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Un livre, des invitations à la presse, Alain Juppé cible les milieux éducatifs pour promouvoir ses idées et sa candidature à la primaire de Les Républicains. Car le maire de Bordeaux a un programme pour l’Ecole et il veut le faire connaitre. Alain Juppé pose volontiers en modéré qui veut bouleverser le moins possible. Si le ton est mesuré, la réforme Juppé est radicale…

Bien qu’il n’ait jamais été ministre de l’éducation, à la différence d’un autre candidat aux primaires, Alain Juppé a consacré un de ses premiers ouvrages de campagne à l’Ecole. L’ouvrage expose totalement ses projets pour l’Ecole, longuement réfléchis avec son entourage, le député B Apparu, J Saltet, pdg de l’entreprise Playbac, l’académicien Yves Quéré, le linguiste Alain Bentolila.

Pas le grand soir ? C’est à voir…

« Je ne crois guère à un grand soir de l’éducation. Je préfère identifier 3 ou 4 leviers d’action ». Alain Juppé se présente en transformateur modéré de l’Ecole. L’ouvrage d’ailleurs frôle le mièvre, ainsi quand A Juppé nous dit que « l’école n’est plus ce qu’elle était ». Il ne peut s’empêcher de nous raconter son séjour au lycée (il l’a quitté en 1962 ) ou son premier cours de jeune agrégé. C »était avant 1968 et son passage à l’ENA et depuis l’éducation nationale s’est un peu transformée… Ou encore ces quelques lignes où il explique que le numérique va changer la formation des enseignants parce que demain les professeurs pourront regarder les cours du Collège de France sur Internet..

Alain fait le bon homme. Il a beau annoncer d’emblée vouloir garder des pans entiers des récentes réformes : les nouveaux programmes par cycles, accompagnés d’un « moratoire des programmes », les enseignements pluridisciplinaires par exemple, ses projets aboutiraient à une réforme en profondeur du système éducatif.

Mettre le paquet au primaire…

Première idée forte d’Alain Juppé : mettre le paquet sur le primaire, et très précisément en maternelle et CP. Pour lui c’est là que se construisent les bases. A vrai dire tout le monde dit qu’il faut appuyer le primaire. Et la répartition des postes créés à la rentrée 2016 montre que ce n’est pas qu’un artifice de langage. Mai Alain Juppé veut aller beaucoup plus loin.

Pour lui il faut augmenter les moyens d’enseignement sur ces années de façon à faire travailler en petits groupes les enfants en difficulté. Il propose aussi d’augmenter les enseignants du primaire de 10 à 15 %, chiffrant le coût à 1 à 1.5 milliard.

En prélevant sur le secondaire

Pour pouvoir faire cela, Alain Juppé souhaite redéployer les moyens de l’éducation nationale du secondaire vers le primaire. « Est ce à dire que nous allons déshabiller le lycée pour habiller le primaire ? », écrit-il. « Evidemment non, mais nous devons rechercher des marges de manoeuvre dans le secondaire, par exemple en simplifiant ou en allégeant le système des options… J’assumerai ces choix ». Ailleurs il dit simplement : « les nouveau moyens nécessaires à cette fin seraient issus de la rationalisation du système dans son ensemble, notamment par un redéploiement des moyens du second degré ». C’est plus clair. A Juppé envisage de supprimer des enseignements en lycée pour transférer des moyens vers le primaire.

A vrai dire, l’idée est dans l’air et il n’est pas le premier à l’avancer chez les responsables politiques. Dans la plupart des pays les deux dernières années du lycée sont spécialisées. L Chatel avait tenté de le faire modestement en supprimant l’histoire en terminale S. A Juppé annonce son intention d’en faire un axe majeur de sa réforme et peut-être de l’étendre au collège en plus du lycée.

Très large autonomie des établissements

Second axe : A Juppé veut donner une liberté de gestion très large aux chefs d’établissement du primaire comme du secondaire. Pour lui c’est là que l’éducation peut le mieux s’adapter aux besoins des enfants et lutter contre l’échec scolaire.

Il veut donc de « vrais » chefs d’établissement y compris au primaire où les écoles seraient regroupées en établissements publics ou en écoles du socle pilotées par les collèges. A la tête de ces établissement, un Conseil éducatif d’établissement déciderait des enseignements dans le cadre d’un contrat avec l’Etat.

L’autonomie de l’établissement irait beaucoup plus loin que celle accordée aux collèges et lycées actuellement. L’établissement déciderait de la répartition des enseignements. Ils seraient annualisés ce qui permettrait de les regrouper comme on veut dans l’année. Mais le volume des disciplines pourrait varier en fonction des besoins. «  »Pourquoi à un moment donné ne pas renforcer l’enseignement des maths pour un groupe d’élèves en difficulté quitte à l’alléger pour un autre groupe ». Il s’agit bien d’une gestion complète de la DHG par l’établissement. Là aussi , A Juppé se base sur les idées dans l’air (et dans la réforme du collège) mais en les poussant jusqu’à leur achèvement.

Un enseignement professionnel privatisé

Troisième axe : l’enseignement professionnel. Alain Juppé écarte l’idée de sortir du tronc commun des enfants dès la 5ème comme le souhaitent certains dans son camp. Mais pour lui l’enseignement professionnel soit se rapprocher des CFA. Le LP doit devenir la chose des professionnels.

Que reste-il de l’éducation nationale ?

A ce niveau là on mesure à quel point le système Juppé changerait l’éducation nationale. Que resterait il du système national centralisé ? Probablement seulement les programmes. A Juppé n’est pas très clair dans son livre sur l’affectation des enseignants. Donner le droit de recruter aux chefs d’établissement lui semble difficile pour des raisons techniques. Mais la tentation est bien là…

Apparemment rien de révolutionnaire dans le programme Juppé. Se idées sont déjà bien inscrites dans les dernières réformes de ces 10 dernières idées. En réalité c’est un changement profond qu’il prépare.

François Jarraud

Alain Juppé, Mes chemins pour l’école, JC Lattès, ISBN 978-2-7096-5046-5