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Comment transposer à l’écran une vieille légende chinoise et toucher le cœur des spectateurs d’aujourd’hui ? En adaptant librement un texte issu de la tradition orale, le jeune réalisateur Pascal Morelli et son scénariste, Jean Pêcheux, n’ont pas froid aux yeux. Au-delà de la prouesse du film d’animation à la pointe de la modernité technologique, les auteurs réussissent à créer un univers fabuleux, peuplé de personnages, dotés à la fois d’un caractère héroïque et d’une autodérision salutaire. Les yeux écarquillés devant la splendeur de paysages grandioses, le raffinement des décors et la flamboyance colorée des temples et palais, nous suivons, dans l’Empire de la Chine du XIIème siècle, les aventures extraordinaires de deux adolescents, un prince et une mendiante, accompagnés d’un moine protecteur, tous trois affrontant la terreur supposée de monstres protéiformes. Et « 108 Rois-Démons », belle animation à gros moyens, nous offre l’épopée foutraque d‘une bande de ‘robins des bois’ révoltés contre l’injustice. Ne boudons pas le plaisir, teinté d’ironie, de voir triompher les forces du Bien.

Le souffle de la légende

Les premiers plans de l’animation installent d’emblée une atmosphère de légende : de la puissance du souffle du vent battant le ciel et la montagne au clair-obscur d’une forêt touffue au bord d’un fleuve au sombre miroitement, non loin du palais impérial, de la nature imposante à l’assassinat de l’empereur par le traitre Gao. Le décor planté, l’initiative du moine Zhang-le-parfait (qui sauve le jeune et naïf prince héritier d’une tentative d’empoisonnement) le conduit, en compagnie du précieux rescapé, à fuir à travers montagnes et villages. Le vieil homme et son protégé rencontrent en chemin Pei Pei, une petite fille intrépide, entre Cosette version joyeuse et conteuse monnayant ses bobards fabuleux. Comment le jeune Prince Duan, aidé par ses deux co-équipiers, perd son embonpoint et son innocence, en croisant la route d’une bande hétéroclite de va-nu-pieds, combattants rusés, en lutte contre les oppresseurs de tous poils, nous ne vous le conterons pas. Il convient, en effet, de ménager les effets de surprises, parfois saisissants, auxquels les multiples rebondissements de la fresque confrontent les spectateurs ravis.

Une dimension mythologique universelle

Les douze travaux d’Hercule, le voyage d’Ulysse, la chanson de geste de Roland ou les exploits de Robin des bois…autant de parcours initiatiques et légendaires qui entrent en résonance avec cette étrange aventure mettant en scène « 108 Rois-Démons ». La trame de cette animation inventive s’inspire de l’immense livre (1 700 pages) ’Au bord de l’eau’, issu de la tradition orale chinoise, bâti au fil des siècles et compilé pour la première fois au XIVème siècle par un lettré, Shi Nai’an. Le cinéaste Pascal Morelli, en travaillant au scénario et aux dialogues avec son complice Jean Pêcheux, est porté par une exigence essentielle : « ce monument de la littérature chinoise est peu connu en Occident ce qui rend très attrayant le projet puisqu’il s’agit de l’amener vers un nouveau public ». Pour cette première animation d’initiative française coproduite avec la Chine, les créateurs réalisent en effet le tour de force de faire émerger une œuvre mêlant le film d’aventures, la fresque épique, le ‘cartoon’ plein de drôlerie et la reconstitution historique très documentée. Ils parviennent aussi à susciter proximité et sympathie envers Vipère-jaune, Tête-de-Léopard, Tourbillon-Noir, et autres hors-la-loi au grand cœur, à la main leste et à l’humour ravageur. Et le geste poétique ne nous empêche pas de percevoir en filigrane la dimension historique : le récit légendaire, fruit de nombreuses adaptations dans son pays d’origine, se nourrit aussi de la vraie histoire, celle de Song Jiang, célèbre bandit à la tête de révoltés contre l’administration de l’empereur au début du XIIème siècle.

Au service de la création

Pareille réussite est le résultat d’un travail considérable du script à la réalisation. Outre les prises de vue naturelles, les décors imitant les estampes chinoises, le choix de couleurs chamarrées, la splendeur des paysages et des styles de constructions suggèrent le contexte asiatique de l’époque. En reprenant le procédé utilisé en 2011 par Steven Spielberg pour « Les aventures de Tintin : le secret de la Licorne », le réalisateur capte les mouvements de vrais acteurs, lesquels servent de support à des images de synthèse habillant et grimant les personnages et leurs visages. En plus de cette gestuelle des corps, il choisit de conserver le regard. Fruit de ce cocktail insolite d’inventions techniques et de partis-pris esthétiques : un conte doté d’un charme fou et une leçon à méditer : ‘Les mots sont plus forts que les épées !’.

Samra Bonvoisin

« 108 Rois-Démons », film d’animation de Pascal Morelli-sortie le 21 janvier 2015