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Soumis au feu roulant des critiques les plus folles des plus conservateurs pendant des mois, les programmes d’histoire-géographie subissent les principales modifications dans ces nouvelles versions des programmes. Si Michel Lussault, président du Conseil supérieur des programmes (CSP), argumente encore pour leur défense, la ministre a largement cédé la partie. Recadrés, soumis aux pressions des lobbys, les nouveaux programmes d’histoire sont obsédés par le récit national. Pire, ils sont peut-être infaisables…

L’offensive ultra

« Ces programmes contribuent à la désintégration de la nation ». Le 3 juin 2015, en Sorbonne, au bout d’une campagne de plusieurs semaines, l’historien Patrice Gueniffey accusait le CSP d’attenter à rien moins que  » la cohésion de la France » avec ses nouveaux programmes. La ministre accusait le coup. « La compréhension de notre histoire nationale, centrale dans le primaire, est le fil conducteur des programmes au collège, l’Europe et le reste du monde étant abordés à partir des influences réciproques entre eux et notre pays », annonçait-elle, tout en récusant « le roman national ». Michel Lussault nous disait : « on va sensiblement modifier l’écriture des programmes ». C’est chose faite avec les nouveaux programmes présentés le 18 septembre.

Le retour de la tradition

La modification la plus visible dans ces nouveaux programmes c’est la disparition des exemples didactiques d’une version à l’autre.  » C’est un choix délibéré, pour tous les programmes. Le didactique est du domaine des ressources et des professionnels », affirme M Lussault. Mais, évidemment, ces exemples donnaient des pistes souvent novatrices dans l’approche des programmes. En les retirant et en maintenant des découpages très traditionnels, le CSP encourage maintenant la conservatisme pédagogique.

Car les contenus d’enseignement tirent tous dans le sens de la tradition. C’est visible dès le cycle 3 (Cm1 à 6ème). Ainsi au CM1 Clovis et les Mérovingiens sont réintroduits dans les programmes comme Napoléon 1er. Inversement les migrations internationales et leur rôle au 20ème siècle disparaissent. On a ainsi un programme d’histoire recentré sur la France, comme la ministre l’annonçait en juin. L’Egypte et la Mésopotamie font leur retour en 6ème.

Au cycle 4 (5ème à 3ème) , les changements sont encore plus importants. Le CSP a totalement cédé aux pressions en supprimant les thèmes facultatifs. Ils deviennent obligatoires et les nouveaux programmes deviennent extrêmement lourds. Ainsi en 5ème c’est le retour de Byzance, de Charles Quint et de l’ordre seigneurial. Tous devront être traités. Le programmes est augmenté en fait d’au moins un tiers. L’Islam par contre devient un élément d’un chapitre et non plus un chapitre enlui-même. En 4ème les Lumières deviennent obligatoires tout comme la 3ème République. Un nouveau chapitre sur la condition féminine est ajoutée alors que la 1ère guerre mondiale retourne en 3ème. En 3ème c’est la grande stabilité. Les enseignants devront continuer à enseigner les deux guerres mondiales, la guerre froide, les conflits après 1989, la naissance de la 4ème République.

En géographie, les thèmes sont assez curieusement modifiés. Ainsi la question du développement durable, qui est quand même la question de cette année 2015 avec le COP 21, disparait en 5eme. A la place on a ajouté un chapitre sur les risques. En 4ème , l’espace des entreprises, une question qui renvoie à la mondialisation, est remplacé par une approche plus magistrale : l’adaptation du territoire américain à la mondialisation, les dynamiques d’un espace africain. En 3ème, la France reste indéboulonnable. Les choix des thèmes se rapprochent davantage des libellés traditionnels (les espaces productifs à la place des enjeux par exemple).

Des programmes très alourdis au collège

L’effet le plus visible des pressions conservatrices, c’est l’alourdissement des programmes. La marge de manoeuvre des enseignants est éliminée et on voit mal comment ils pourront enseigner tout cela avec un horaire amputé par les EPI. A nouveau, les professeurs d’histoire-géographie vont être obsédés par l’idée de finir des programmes infaisables. On peut déjà imaginer les conséquences sur les méthodes pédagogiques mais aussi sur le nouvel enseignement moral et civique…

« Il y a des choses acceptables dans cette nouvelle mouture, mais nous sommes réservés », nous a dit Hubert Tison, secrétaire général de l’APHG, la puissante association des professeurs d’histoire et géographie. L’association est très attachée à la liberté pédagogique des enseignants qui « n’ont pas besoin d’être menés par le bout du nez ». Alors la suppression des questions facultatives est mal vécue. « On aurait pu conserver des questions facultatives quitte à les reformuler. Avec les EPI on va avoir des horaires étriqués. On risque d’arriver à une heure hebdomadaire seulement d’histoire. C’est limite ». Pour permettre aux EPI de donner vraiment sa place à l’histoire ou la géographie l’APHG estime qu’il faudrait de stemps de concertation qui ne sont pas inscrits dans la réforme. L’enveloppe horaire lui semble insuffisnate pour enseigner les nouveaux programmes.

Les réserves de l’APHG

L’APHG est réservée aussi sur le débat sur le roman national. « L’enseignement de l’histoire ne doit pas basculer dans la caricature d ‘une histoire des rois et des batailles », estime H Tison. « L’enseignement de l’histoire et de la géographie doivent contribuer à une histoire commune pour tous les enfants de France ». Il faut une histoire proche des élèves et plus comparative.

« Dans les annonces ministérielles, il y a une volonté politique de répondre à la montée des partis politiques ancrés sur l’identité nationale », estime H Tison. Mais pour lui, l’enseignement de l’histoire doit développer le sens critique. « On est des éveilleurs » , estime H Tison. Une dimension qui ne serait peut-être pas assez mise en avant dans les nouveaux programmes. « Les programmes vont passer au Conseil supérieur des programmes. Les professeurs n’ont peut-être pas dit leur dernier mot », conclue-t-il.

François Jarraud

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