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Dès les premiers pas de l’informatique en éducation, l’hypothèse d’un potentiel de prise en charge des difficultés, handicaps, différences a été posée. Dans son livre sur l’informatique éducative paru en 1993, Kamilia Eimerl évoquait largement ce domaine de questionnement, ouvrant là une longue histoire d’expérimentations et de recherches sur l’apport de l’informatique pour les enfants ayant des difficultés. Chaque évolution technologique porte des discours associés à ces problèmes comme par exemple les récents robots de téléprésence vantés pour aider les enfants empêchés à suivre une scolarité à distance. De même la multiplication des liens entre troubles dys- et solutions informatiques (matériels ou logiciels) montre un réel intérêt dans ce domaine. Cependant il faut questionner ce qui parfois est un peu opaque, à savoir l’argumentaire sur l’aide à la remédiation de troubles par les moyens numériques. Il semble bien que parfois il s’agit d’un argument publicitaire de bonne conscience ou d’argumentaire de justification d’une offre quelconque. Il y a de véritables problèmes et difficultés que rencontrent jeunes et adultes souffrant qui peuvent être aidés par ces moyens, mais pas seulement bien sûr.

Dans une classe ULIS

Dans la salle de classe de cette ULIS, 10 enfants ayant des troubles très différents, un enseignant, une AVS et des tablettes numériques. La première difficulté rencontrée est la fiabilité matérielle, la deuxième est l’utilisation et la facilité de mise en œuvre, la troisième c’est l’activité demandée et la quatrième c’est l’adéquation entre ce qui est proposé et les troubles des enfants. Et finalement chaque enfant réussit à effectuer, à son niveau, la tâche demandée. Ce qui est important c’est lorsque l’enseignant entre en dialogue avec eux sur ce qu’ils ont réalisé avec ces tablettes. La place du numérique ici est celle d’un tiers médiateur guidant et motivant. Aux adultes alors de proposer des cheminements possibles. Bien sûr une classe spécialisée ce n’est pas une classe ordinaire incluant des enfants ayant un handicap.

Ce sont deux témoignages récents qui peuvent alerter : des enseignants ne savent plus quoi faire face à un enfant qui ne parvient pas à se maîtriser, en particulier lorsque l’AVS ou l’AESH est absente. L’inclusion semble alors remise en cause dès lors qu’elle déséquilibre de manière importante le groupe classe et l’enseignant. Le développement des moyens numériques a permis à certains enfants en situation de handicap de bénéficier de matériel informatique portable. Les enseignants signalent, à l’instar des autres accompagnants, de l’intérêt de ce « tiers machinique » qui dans plusieurs cas permet à l’enfant de mieux se situer, dans ses apprentissages comme dans ses comportements. Mais le numérique ne peut pas tout, surtout lorsque l’enfant est aussi immergé en dehors de l’école dans un monde numérique de manière importante. Car si pour l’enseignant cela peut sembler difficile, pour les parents, cela l’est aussi parfois. C’est alors que certaines activités appuyées sur le numérique peuvent ressembler à des « médicaments ».

Les limites du numérique

On constate aisément l’attirance des enfants, tous petits, vers les écrans et les boutons sur lesquels on peut appuyer, surtout lorsque ceux-ci ont un effet sur ce qui se passe à l’écran. Les concepteurs d’émissions pour la jeunesse, tout comme ceux des jeux, ne sont pas toujours vigilants face à ce qu’ils provoquent. On peut s’apercevoir que nombre d’entre eux cherchent d’abord à capter l’attention de l’enfant et pour cela ce que l’on appelle les mécaniques de jeux ou mécaniques (fonctions) de frustration/récompense viennent accompagner un récit très structuré (la morphologie des contes de Propp en est une figure qui mérite d’être invoquée – voir lien en bas de page). La captation de l’attention est un des aspects de la théorie du flow (Csikszentmihalyi 1975) qui indique qu’il s’agit de mettre l’enfant dans un état qui le captive tellement que rien d’autre ne peut le toucher. Associer flux et conte permet aux concepteurs de proposer des produits qui sont très puissants, dès lors que les conditions d’utilisation et de réception de ces produits sont celle d’un isolement relatif de l’enfant de son environnement immédiat et donc d’autres sources d’intérêt qui pourraient le détourner.

Plusieurs polémiques circulent depuis quelques années autour des « z-écrans ». Nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer cela mais ce que nous posons ici c’est l’effet de certains types de produits sur des enfants pouvant être en situation de faiblesse (et pas forcément de handicap), psychologique en particulier. Si le développement de solutions logicielles pour suppléer à des fonctions déficientes (vision, audition, motricité, en particulier) est une réelle avancée pour l’enfant en situation de handicap, le recours au numérique ne peut être considéré comme « magique ». La fascination des enfants pour ces matériels et leurs contenus ne doit pas tromper les adultes éducateurs. C’est encadrées et accompagnées que ces utilisations peuvent prendre sens et rendre de réels services. On a pu observer des changements de comportements significatifs dès lors que les adultes ont pris conscience du pouvoir de captation et se sont attachés à proposer des alternatives. Si cela est faisable dans la famille, dans la salle de classe, cela l’est beaucoup moins. Nous avons pu observer que l’attirance pour les appareils numériques (tous les enfants étant équipés de tablettes par exemple) était une concurrence forte lorsque les activités d’apprentissages ne font pas suffisamment sens pour les élèves ou lorsque la conduite du groupe classe laisse de grands vides occupationnels.

Aveuglements

Si dès les débuts de l’informatique scolaire on a pensé que cela pourrait résoudre certaines difficultés et diminuer les effets de certains handicaps, on peut aussi penser qu’il y a une sorte d’aveuglement sur ce que peut réellement le numérique pour l’apprentissage. Il faut pourtant saluer les efforts de tous ceux qui expérimentent, recherchent proposent des logiciels, des services, des matériels qui vont permettre à des personnes en situation de handicap de surmonter une grande partie de leurs difficultés. De fait il y a des résultats objectivement constatables. Mais il y a aussi parfois des dérives comme celles observées autour des logiciels de développement des capacités mentales, d’entrainement du cerveau. L’argument de la lutte contre certaines déficiences peut aussi parfois être davantage un argument commercial qu’un réel apport pour les utilisateurs qui espèrent tirer profit de ces produits et sont au moins partiellement trompés.

Entre de réelles avancées et des illusions, il y a les effets de mode et parfois ils savent utiliser des arguments de lutte contre certaines difficultés pour mieux se vendre : le multimédia, la mise en réseau, et maintenant l’intelligence artificielle ou même les robots. Le problème c’est que les médias (et certains expérimentateur, particuliers ou entreprises) en font une présentation tendant à faire penser qu’un essai ici ou là serait une solution partout. Malheureusement, dans les classes certains enseignants déchantent face à des situations difficiles. Ils se sentent très démunis. Aussi certains en reviennent à l’idée « d’exclusion ». Certes ce n’est pas politiquement correct, alors on ne le dit pas trop fort, mais la déstabilisation d’un groupe classe risque de générer des rejets, des refus suite à ces saturations. L’idée même de l’inclusion est en soi essentielle, mais encore faut-il la penser au-delà de propos magiques ou incantatoires c’est à dire en prenant en compte les réelles conditions de mise en œuvre pour tous.

Bruno Devauchelle

Eimerl, Kamilia. (1993). L’informatique éducative. Cheminement dans l’apprentissage. Paris : Édition Armand Colin

Enquête nationale sur l’utilisation des Tice par les enseignants spécialisés exerçant en Clis, UPI et établissements spécialisés 2010

Rémon Joséphine et El Hachani Mabrouka, « Robots de téléprésence et modalités en réunion mixte : repérages du conditionnement technologique de l’attention », Interfaces numériques, 2018, vol. 7, n°1, consulté le 22/01/2020,

La morphologie du conte de Propp

La théorie du flow

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