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Moodle est une plateforme en ligne qui permet aux enseignant.es de proposer aux élèves ressources et activités pédagogiques diverses. On recense actuellement dans le monde plus de 100 000 sites et plus de 130 millions de personnes utilisant cet espace de formation, en particulier dans de nombreux établissements et universités françaises. Peut-on faire de l’E.N.T. Moodle autre chose qu’un simple Espace Numérique de Transmission des cours ? Comment en faire un réel espace de collaboration et de création ? Un bel exemple en est donné par Wendolin Bach, professeur de lettres au collège Louis Pasteur de Strasbourg. « Elèves créateurs », ses troisièmes se sont emparé.es de l’outil et de ses riches possibilités pour s’approprier des textes littéraires, travailler thèmes et notions, accompagner une sortie au musée, écrire des poèmes sur le thème du silence, réaliser une anthologie de leurs productions. Eclairages et conseils…

Pour les collègues qui ne le connaitraient pas, pouvez-vous expliquer ce qu’est Moodle ?

Moodle est un espace de cours numérique, très modulable, qui permet de concevoir des parcours d’apprentissage en ligne. Dans le cadre du cours de Français, il permet aussi bien de travailler des compétences générales (la lecture, l’écriture, voire même l’oral) qu’un objet d’étude particulier ou encore une notion de langue. Tout est possible… à condition d’y consacrer le temps nécessaire à la conception. Néanmoins, l’un des avantages de la plateforme est qu’il est très facilement possible d’intégrer des cours « prêts à l’emploi » mis à disposition par les collègues qui les ont créés.

Dans quel contexte avez-vous mené ce travail d’écriture d’une anthologie poétique ?

Ce travail d’écriture a été mené avec une classe de troisième dans le cadre d’un concours d’écriture proposé dans l’académie de Strasbourg, « Le Printemps de l’Écriture ». La séquence est menée parallèlement à la progression annuelle mais entre en résonance avec des chapitres centrés sur la poésie ou l’écriture autobiographique. Le corpus de textes proposé en accompagnement a été mis à disposition des élèves fin décembre, le travail d’écriture achevé à la mi-mars, date limite de remise des productions aux instances académiques. L’essentiel du travail a été réalisé sur Moodle, en autonomie en-dehors de la classe, même si quelques séances y sont forcément nécessaires, ne serait-ce que pour lancer le travail ou finaliser le recueil.

La séquence commence par un travail de lecture personnelle de textes littéraires : comment sont-ils mis à disposition des élèves ? comment faites-vous pour favoriser et vérifier leur appropriation par les élèves ?

Les extraits du corpus sont regroupés par thématiques et intégrés dans Moodle à la manière d’un livre numérique, chaque chapitre correspondant à une thématique regroupant une poignée de textes. Un sommaire permet de naviguer facilement dans le corpus. Chaque extrait a été enrichi d’un lien hypertexte renvoyant vers une présentation de l’œuvre ou de l’auteur pour favoriser la compréhension. Les élèves qui souhaitaient travailler sur papier pouvaient également imprimer la version PDF du corpus.

Un test de lecture, très accessible, réalisé sur Moodle, a permis de vérifier la lecture des différents extraits. Il s’agissait essentiellement de questions de type QCM et les textes demeuraient en outre accessibles durant l’évaluation ; la note obtenue comptait pour la moyenne du trimestre. Mon intention était que chaque élève se confronte un minimum au corpus.

Dans un deuxième temps, il était demandé aux élèves de rédiger leurs impressions de lecture pour au moins deux ou trois extraits du corpus, à leur convenance. Ces impressions ont été publiées sur un « mur » en ligne (en intégrant une page Padlet à Moodle) et il était possible de commenter les publications des uns et des autres, ce qui constitue une porte d’entrée plus aisée pour les élèves qui éprouvent davantage de difficultés. J’ai ensuite choisi deux extraits du corpus que nous avons analysés en classe de manière traditionnelle. L’un parce qu’il avait particulièrement plu à la plupart des élèves et l’autre parce qu’il n’avait suscité aucun commentaire, les élèves le trouvant hermétique.

Le but n’était pas de pratiquer de nombreuses lectures analytiques de manière exhaustive mais d’appréhender les différents visages du silence dans la littérature et de comprendre à quels enjeux artistiques il pouvait renvoyer.

Différents outils numériques Moodle ou intégrés à Moodle sont utilisés pour travailler sur le thème du silence ou sur les figures de style : lesquels ? avec quels usages et quels intérêts spécifiques ?

J’ai intégré dans ma séquence Moodle une autre page Padlet afin de créer une carte heuristique sur le silence : les élèves peuvent ajouter des étiquettes et les relier entre elles, créant ainsi un réseau lexical autour des thématiques du sujet. Beaucoup d’entre eux ont confié avoir réutilisé cette carte au moment d’écrire leur poème, à la recherche de synonymes ou d’expressions qu’ils pourraient utiliser.

L’outil « Glossaire » a été utilisé pour constituer un dictionnaire des figures de style. Pour encourager les élèves à apprendre leurs définitions et les entraîner à les identifier, j’ai conçu une petite grille de mots croisés à l’aide du module Hot Potatoes en utilisant le plus possible des figures issues du corpus de départ. Une petite évaluation sur le même principe a ensuite eu lieu en classe. Le dictionnaire est demeuré ensuite accessible le reste de l’année et a pu servir pour d’autres travaux ou pour les révisions du D.NB. Au moment de l’écriture, j’ai encouragé les élèves à réinvestir ce travail afin qu’ils se souviennent qu’il existe d’autres procédés que les seules comparaisons et métaphores.

Une sortie au Musée d’Art moderne et contemporain a été le support d’une écriture créative : selon quel dispositif ? avec quels profits ?

J’ai intégré trois travaux d’écriture à ce parcours au musée à partir d’œuvres de natures différentes (un autoportrait de Max Beckmann, un plâtre du Penseur de Rodin, un objet scientifique à choisir parmi ceux exposés). Ces travaux mêlaient écriture autobiographique fictive et écriture poétique en prose. Les deux premiers s’inscrivaient dans la thématique du silence mais l’activité sur l’objet scientifique visait seulement à développer le sens de l’imagination et à pratiquer l’écriture poétique. La présentation des œuvres et un dialogue initial avec les élèves ont permis de lancer l’écriture pour les deux œuvres picturale et monumentale. Pour l’objet scientifique, la consigne était d’écrire à partir de ses observations, on pouvait ainsi imaginer la fonction de l’outil sans la connaître, même si cela ne correspondait pas à la réalité.

Les textes ont été commencés au musée et terminés ensuite à la maison, puis publiés dans Moodle grâce au module « base de données ». Certaines de ces productions ont également été proposées au club journal du collège pour publication dans leur périodique. Il me semble important d’essayer de donner une finalité concrète à ces travaux d’écriture, cela encourage les élèves à s’investir même si la première intention de ce travail était avant tout de pratiquer l’écriture créative, de mettre en place des stratégies pour utiliser le réel comme point de départ d’une écriture où peut se déployer l’imagination de chacun, un premier entraînement avant l’écriture finale en somme. Quelques élèves ont par ailleurs réutilisé ce travail au musée au moment de rédiger leur poème pour le concours, en reprenant certaines de leurs expressions, images, phrases…

Comment avez-vous conduit le travail aboutissant à la production finale : une anthologie de poèmes écrits par les élèves commençant et/ou se terminant par « Chut ! » ?

Les élèves avaient pour consigne d’écrire un poème seul ou en binôme, présentant l’un des possibles visages du silence. Ils avaient le choix de la forme : vers réguliers, vers libres, prose… Je les ai encouragés à réinvestir ce qui avait été étudié tout au long de ce parcours. Certains ont réutilisé des formes fixes étudiées en classe comme le sonnet ou le pantoum, d’autres ont utilisé des vers libres dans des formes évoquant davantage le slam ou le rap, certains ont choisi le poème en prose… Le recueil final présente une grande diversité formelle.

Les élèves qui avaient des difficultés ont commencé leur travail en classe lors d’une séance d’A.P. et les autres ont écrit leur texte à la maison ; l’ensemble a été publié dans une page Framapad intégrée à Moodle. Il s’agit d’un éditeur de textes collaboratif en ligne. Élèves et professeur peuvent ainsi voir l’ensemble des productions, proposer des améliorations, corriger les erreurs. Lors d’une séance en classe, certains des élèves les plus à l’aise ont été nommés « experts » et ont été affectés sur certains textes pour aider leurs auteurs à les améliorer : « régulariser » certains vers, retravailler les rimes, éviter certaines répétitions, reprendre une syntaxe maladroite etc. Une dernière séance, toujours en classe, a été nécessaire pour organiser le recueil, mettre les textes au propre et constituer l’objet final (les élèves ont choisi de réécrire leur texte à la main et de les réunir dans un livre illustré.)

Pour certains collègues, l’écriture créative, poétique en particulier, est difficile à évaluer, donc délicate à travailler en classe : à la lumière du travail mené et des productions de vos élèves, que leur diriez-vous pour les convaincre de sa pertinence ?

Je n’ai pas évalué les productions des élèves de manière traditionnelle mais je suis souvent surpris par ce dont sont capables des élèves d’une quinzaine d’années : certains ont produit des textes d’une grande qualité, faisant preuve d’une réelle inventivité littéraire. Même des élèves peu à l’aise dans la matière sont capables de rédiger des textes de bien meilleure qualité que lors des travaux d’écriture plus conventionnels. Il me semble qu’au-delà de la grande liberté autorisée par l’écriture poétique, les élèves y trouvent aussi un cadre qui peut les aider à structurer leur pensée. Paradoxalement, peu d’élèves se tournent vers la poésie en prose, et ce ne sont en général que des élèves qui disposent déjà de bonnes qualités rédactionnelles, les autres préfèrent presque tout le temps le vers. Certains de mes élèves ont ainsi beaucoup de difficultés à produire une rédaction d’invention classique, ne maîtrisent pas correctement l’emploi de la ponctuation, la construction d’une phrase, mais finalement sont parvenus à produire des textes poétiques cohérents, même s’il a été nécessaire de les aider à les améliorer. J’ai l’impression empirique que le cadre du vers devient une béquille pour organiser leurs propositions.

En outre, il me semble beaucoup plus facile d’organiser le travail de la classe en écrivant un recueil poétique plutôt qu’un récit. Cela demanderait une concertation et une répartition du travail beaucoup plus exigeantes.

Enfin, je crois que peu d’élèves, malheureusement, se souviendront des textes que nous avons étudiés en classe d’ici quelques années, si ce n’est d’ici quelques semaines. En revanche, il est probable qu’ils se remémoreront longtemps les projets auxquels ils ont pris part, pour lesquels ils se sont investis et ont espéré la reconnaissance du jury.

Quel bilan tirez-vous de cette utilisation pédagogique de Moodle ? Quels conseils donneriez-vous aux collègues tentés par l’expérience ?

Moodle m’a vraiment permis de prolonger l’espace de travail en dehors de la classe et de mener un projet conséquent sans que cela ne prenne trop de temps en classe. Bien sûr, il faut pour cela que les élèves jouent le jeu et fassent l’effort de s’investir dans les différentes activités proposées. Il est donc important de les motiver, la forme du concours, le miroitement d’un prix et d’une récompense peuvent aider, les bonnes notes obtenues en fournissant un minimum d’efforts aussi… Néanmoins, il me semble important de bien préparer le travail en amont pour susciter l’intérêt des élèves. Souvent leur conception de la poésie est très bornée. J’essaie donc de leur montrer, au cours de la séquence que j’y consacre, que la poésie n’est pas seulement un objet désuet étudié en classe, des récitations d’un autre temps que l’on ne comprend pas. J’entre dans la séquence par le biais du slam, du rap ou plus généralement de la chanson pour progresser ensuite vers des textes plus difficiles. J’essaie surtout de montrer que la poésie, au delà de certaines contraintes formelles, est avant tout un état d’esprit, une manière d’appréhender le monde, et qu’elle est toujours actuelle.

Pour l’utilisation de Moodle, il faut bien confesser que ce n’est pas la plateforme numérique la plus intuitive qui soit, cela demande un certain temps pour prendre en main l’interface et les différents modules. Pour cette première réelle utilisation, j’ai passé un certain temps à tester les paramétrages, à parcourir les menus en tous sens pour trouver la bonne configuration, à essayer les différents modules possibles pour voir lesquels convenaient le mieux pour les activités que j’avais imaginées… Il faut accepter de tâtonner au début et ne pas hésiter à consulter les nombreux tutoriels disponibles sur internet, comme ceux de l’I.U.T. en ligne, éventuellement participer à une formation lorsque cela est possible, l’académie de Strasbourg, par exemple, en propose une au P.A.F. cette année : avis aux intéressés !

Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut

Article dédié à la mémoire d’Yves Poulizac, responsable du déploiement de Moodle dans l’académie de Rennes

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