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Publié par Le Monde, le « Bilan de la mise en oeuvre des programmes de l’école primaire de 2008 » réalisé par l’Inspection générale met en cause les enseignants. Selon l’inspection, c’est le manque de connaissance et de formation des enseignants qui sont responsables des écarts de niveau et du bas niveau des élèves. L’Inspection valide les programmes de 2008 et demande que les prochains soient situés dans leur continuité. Elle préconise de mieux articuler le socle et les programmes. Elle demande surtout un effort de formation des enseignants et la généralisation de tests d’évaluation centralisés pour suivre chaque école.

Un rapport à charge

Ce n’est probablement par hasard si, à la veille de la publication des résultats de l’enquête internationale PISA, que l’on nous annonce très mauvais, ce rapport de l’inspection générale sur les programmes de 2008 fuite. Alors que le public va s’interroger, à juste titre, sur le déclin scolaire, le rapport apporte mieux que des réponses, des responsables : les enseignants. Les programmes de 2008 avaient été très critiqués lors de leur publication entre autres raisons parce qu’ils rompaient violemment avec une évolution didactique lancée en 2002. On aurait pu interroger les programmes et ses mystérieux auteurs dans la baisse de niveau des élèves. Mais selon l’Inspection, les programmes ne sont pas en cause.

Le rapport égrène les lacunes des enseignants. « Ce ne sont pas seulement les programmes de 2008 qui sont en cause. La présente enquête met en évidence à la fois la conscience d’une obligation qui pousse au respect des programmes et la lecture très particulière qu’en font les maîtres : certains domaines sont négligés alors que d’autres sont traités avec obstination y compris quand les enseignants ont le sentiment – et la preuve par les évaluations – que, ce faisant, ils accomplissent un travail inefficace », écrit le rapport.  » L’observation des pratiques et des traces d’activités des élèves convainc que les maîtres ne disposent pas, pour la grande majorité d’entre eux, des outils conceptuels et didactiques pour mettre en oeuvre les programmes tels qu’ils existent et même s’ils étaient allégés, et pour donner à leur enseignement toute l’efficacité attendue… La majorité d’entre eux manquent de connaissances, ne perçoivent pas la langue comme un système et n’ont pas la vue d’ensemble qui leur permettrait d’établir une hiérarchisation entre les notions à étudier, une progression, des relations fructueuses entre domaines. » Dans la conclusion du rapport, les inspecteurs remettent une couche :  » La qualité disparate de la mise en oeuvre des programmes s’explique par le niveau de maîtrise très hétérogène des outils conceptuels et didactiques par les professeurs des écoles, pour mettre en oeuvre les programmes tels qu’ils existent… Le déficit de formation continue autour des programmes, et plus largement en matière de didactique des disciplines, est patent ». Quant à l’intérêt de faire des programmes apparemment inaccessibles ou incompréhensibles pour les enseignants, la question n’est pas abordée…

Des difficultés repérées

Le rapport a au moins l’intérêt de mettre en évidence l’écart entre les prescriptions et les usages réels de la classe, même 5 ans après la publication des programmes. Face à ces nouveaux textes, les enseignants s’acharnent à appliquer les programmes mais souvent sans en avoir les moyens. Ils utilisent de nombreuses ressources pour aider les élèves. Ca agace d’ailleurs beaucoup les inspecteurs qui dénoncent la profusion de photocopies et le recours à des sites Internet d’enseignants non labellisés par eux.  » Les inspecteurs regrettent le manque d’appropriation véritable et d’esprit critique face aux supports empruntés dont certains n’ont reçu aucune validation (sites de pairs par exemple) », note le rapport.

Mais, même si le rapport n’apporte pas réellement de solutions, il a l’avantage de souligner des faiblesses réelles qui expliquent les difficultés des élèves. C’est particulièrement net en français qui reste l’obsession des enseignants et la matière à laquelle ils consacrent le plus de temps, souvent au delà des indications officielles.

Ainsi le rapport souligne la faible prise en compte des difficultés en lecture.  » L’enseignement du code et de la combinatoire est souvent devenu l’affaire du seul CP avec un manque de suivi approfondi au CE1, une absence du renforcement nécessaire pour parvenir à l’automatisation, seul gage de plein succès en lecture. Les élèves les plus faibles ne sont pas pris en charge à proportion de leurs besoins dès cette seconde année du cycle 2, ce qui fait dire à certains inspecteurs que le début du « décrochage » date de ce moment-là ».

C’est surtout la compréhension des textes qui est délaissée au bénéfice du seul déchiffrage et de la « fluence ».  » Ce que doit être l’enseignement de la compréhension est encore mal assimilé. La découverte des textes, quand la maîtrise du code commence à s’installer, n’est pas enseignée avec méthode. La compréhension est traitée, en collectif, de manière superficielle et globale, sans distinction entre les composantes cognitives de niveaux différents qui la constituent. Pour les maîtres eux-mêmes les stratégies que les élèves doivent mettre en oeuvre pour apprendre à comprendre ne sont pas explicites… L’observation conduit à relativiser les discours sur la compréhension : elle n’est guère enseignée, même si les élèves sont soumis fréquemment, parfois quotidiennement, à des questionnaires sur des textes. » Pour l’inspection, cela tient aux lacunes des enseignants… Ce qui frappe dans ce domaine de la lecture, c’est que la majorité des maîtres ne dispose pas des cadres théoriques minimaux, ce qui ne leur permet pas d’être lucides quant à leurs pratiques. Ils ne différencient pas les composantes des compétences de compréhension et ne peuvent donc pas les faire travailler explicitement. Ils n’ont guère de repères pour juger de la complexité des textes qu’ils proposent et n’ont souvent de critères de choix que la longueur ou le thème : sur cette base, ils ne peuvent pas penser des « progressions » mais seulement des « programmations ». Ils cloisonnent les situations : la lecture à haute voix n’est que très rarement mise en relation avec la problématique de la compréhension.  » Pour l’inspection il est urgent de réfléchir à cet enseignement.

L’écriture est aussi insuffisante.  » 92 % des maîtres interrogés estiment travailler de manière satisfaisante la copie, et 94 % la dictée. Pour la rédaction, ils ne sont plus que 52 % à porter ce jugement favorable sur leurs pratiques… Des inspecteurs qualifient les activités graphiques et de copie d’activités bouche-trou ; ils indiquent ainsi que le maître intervient peu et n’accorde guère d’importance à ces tâches qui relèvent d’un rite scolaire et ne sont pas perçues dans ce qu’elles peuvent avoir de formateur. »

L’oral et le vocabulaire sont deux activités délaissées par les enseignants qui ne savent pas trop comment faire. L’orthographe absorbe beaucoup de temps scolaire mais l’orthographe grammaticale reste faible, souligne le rapport. Le rapport n’hésite pas à parler de « panne didactique » pour l’enseignement du français.

Faut-il s’étonner que l’enseignement des langues vivantes, devenu obligatoire, soit très éloigné des instructions officielles ? Il ne suffit peut-être pas de rendre cet enseignement obligatoire pour qu’il devienne effectif… Selon le rapport, les enseignants ne respectent pas les horaires officiels.

En maths, les auteurs du rapport félicitent ceux des programmes…  » ces programmes ont permis de renouveler des questions didactiques et pédagogiques fondamentales, dont l’une était d’ailleurs donnée comme principe dans les quelques lignes précédant les listes de connaissances : « L’acquisition des mécanismes en mathématiques est toujours associée à une intelligence de leur situation » ». Mais voilà, les enseignants se libèrent de ces excellents programmes.  » L’accroissement des connaissances à maîtriser en fin d’école a finalement peu fait débat, non pas parce qu’il a été accepté et compris mais parce que les maîtres s’en sont affranchis », note le rapport. S’il note des progrès en calcul, les activités de résolution de problèmes restent insuffisantes.  » L’apprentissage de la résolution de problèmes est insuffisamment intégré aux autres enseignements ; il figure encore à part sur certains emplois du temps. Il ne semble pas suffisamment structuré et fait par exemple rarement l’objet d’une progression. La phase de « correction » des problèmes, trop souvent limitée à la traditionnelle forme collective, ne fait pas l’objet d’une approche différenciée selon les élèves ».

On en arrive alors aux disciplines maltraitées. Le rapport souligne que les enseignants utilisent pour eux largement le numérique. Mais les élèves l’utilisent très peu : 54% jamais, 10% fréquemment. L’éducation à la responsabilité et la communication sont particulièrement délaissés.

Vers le pilotage par les tests ?

Dans ses préconisations, le rapport invite à mieux articuler le socle et les programmes et de mieux définir, de façon plus explicite, les contenus d’enseignement attendus. Il demande de la continuité avec les programmes de 2008 alors que ceux ci rompaient avec les programmes de 2002.

Surtout il demande la mise en place d’un système d’évaluation centralisé permettant de suivre chaque enseignant.  » La définition, concomitante à la rédaction des programmes et de manière bien articulée avec elle, d’un dispositif national d’évaluation du niveau des élèves. S’ils sont libres de leurs méthodes pédagogiques, les enseignants doivent être aidés dans l’appréhension précise des connaissances et compétences attendues des élèves. La production centralisée d’exercices d’évaluation dans tous les domaines est de nature à expliciter au mieux ces attendus. Dans les deux domaines fondamentaux du français et des mathématiques, une standardisation des conditions de passation et un relevé des résultats des classes et/ou des écoles permettraient aux inspecteurs de mesurer l’efficacité ou les difficultés rencontrées par les équipes pédagogiques et d’assurer un accompagnement adapté ». Ces systèmes de tests centralisés sont déjà en usage dans le monde anglo saxon où on a pu observer les conséquences négatives.

Pour aider les enseignants, qui selon le rapport manquent cruellement de formation, le rapport préconise une formation à distance.  » C’est à l’éducation nationale de proposer un accompagnement pédagogique en ligne de qualité, vers lequel les enseignants auront naturellement envie de se tourner ». Il envisage des plate formes d’échanges mais sous contrôle.  » Des plates-formes d’échanges sont à encourager, qui permettraient des discussions, des partages d’outils ponctuels comme de scénarios pédagogiques. Sans envisager de valider nécessairement tous les objets échangés, il paraît pertinent que des avis et des précautions d’usage soient donnés par des formateurs ou par des chercheurs ». Et par des inspecteurs ?

François Jarraud

Le rapport