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« Qui a peur du débat ? » La question est posée sur la liste Sesagora, ancienne liste Inter-Es, depuis le 7 décembre. Ce jour là l’inspection de SES de l’académie de Versailles, qui héberge la liste, annonce qu’elle en prend le controle et que dorénavant elle la modère. Sesagora était une rarissime expérience d’une liste de discussion professionnelle libre dans un cadre institutionnel. La liste avait une longue tradition de modération collégiale permettant de maintenir cet équilibre fragile. Elle aura ainsi vécu 22 années. La démonstration vient d’être faite qu’il n’est plus possible aujourd’hui à des enseignants de s’exprimer librement dans un média de l’éducation nationale.

Un lien entre les professeurs de SES

Née en 1997, la liste Sésagora, ex liste Inter-ES, est une liste de discussion historique des enseignants. Lors de sa naissance, son fondateur , Michel Coudroy, a fait le choix de l’ancrer dans le paysage institutionnel. La liste de discussion est hébergée par l’académie de Lyon mais modérée collégialement par des enseignants. « Face à des messages qui déconsidéraient une position théorique ou qui étaient axés sur des aspects personnels, on décidait collégialement de modérer a posteriori », nous dit Jean-Sébastien Auriol, ancien modérateur d’Inter ES.

« Cette liste créait du lien entre des collègues éparpillés dans toute la FRance et au-delà. Les collègues partageaient leurs cours. Ils informaient des sorties de livres. Il y avait des échanges de fonds sur la façon de faire cours et aussi des débats sur les programmes et la discipline », explique JS Auriol. Pour lui, la liste était « un espace de co-formation » avec des débats intéressants. Elle servait aussi à l’institution pour dialoguer avec les enseignants sur les réformes. Ainsi en 2001, Jean-Luc Gaffard, président du Groupe d’experts de S.E.S., y présentait le nouveau programme de terminale. La liste était suffisamment intéressante pour que B Drot Delange fasse de son étude le sujet de sa thèse cette même année.

Le pronunciamento de l’inspection

Le déménagement de la liste Lyon à Versailles il y a 4 ans s’était déjà accompagné d’une diminution de la fréquentation par une lente extinction des débats.

Mais c’est une sorte de pronunciamento qui en change le destin. « Information. J’ai décidé en tant que « propriétaire » de liste SESagora hébergée par l’académie de Versailles, de modifier les modalités de son fonctionnement. J’ai constaté que fréquemment des messages ne respectaient pas la charte en vigueur et que leur diffusion automatique sur une liste institutionnelle posait problème car elle engage la responsabilité du rectorat de Versailles. Je considère qu’une modération a posteriori n’est pas satisfaisante, j’ai donc opté pour une modération a priori qui permet de bloquer tout message ne respectant par la charte », annonce l’IA-IPR de SES de l’académie de Versailles qui signe comme  » Propriétaire de la liste SESagora ». Il balaye ainsi la modération de la liste et 22 ans de propriété collective.

La longue histoire de la mise au pas des SES

Ce n’est pas la première fois que les SES sont ainsi redressées. Les milieux patronaux ne cachent pas leur opposition à cette discipline. La dernière alerte a lieu en 2017 où l’Académie des sciences morales et politique déclare cette discipline feu couve contre cette discipline « néfaste ». S’ensuit la réécriture des programmes en présence de ce lobby avec un enseignement de l’économie recadré vers le micro économique et surtout la séparation du social et de l’économie. L’IPR qui vient d’interrompre le destin de la liste Sesagora est membre du comité exécutif des Entretiens enseignants entreprises co-organisés par le Medef.

Sur la liste, des enseignants se plaignaient le 7 décembre et certains annonçaient leur désabonnement car ils ne voyaient plus d’intérêt à participer à la liste. Depuis c’est le calme plat de la modération…

Professionnel réflexif ?

Le ministère aime parler de professionnalisation, de professionnel réflexif, de formation par les pairs, proche du terrain. C’est quand même cela que permettait cette liste. Elle était peut-être le seul endroit où les deux grands courants que l’on trouve chez les professeurs de SES pouvaient débattre. Et c’était certainement un lieu de réflexion et d’analyse des nouveaux programmes.

Mais en réalité il semble que tout cela soit dérange le ministère, soit dérange la hiérarchie intermédiaire. Ainsi s’arrête une expérience unique qui misait sur l’intelligence de l’institution. Elle a duré 22 années.

François Jarraud

B Drot Delange sur la liste Inter ES

Al’académie des sciences morales et politiques

Sesagora