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La France n’est pas une exception. De nombreux pays s’interrogent sur l’efficacité du redoublement et surtout sur les solutions de remplacement pour les élèves en échec. La conférence de consensus qui se tient à Paris les 27 et 28 janvier sous la houlette du CNESCO (conseil national d’évaluation du système scolaire) a ouvert sa seconde journée par des éclairages étrangers. Il en ressort que personne ne possède de solution miracle. Mais que les réponses sont à rechercher du côté de la pédagogie et de l’accompagnement des élèves. Sans oublier de s’assurer l’adhésion des professeurs pour qui le redoublement reste souvent un pis-aller, faute de mieux.

Au Luxembourg…

Après le choc Pisa de 2001, le Luxembourg a pris le problème à bras le corps. Alors même qu’il détient l’un des taux record de redoublement de l’OCDE, le duché découvre alors que ses élèves enregistrent de piètres résultats et qu’en plus, l’ascenseur social ne fonctionne pas. Une expérimentation est alors lancée dans des établissements volontaires. A la tribune de la conférence, Joseph Bertemes, directeur du service chargé de la recherche et de l’innovation (le SCRIPT) au ministère luxembourgeois de l’Education, en a détaillé les réussites et les limites aussi.

En passe d’être généralisée, l’expérience porte sur le collège. Les deux premières années, le redoublement est supprimé. L’équipe enseignante est réduite, chaque professeur dispensant deux ou trois matières. La priorité est donnée à «un suivi plus rapproché des élèves, explique Joseph Bertemes, ce qui permet une remédiation plus précoce». C’est en troisième année que commence la différenciation des élèves, avec notamment le choix de cours plus ou moins avancés en maths – à la fin de l’école fondamentale (ou obligatoire), il existe déjà trois filières en Luxembourg. Cette année-là, le redoublement volontaire est autorisé, souvent pour des questions d’orientation. On constitue même des classes de redoublants.

En conclusion, Joseph Bertemes a évoqué des résultats nuancés. «On a enregistré un impact positif très fort pour les élèves les plus performants, a-t-il expliqué, un impact moindre pour les plus faibles, et un effet pratiquement nul pour les décrocheurs ou les potentiels décrocheurs». Dans les enquêtes Pisa qui ont suivi, les élèves luxembourgeois ayant suivi ce dispositif devançaient en tout cas leurs camarades issus du cursus traditionnel.

Le chercheur en a tiré plusieurs conclusions D’abord, «la réduction du redoublement ne conduit pas nécessairement à une dégradation des performances scolaires». Il existe toutefois une condition sine qua non à cela: que l’on réinvestisse dans le système les ressources consacrées jusqu’alors au redoublement – autrement dit, que l’on n’en profite pas pour faire des économies… Enfin, avant de lancer de nouveaux dispositifs, il faut l’assentiment des enseignants, «facteur essentiel» pour que ça fonctionne. Reste, bien sûr, le problème des décrocheurs qui n’est pas réglé.

Les fonctions latentes du redoublement

Le chercheur belge de l’université catholique de Louvain, Hugues Draelants – «je suis sociologue, personne n’est parfait», s’est-il excusé en se présentant… – s’est, lui, arrêté sur l’attitude des enseignants face au redoublement. Une idée répandue voudrait qu’ils en soient les premiers partisans, par paresse ou par manque d’imagination. Le sociologue a décrit une réalité plus complexe, parlant d’ «un attachement pragmatique» plutôt qu’une adhésion profonde.

Hugues Draelants est parti d’un paradoxe observé en Belgique, pays longtemps adepte du redoublement à outrance. Alors même que les études des experts en pointaient l’inefficacité, voire la nocivité, et que les politiques avaient décidé de le limiter, la pratique s’est largement poursuivie. Comme si les professeurs n’avaient pu se résoudre à l’abandonner. Et la réforme a en bonne partie échoué. «Mon idée de départ était de comprendre pourquoi les enseignants résistaient ainsi, a expliqué le chercheur, il faut les prendre au sérieux car ce sont des experts».

Ses conclusions tranchent avec certaines idées reçues. «Les enseignants ne sont pas tant attachés au redoublement pour le redoublement, beaucoup répondent même que dans un monde idéal, il n’a pas de raison d’être, observe-t-il, le problème est que dans la pratique, ils ont du mal à gérer les difficultés des élèves sans cela». Puis il a évoqué les 4 «fonctions latentes» que le redoublement assume pour les profs : «cela permet de gérer l’hétérogénéité des élèves en triant, avec un effet sur les classes l’année suivante; c’est une façon de montrer que dans cet établissement, on ne transige pas avec le niveau; c’est une régulation de l’ordre scolaire, la suppression encourageant certains élèves à se tourner les pouces ; enfin c’est la preuve de leur autonomie professionnelle».

Optimiste, Hughes Draelants voit dans l’échec à contenir le redoublement une raison de faire mieux la prochaine fois. «Aujourd’hui en Belgique, plutôt que de décider top-down, on cherche à faire émerger des bonnes pratique et des solutions alternatives», assure-t-il ». Une expérimentation baptisée Décolage a été lancée en 2012, donnant davantage de latitude responsabilité aux acteurs locaux. «On considère désormais qu’il n’y a pas une manière de faire unique et qu’il faut tenir compte des contextes locaux, précise Hugues Draelants, et l’on encourage chaque enseignant à développer des alternatives» .

Comprendre ce que les élèves ne comprennent pas

Analyste à l’OCDE, Francesco Avvisati a listé les trois grands dispositifs auxquels les pays ont eu recours pour réduire l’échec scolaire. Certains – comme la France, l’Italie, les USA, le Japon ou la Corée – ont augmenté le temps d’apprentissage des élèves. Mais cela ne marche que si les élèves et les familles adhèrent. D’autres – l’Allemagne, l’Autriche, plusieurs cantons suisses… – ont choisi de différencier les contenus, créant des filières, des classes ou des groupes de niveau. Mais le risque est évident: démotiver les élèves. D’autres encore ont préféré miser sur des pédagogies différentes – mettant en avant l’apprentissage coopératif, le bien être des élèves, l’auto évaluation… .

En fin de matinée, une vidéo lumineuse est venue illustrer toute l’importance de la pédagogie et d’une formation poussée du professeur. Pour asseoir son propos – «nous devons comprendre ce que les élèves ne comprennent pas» -, Patrick Picard, directeur du centre Alain Savary à l’IFE (Institut français de l’éducation), a tenu à montrer à la salle un extrait de cinq minutes d’une séance de production d’écrits, à l’école Brossolette classée en éducation prioritaire, aux Mureaux, dans les Yvelines. Avec une patience infinie et une incroyable précision, on y voit Cristelle Camsuza, enseignante de CE1, faire travailler ses élèves sur l’accord sujet-verbe.

«On accroche le « nt » à mange car ils sont plusieurs à manger», explique-t-elle aux élèves autour d’elle. Puis elle les répartit pour les mettre au travail. Certains vont avec Jennifer, l’enseignante surnuméraire qui est affectée à l’école dans le cadre du dispositif «Plus de maîtres que de classes». D’autres se mettent en petit groupe autour d’une table, et elle passera derrière chacun, vigilante et rassurante. Et l’une, manifestement plus en difficulté, va travailler avec une tablette. «Elle installe un climat de la coopération, met au travail et soutient, aide les élèves, les guide dans les moindres détails», commente Patrick Picard. On mesure alors la complexité de tous les gestes et explications de l’enseignante, qui paraissent tous pensés.

A la fin de la vidéo, le grand sourire de Cristelle Camsuza, évoquant la réussite de ses élèves de Zep, fait oublier toute la dimension technique de son métier. Et l’on se dit qu’avec une instit pareille, les enfants de l’école Brossolette ont toutes les chances, eux, de ne pas redoubler.

Véronique Soulé