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Avec la parution du décret du 23 août 2021 sur la rémunération des AESH et de l’arrêté qui l’accompagne, l’État fait un pas de plus dans la très longue marche vers la reconnaissance statutaire des professionnels chargés d’apporter une aide humaine aux élèves en situation de handicap. Selon le point de vue de chacun, cet épisode peut apparaître anecdotique, voire sans intérêt réel, ou au contraire historique et fondamental. Il illustre en tout cas la tension qui caractérise la scolarisation des élèves en situation de handicap dans le système éducatif français, question qui tend à se cristalliser sur la place des AVS devenus depuis 2014 les AESH. Une mise en perspective peut permettre de décrypter les enjeux de cette question au-delà des postures antagonistes et des lieux communs.

Une nouvelle grille indiciaire pour les AESH

Sur le plan conjoncturel, la parution de ces textes s’inscrit dans le calendrier politique dit du « Grenelle de l’éducation » engagé par le gouvernement en cette fin de quinquennat et alors que se profilent les élections générales pour le printemps 2022. Ces deux textes ont été présentés au Comité technique ministériel de l’éducation nationale du 21 juillet. Le rapport au Premier ministre qui les accompagnait en indiquait la finalité :

« Afin d’assurer une revalorisation régulière et automatique de la rémunération des AESH, le projet de décret introduit un mécanisme de grille indiciaire et d’avancement en fonction de l’ancienneté, à l’instar de dispositions réglementaires déjà applicables à certains contractuels notamment au sein des établissements publics de l’État. Ce dispositif permettra d’assurer une progression homogène et de donner de la visibilité aux AESH sur leurs perspectives de carrière ».

Il y a donc là une manière de revalorisation indirecte de la rémunération des AESH qui s’inscrit dans la durée. De plus, l’emploi contractuel d’AESH tend à se rapprocher de l’emploi statutaire des agents de la fonction publique puisqu’il sera désormais inscrit dans la panoplie des grilles indiciaires de l’État fondée sur la valeur du point d’indice. La grille ainsi créée comporte 11 échelons. La rémunération correspondant au 1er échelon « ne peut être inférieure au traitement indiciaire correspondant au salaire minimum interprofessionnel de croissance ». La progression d’un échelon à l’autre est découplée de l’entretien professionnel et devient homogène pour tous les AESH sur le fondement d’une durée de trois ans. La progression de rémunération à l’ancienneté devient la règle pour une carrière qui peut s’étendre sur une durée de 33 ans entre le 1er et le 11e échelon. Dans l’immédiat, l’attribution de cette grille indiciaire devrait se traduire par une augmentation de quelques euros sur la fiche de salaire dont le montant variera en fonction de la quotité de travail de chaque AESH et de l’ancienneté de son contrat.

Institutionnalisation ou…

Plusieurs observations découlent de ces éléments, observations qui peuvent présenter des interprétations ambivalentes.

Ainsi, la référence au point d’indice de la Fonction publique présente deux faces : d’une part, c’est une référence institutionnelle, gage de la pérennité de la reconnaissance de l’emploi d’AESH, mais d’autre part, le constat du gel du point d’indice depuis plus de deux quinquennats peut inquiéter sur les perspectives de revalorisation des AESH à l’égard de l’inflation. Seul le mécanisme du Glissement vieillesse technicité (GVT) est assuré, mais ce n’est pas un mécanisme de revalorisation lié à l’augmentation du coût de la vie : un salarié à l’échelon 1 ne touchera pas le même salaire relatif au coût de la vie selon qu’il est recruté à l’année n ou à l’année n+X. De ce fait, les perspectives de revalorisation générale de la rémunération de l’emploi des AESH seront liées au dialogue social général de la Fonction publique.

Avec ce décret et son arrêté, l’emploi d’AESH est désormais réglementairement documenté pour une perspective de carrière allant jusqu’à trois décennies. Ce n’est donc plus simplement un emploi temporaire, pouvant éventuellement se prolonger au-delà de six ans d’exercice. La probabilité de l’exercer pendant l’essentiel d’une vie professionnelle est maintenant acquise aux yeux de l’État employeur. On se situe donc bien dans une démarche d’institutionnalisation de cet emploi. Mais la question de sa viabilité économique pour le salarié demeure en tension compte tenu du salaire mensuel perçu dans un contexte très majoritaire de temps partiel imposé.

Si les projets de textes présentés au CTMEN de juillet prévoyaient une mise en application au 1er janvier 2022, les textes finalement publiés ce 24 août indiquent une application au 1er septembre. C’est évidemment un progrès pour les AESH dont l’immense majorité a un contrat calqué sur le calendrier de l’année scolaire et non sur celui de l’année civile. Toutefois, ce changement implique une mise en œuvre administrative qui ne peut se concrétiser à la vitesse du claquement de doigts. Pour tous les agents de la chaîne administrative qui gèrent les contrats et les salaires des AESH, cette évolution demande un temps de travail important au retour des congés d’été. Raisonnablement, une semaine ne suffira pas pour que tout soit prêt au 1er septembre. De ce fait, pour de nombreux AESH, voire pour une majorité d’entre eux, le changement se réalisera plus tard avec effet rétroactif au 1er septembre, procédure qui porte en soi une lourde charge de travail supplémentaire pour les services concernés. On peut concevoir que cela générera forcément des frustrations tant chez les bénéficiaires que chez les agents des services (dont certains sont eux aussi contractuels).

Ou montée de la contractualisation ?

Voilà pour la mise en perspective conjoncturelle de ces deux textes. On peut aussi procéder à une mise en perspective systémique pour percevoir d’autres enjeux profonds de ce qui constitue un épisode dans un long processus.

Par exemple, l’inscription de cette évolution dans le Grenelle de l’éducation engage un raisonnement intimement lié aux enjeux concernant la place des agents de l’Éducation nationale au sein de la Fonction publique de l’État et son évolution telle qu’engagée par la loi de transformation de la Fonction publique d’août 2019. Là aussi, on peut considérer deux faces. Sur la première face, les emplois contractuels d’AESH se rapprochent des emplois statutaires des fonctionnaires de l’État en adoptant le mécanisme de la rémunération liée à une grille indiciaire. Mais sur l’autre face, on peut aussi apercevoir la possibilité d’un développement important de l’emploi contractuel des agents du service public de l’État, affranchi des références du cadre statutaire, ou même le vecteur de l’acculturation des administrations académiques aux pratiques de gestion des ressources humaines hors fonction publique. Les AESH assurent aujourd’hui l’un des emplois les plus nombreux de l’Éducation nationale, dépassant en effectifs les emplois des professeurs agrégés et des professeurs de lycée professionnel : en 2019, ils étaient 92 051 pour 68 808 PLP et 54 554 agrégés . Dans ce domaine, on est loin de l’époque où les AVS constituaient une petite cohorte d’auxiliaires (6 559 AVS recensés dans le dialogue social de 2006). La situation de l’emploi d’AESH au sein de l’Éducation nationale n’est plus un détail. C’est désormais une part importante des agents employés par ce ministère. Leur sort n’est donc pas anodin.

Un combat des associations

Cette considération nous conduit à explorer les conditions de l’arrivée des AESH dans notre système éducatif.

L’histoire française de l’aide humaine des élèves handicapés vient de loin. Cette aide apparaît dans la fin des années 1970 à l’initiative de parents qui souhaitent pour leur enfant que l’accès à la scolarisation impulsé par la loi d’orientation en faveur des personnes handicapées de 1975 soit effectif en milieu scolaire de droit commun et pas seulement en établissement spécialisé. Jusque dans les années 1990, cette aide apparaît sporadiquement et de manière éparse sur le territoire à l’initiative individuelle de parents, puis avec des associations de parents, mais sans support légal. Elle est conditionnée au bon vouloir de l’école et des autorités académiques. C’est dans cette lancée que plusieurs associations engagées dans ce processus se retrouvent à Marseille et créent en 1996 la FNASEPH, fédération nationale pour l’accompagnement scolaire des élèves présentant un handicap (renommée fédération nationale des associations au service des élèves présentant une situation de handicap en 2006, et dont l’actuelle secrétaire d’État auprès du Premier ministre, Sophie Cluzel, fut la présidente de 2011 à 2017). Cette puissante association œuvre pour une reconnaissance officielle nationale de l’aide humaine des élèves handicapés à l’école. Les AIS (auxiliaires d’intégration scolaire) des années 1980 se voient reconnus par l’État avec le plan Handiscol’ de 1999 qui souhaite développer et rationaliser leur mobilisation en dispositif départemental. Rapidement, on évoque officiellement les AVS (auxiliaires de vie scolaire) dont le nom apparait pour la première fois en 2000 dans un rapport demandé par le ministre de l’Éducation nationale. Leur rôle est défini dans une circulaire ministérielle du 20 avril 2002.

Jusque-là, ce sont pour l’immense majorité des emplois difficiles à financer, le plus souvent avec des prises en charge de l’État concernant des catégories de publics demandeurs d’emploi, sans qualification, et pour des contrats de courte durée. En 2003, la circulaire du 11 juin relative aux assistants d’éducation (les AED) officialise clairement que ces agents contractuels de l’Éducation nationale peuvent se voir investis de missions d’AVS, principalement pour l’aide individuelle (en opposition à l’aide collective). Mais concrètement, l’État développe surtout ce type d’emploi avec des contrats aidés. Dans tous les cas, les AVS ne sont pas des professionnels portés par un emploi pérenne avec une qualification reconnue. La situation devient difficile à gérer avec le développement des notifications d’aide humaine par les CDAPH créées auprès des MDPH par la loi de 2005 et un groupe de travail est officiellement confié à Pénélope Komitès en 2012 avec les associations, les syndicats et les ministères concernés. Un rapport intitulé « Professionnaliser les accompagnants pour la réussite des enfants et adolescents en situation de handicap » est publié en juillet 2013. Ce rapport est pris au sérieux par les gouvernements qui se sont succédé, mais sans forcément suivre à la lettre ses propositions. Un article du code de l’éducation consacré uniquement aux AESH (L917-1) est créé par la loi de finances de décembre 2013 (son article 124 introduit pour la première fois cette appellation), complété par la loi de juillet 2019 pour une école de la confiance. Des décrets et des arrêtés spécifiques aux AESH sont publiés en 2014, 2016, 2019 et 2020.

Le décret et l’arrêté du 23 août 2021 s’inscrivent dans cette généalogie commencée il y a près de 45 ans. De la reconnaissance d’un besoin concret, à la reconnaissance morale d’un métier, on voit que l’État concrétise très progressivement la reconnaissance institutionnelle. Il n’est pas anodin que l’emploi d’AESH soit apparu dans le livre IX du Code de l’éducation, celui dédié aux personnels de l’éducation, à l’occasion d’une loi de finances : la question de la reconnaissance de cet emploi est depuis son origine marquée par celle de son financement et donc du budget nécessaire à sa mise en œuvre. Derrière cet aspect, c’est un choix sociétal et donc politique qui est en jeu alors que se développe depuis plusieurs décennies le discours d’une fonction publique trop lourde et trop chère. Or, les besoins d’aide humaine pour la scolarisation inclusive des élèves en situation de handicap ne cessent de se multiplier depuis la loi du 11 février 2005. Alors qu’il est souvent accusé de réduire le nombre d’AESH, l’État, tout au long des alternances politiques qui se sont succédées, a en réalité suivi la hausse continue des besoins notifiés par les CDAPH en augmentant dans la même proportion les emplois d’AESH. Pour nombre d’observateurs, cela apparaît comme une course sans fin.

Le débat se focalise actuellement sur la question de l’aide mutualisée et des PIAL identifiés par l’institution comme un système plus efficace d’attribution des accompagnements, mais qui sont tous deux considérés par de nombreux acteurs comme des techniques destinées à ne pas répondre aux besoins comme il le faudrait. Derrière ce débat tendu, la question se pose néanmoins : l’école inclusive se réduit-elle à la problématique des AESH ? L’actuel président de la FNASEPH, Nicolas Eglin, rappelait récemment que l’association a toujours affirmé que « l’accompagnement n’est qu’un des facteurs de l’école inclusive : ce n’est ni le seul ni le premier » . On y reviendra.

Dominique Momiron