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Face au surgissement d’un événement hors du commun, catastrophe naturelle ou danger de mort, comment des êtres humains se comportent-ils ? Obéissent-ils au réflexe du sauve-qui-peut ? A quelles conditions des logiques de solidarité se mettent-elles en branle ? Pour évoquer de tels questionnements, le cinéaste suédois Ruben Östlund imagine une fable moderne au charme vénéneux : un couple et leurs deux enfants en vacances à la neige sont confrontés à une avalanche pleine de menaces. Et, sous les apparences trompeuses du fait divers sans conséquence, nous assistons, dans un déluge de poudreuse, à des remises en cause en cascade : fondements de la famille, mise à l’épreuve des valeurs de sang-froid et de courage, vertus de l’affection, solidité des liens de fraternité. A travers la rigueur et le brio d’une mise en scène au cordeau, « Snow Therapy » nous invite, dans le sillage neigeux de ses protagonistes tourmentés, à retrouver notre humaine condition, faite de partage et de solidarité.

Instantanés lumineux

A peine arrivés dans la superbe station française des Arcs, un beau couple de suédois souriants et leurs jeunes enfants rieurs prennent la pose en haut des pistes ensoleillées pour un cliché conformiste d’un bonheur affiché. Les premiers plans de l’ensemble hôtelier fonctionnel construit dans les années cinquante, lové au creux d’une grande masse montagneuse et enneigée, coïncident avec l’impression dominante de calme et de maîtrise. Tout ici respire les vacances confortables de vacanciers aisés loin des tracas trépidants de la vie active. Le récit, étalé sur cinq jours, paraît au début rythmé de façon monotone et normative par les rituels quotidiens d’une famille où se renouent les liens d’amour entre le mari et sa femme et les relations d’affection et de tendresse avec leur progéniture, dans un contexte paisible favorable au partage. Le climat harmonieux manque cependant d’aspérité et d’entrain au point de semer le doute sur l’authenticité des rapports au sein de cette famille ‘modèle’.

Avalanche soudaine, séismes en tous genres

Assise à la table d’un restaurant en terrasse, la famille de skieurs voit fondre sur elle une gigantesque coulée de neige à la blancheur opaque et se rapprocher tout près au point d’envahir le cadre et d’obstruer notre champ de vision. Nous avons cependant le temps, en un éclair, de voir la mère chercher à protéger ses enfants et le père prendre ses jambes à son cou en abandonnant son monde. Ainsi en quelques secondes, les personnages sont-ils passés de l’émerveillement à l’épouvante et, sous nos yeux, le contrat du couple s’est-il brisé en une fraction de seconde. L’alerte a été rude mais la masse neigeuse s’est arrêtée au pied du bâtiment. Le danger est écarté. L’avalanche n’en finit pas cependant de déclencher des catastrophes en cascade. L’homme, Tomas, dans le déni de sa réaction, semble dans un premier temps incapable d’en saisir la portée face à son épouse, Ebba effarée par la lâcheté de son mari. La prise de conscience du caractère révélateur d’un tel comportement entraîne une redéfinition des rôles au sein de la famille. Elle porte en germe également, au fil des rencontres avec quelques couples d’autres vacanciers, des séismes intérieurs et des remises en cause en profondeur sur la nature des relations entre les êtres humains, ce qui les sépare, ce qui les unit. Sans déflorer le suspense de cette fable d’aujourd’hui, il faut souligner l’habileté et la pertinence des épreuves imaginées par le réalisateur et traversées par ‘l’anti-héros’ et les personnages principaux. Au terme d’une expérience hors du commun, dépassant largement la prouesse sportive et la victoire sur les dangers de la nature, « Snow Therapy » nous convie à une marche à pied sur le bitume sinueux d’une route de montagne descendant vers la vallée. Là, chacun chemine à côté d’un autre, bientôt débarrassé de son enveloppe sociale et renoue en silence avec l’esprit de solidarité.

Mise en scène au scalpel

Séquences découpées, recours systématiques au plan large, stylisation des formes rectilignes et des couleurs (accentuation de la blancheur, métallisation du bleu, contrastant avec le marron des constructions), les partis pris esthétiques de Ruben Östlund donnent naissance à un fantastique de la réalité, de l’apparition d’une montagne dans sa majesté tranquille à son mouvement tellurique et terrifiant, du sourire figé au sanglot du père déchu, des masques sociaux des hommes ivres aux visages blêmes des marcheurs débarrassés de la malédiction neigeuse. Au-delà du caractère ostentatoire de la démarche et du perfectionnisme formel, le message philosophique de « Snow Therapy » prend une dimension universelle, à l’heure où des événements tragiques, survenus dans notre pays, portent atteinte à l’idée même de fraternité entre les hommes.

Samra Bonvoisin

« Snow Therapy », film de Ruben Östlund-sortie le 28 janvier 2015

Prix du jury, Sélection officielle ‘Un certain regard’, Cannes 2014