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En parlant « d’apartheid territorial, social, ethnique » pour désigner la situation que vivent certains jeunes des banlieues, le premier ministre récolte une avalanche de critiques aussi bien dans les milieux politiques que dans les médias. Pourtant le premier ministre a raison. Cet apartheid existe bien à l’école. Refuser de le voir c’est participer à son institution.

A vrai dire il est facile de démontrer l’existence de cet apartheid. On sait qu’il vaut mieux vaut s’appeler Augustin, Marin et Henri pour avoir le bac S. Ou Sixtine, Anouk et Capucine pour le bac ES. Alors que pour le Bac STG Ahmed, Amel, Nadia ou Youssef suffisent. On voit, quand on visite les lycées professionnels, des établissements où la grande majorité des élèves appartiennent à des « minorités visibles » comme on dit poliment dans l’éducation nationale. On retrouve la même ségrégation, inversée, dans certains lycées de l’ouest parisien.

Un an avant les émeutes de 2005, Georges Felouzis levait le voile dans une étude sur les collèges de Gironde. Il s’en expliquait au Café pédagogique. « On observe en effet de la ségrégation au collège et certaines origines en sont plus victimes que d’autres : c’est plus net pour les personnes originaires du Maghreb, d’Afrique noire ou de Turquie. Peut-on parler de discrimination ? Oui et non. Oui car cela crée une situation sociale qui produit une identification de l’individu sur une base ethnique qu’il soit allochtone ou autochtone. Dans les collèges, on observe que ça incite à produire des identités centrées sur l’ethnicisation. Ca peut produire une lecture de la société en terme de relations raciales. Mais ce n’est pas le fruit du racisme. C’est diffus : la cause principale en est la ségrégation urbaine. Ces collèges recrutent dans des zones caractérisées ethniquement. Il faut être clair : ce n’est pas parce qu’il y a du racisme à l’école qu’il y a ségrégation mais parce que des mécanismes sociaux entraînent mécaniquement le rejet de l’autre. Par exemple les familles sont rarement racistes. Mais elles craignent la violence pour leurs enfants. Elles veulent un bon niveau. Et donc elles ont des stratégies de contournement de certains établissements. C’est cette situation qui crée le racisme car elle impulse des identifications ».

Beaucoup plus récemment, il commentait l’énorme écart de score en France entre les jeunes issus de l’immigration et les enfants autochtones. « Le fait que le handicap scolaire des élèves migrants reste aussi fort lorsqu’on prend en compte leur origine sociale montre le poids du déterminisme social lié à l’origine migratoire. Ce déterminisme est d’autant plus marqué que la ségrégation scolaire se construit en grande partie sur des critères ethniques. … La ségrégation scolaire se construit en grande partie sur des critères ethniques car le choix de l’établissement et l’évitement de certains collèges se fait à partir des caractéristiques externes et visibles du public des établissements. Et dans ce cas, le critère ethnique devient très fort… La ségrégation en fonction de l’origine ethnique des élèves est bien plus marquée qu’en fonction de leur origine sociale ou économique. Et cette mise à l’écart est un facteur déterminant de leur piètre acquis scolaires relativement aux natifs ».

Cet apartheid ne signifie pas que les enseignants soient racistes. Ils sont probablement la catégorie sociale la moins atteinte par cette gangrène. Ce que montre très bien G Felouzis c’est que l’apartheid est systémique. Il n’est pas lié au racisme. Il ne découle pas non plus de l’écart culturel entre l’école et les familles. « Le modèle de la discontinuité culturelle reste valide », nous disait G Felouzis il y a quelques mois. « Mais il ne permet pas d’expliquer la hausse des inégalités depuis 20 ans. La discontinuité culturelle entre l’Ecole et les familles n’a pas augmenté en 20 ans. Ce sont les discriminations systémiques qui peuvent expliquer la hausse des inégalités. Par discriminations systémiques on entend les inégalités d’opportunités d’apprentissage. On dit que l’Ecole française est indifférente aux différences et que c’est un facteur d’inégalités. Mais on observe que l’Ecole est loin d’être indifférente. On s’aperçoit que la ségrégation scolaire est très forte y compris dans l’enseignement obligatoire et même qu’elle s’accentue. La séparation sociale dans les établissements augmente et cela a des conséquences sur les apprentissages. Dans les établissements ségrégés les conditions d’apprentissage sont moins bonnes. On ne donne pas les mêmes chances à tous les élèves. C’est un facteur d’inégalités très fort. »

Alors les propos de Manuel Valls nous apportent un peu d’espoir. On pouvait craindre que l’Ecole réagisse à la mise en évidence de la fracture culturelle et ethnique seulement par un appui à l’enseignement moral et civique. Celui ci est indispensable et l’enseignement du fait religieux, déjà présent de la 6ème à la terminale, doit aussi être ravivé. Les propos de M Valls l’engagent à rendre les valeurs républicaines crédibles. C’est à dire à passer aux actes et à agir pour que l’école soit moins ségrégative.

Comment faire ? Les travaux de G Felouzis, ceux qui ont été menés à la demande de la région Ile de France sous la houlette d’Henriette Zoughébi mettent en évidence les mécanismes ségrégatifs. Il convient de s’attacher à les démonter par une politique volontariste de soutien à l’éducation prioritaire, de mixité sociale et de développement de l’offre scolaire dans les quartiers. Il faut arrêter d’apporter des moyens là où il y en a déjà beaucoup et les orienter là où ils manquent. Il faut que la promesse républicaine d’égalité et fraternité soit visible par les familles. Les propos de M Valls donnent à espérer que l’Etat se donne les moyens de cette politique.

François Jarraud

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