pour trouver un emploi. Ce réseau d’entreprises est aussi mobilisé pour les stages.

Mais certains projets sont pilotés par les entreprises. Ce n’est pas aller trop loin ?

Dans le projet Mobi3, nous travaillons avec 4 entreprises du secteur de la téléphonie mobile et les élèves de 4ème. Ils doivent concevoir un nouveau mobile, en décrire la fabrication et développer le plan de vente. Ils s’affrontent avec d’autres collégiens dans un concours passionnant. Il y a un réel échange entre les collégiens et les professionnels. Les élèves apprennent beaucoup. Le plus compliqué pour eux c’est de découvrir les codes de communication avec les professionnels. Dans ce projet tout un travail est fait sur la tenue vestimentaire, sur l’élocution. Ils apprennent à s’adapter et ça fait évoluer leur comportement. Ils découvrent aussi le travail d’équipe, la convivialité, la prise d’initiative. Cela leur redonne confiance en eux.

C’est important de travailler le comportement ?

A Clichy-sous-Bois, il n’y a pas d’ambiguïté : oui c’est important. C’est évidemment un élément des compétences officielles. Mais cela va aussi de pair avec une certaine rigueur qui se retrouve dans le travail scolaire et participe de la construction de l’élève. Ils apprennent aussi à s’évaluer, à s’engager dans un projet.

Au final, ce travail sur l’orientation n’est-il pas un leurre au regard des vrais décisions d’orientation ?

On avait 120 élèves en DP3. Au final nous n’avons eu cette année qu’un seul élève non affecté au 1er tour en fin de 3ème (NDLR : ce qui est très peu pour le 93 où chaque année des centaines d’élèves ne sont pas affectés). Tous les élèves vont établir des voeux conformes à ce qu’ils souhaitent. J’ai le sentiment qu’ils sont majoritairement satisfaits de leur orientation.

Propos recueillis par François Jarraud