C’est une nomination surprise, un tournant et pourtant une continuité. La nomination de Pap Ndiaye à l’éducation nationale et à
la jeunesse est une surprise. Il ne figurait pas dans les noms qui revenaient pour ce ministère et ce n’est pas un politique. Un
tournant car il va rompre avec le populisme anti wokisme agité par JM
Blanquer. Une continuité car il aura à appliquer la politique décidée par E Macron, c’est à dire continuer ce qui avait été dessiné dès 2017.
Quand un ministre s’en va il vante son bilan. Quand il arrive il salue les enseignants. Tout cela, JM Blanquer et Pap Ndiaye l’ont fait le 20 mai lors de la cérémonie de passation de pouvoirs. Mais
les deux hommes se sont aussi affrontés à fleuret très moucheté sur
le thème de la continuité. De leur coté, les syndicats posent dès
maintenant leurs exigences en attendant d’entamer un dialogue que le
nouveau ministre a promis.
“Une écoute réelle”. Le 24 mai, Pap Ndiaye a reçu pour la première fois les syndicats de l’Education nationale, en commençant par les deux plus importants, la FSU et l’UNSA. Pap Ndiaye les a longuement écouté, rompant ainsi avec les pratiques de son prédécesseur. Si les syndicats ont pu insister sur les questions les plus urgentes, comme la rentrée ou la revalorisation, le ministre n’a rien laissé paraitre de ses intentions. Si ce n’est celle de maintenir le dialogue. Le ministre écoute. Mais peut-il s’écarter de la feuille de route élyséenne ?
A l’issue du premier tour de l’élection législative dans la 4ème circonscription du Loiret, JM Blanquer est éliminé. Ainsi semble se terminer le bref parcours politique d’un ministre très particulier. Est-ce pour autant la fin du blanquérisme ? Et de ses réformes ? Les uns et les autres pourraient survivre politiquement à leur initiateur.
Le premier conseil supérieur de l’éducation s’est tenu le 20 juin en présence de Pap Ndiaye. Le ministre de l’éducation nationale n’a pas clarifié son positionnement. Alors que l’Ecole sort désorganisée et en miettes des 5 années du ministère Blanquer, Pap Ndiaye reste prudemment à l’écart de la critique et de la totale approbation de son prédécesseur. A la question de la revalorisation salariale des personnels il répond par son souci de leur considération dans la société. Pap Ndiaye écoute. Et c’est tout.
Ministre très novice et remarquablement silencieux, Pap Ndiaye a-t-il un cabinet qui puisse l’aider à développer sa politique éducative ? Faute d’une personnalité marquante, le cabinet reflète, quand on l’analyse, la juxtaposition de plusieurs projets politiques. Si la réforme macronienne de la voie professionnelle est très bien portée par plusieurs membres du cabinet, une autre source d’inspiration guide le cabinet. Il est remarquable de voir comment la Cour des Comptes y est, pour la première fois, fortement représentée aux postes clés. Or, quelques mois avant l’élection présidentielle, la Cour a publié pas moins de 4 rapports sur l’Ecole appelant tous à la même réforme : la privatisation de l’Ecole, c’est à dire sa soumission à une nouvelle gestion issue du privé. Avec un ministre novice et le cabinet actuel, cette réforme devrait avancer rapidement.
Blanquer sans Blanquer. Les résultats de l’élection législative dessinent un glissement à droite de la majorité. Or s’il est un domaine où, de 2017 à 2022, la majorité présidentielle et Les Républicains se sont globalement entendus c’est bien l’éducation. Pour l’Ecole, c’est la continuité blanquérienne qui s’annonce. Les réformes annoncées par le président de la République, prudemment sans trop de détails, ont la même source d’inspiration que ce qu’envisageait Valérie Pécresse, candidate des Républicains. L’entente sur ce terrain est facile à construire. Sauf sur un point : ce que représente Pap Ndiaye. L’ouverture idéologique à gauche qu’il incarne est déjà caduque.
Le retour de Jean-Marc Huart au ministère est-ce le retour du blanquerisme rue de Grenelle ? La question enflamme les réseaux sociaux. Si JM Huart a bien été un maillon important de la politique blanquérienne, son retour ne signifie pas pour autant celui de JM Blanquer. Mais il pose d’autres questions.
Continuité ou pas ? Sept nominations sont effectuées au cabinet de Pap Ndiaye. Anastasia Iline, énarque, ancienne secrétaire générale adjointe de la Cour des Comptes, est nommée directrice adjointe de cabinet. Thomas Leroux devient conseiller aux affaires pédagogiques et aux savoirs fondamentaux. Il avait le même poste dans le cabinet de N Elimas puis dans celui de JM Blanquer. Guillaume Houzel, ancien président de l’Observatoire de la vie étudiante et ancien conseiller de Mme Fioraso est nommé conseiller orientation, enseignement professionnel et apprentissage. Laurent Crusson devient conseiller social. Fanny Jaffray est conseillère culture, mémoire et égalité des chances, un assemblage assez curieux. Luc Pham, nommé Dasen dans les Landes puis les Yvelines par JM Blanquer est conseiller jeunesse, engagement, sport et valeurs de la République. Nicolas Kanhonou est conseiller école inclusive, égalité entre les femmes et les hommes et lutte contre les discriminations.
Quel ministre sera Pap Ndiaye ? A l’issue du conseil des ministres du 14 juin, il a présenté sa feuille de route pour la rentrée. Elle s’avère être celle d’Emmanuel Macron. Quelques nouveautés : le protocole sanitaire sera revu “avant la rentrée”. Pour faire face dans l’urgence à la crise du recrutement, il annonce une hausse du salaire des contractuels à la rentrée prochaine dans certaines académies. Le nouveau ministre se démarque sur un point. Alors que la presse de droite agite une prétendue multiplication des tenues islamiques dans les écoles, Pap Ndiaye invite à vérifier les faits avant d’agir. Un discours qu’on n’avait pas entendu depuis longtemps…
“Ce qu’on a lancé (à Marseille) c’est retrouver le sel de l’école républicaine”. En visite dans une école marseillaise qui participe à l’expérimentation de “l’école du futur”, Emmanuel Macron a précisé son projet pour les enseignants et l’école devant Pap Ndiaye. La revalorisation aura une part inconditionnelle et une part liée au “nouveau pacte”. Une heure et demi de maths sera proposée à la rentrée aux lycéens de première qui le souhaitent. Le président veut mettre “de la flexibilité” dans le système et “généraliser” l’expérimentation marseillaise des postes avec ses postes “à exigence particulière”. Un nouveau pas dans la déréglementation s’annonce.
Alors qu’Emmanuel Macron arrive à Marseille pour accélérer le nouveau management du système éducatif, il n’est pas inutile de réfléchir au nouveau phénomène des job datings. Paul Devin le fait et il voit dans ces “job datings” une évolution du métier enseignant en promouvant le modèle de l’enseignant contractuel de passage dans ce métier. Ces jobs datings sont l’évolution normale du Nouveau Management Public comme le Café pédagogique l’annonçait dès 2017. Partout où il a triomphé on assiste aux mêmes tensions sur le recrutement et au final au recrutement à la baisse des enseignants. Une réalité à rappeler ce 2 juin.
En déplacement le 10 juin dans la Vienne, le ministre de l’éducation nationale a annoncé de grands débats dans les établissements scolaires à la rentrée pour ouvrir les établissements sur leur communauté. Il s’agit de “lutter contre les inégalités scolaires ” et de “projeter le monde éducatif dans une nouvelle dynamique”. Des propos qui font écho à ceux d’E Macron à Marseille le 2 juin. Presque 20 ans plus tard, est-ce le retour de la commission Thélot ?
Pas de revalorisation spécifique à l’Education nationale avant septembre 2023. C’est une des informations ramenées par Sigrid Gérardin , secrétaire générale du Snuep Fsu, de sa rencontre avec le cabinet de P. Ndiaye. Alors qu’Emmanuel Macron a mis la réforme du lycée professionnel en tête de son programme, S Gérardin craint pour l’avenir de la voie professionnelle. Elle s’en explique dans cet entretien.
Le Conseil supérieur de l’Education a étudié le 20 juin 3 textes relatifs à l’enseignement de mathématique en première générale que le Café pédagogique a pu consulter. L’option annoncée par Emmanuel Macron sera en réalité un enseignement spécifique de mathématique d’une heure et demi intégré à l’enseignement scientifique de première à la rentrée 2022. La généralisation à la rentrée 2023 n’est pas garantie.
Pour Emmanuel Macron, l’évolution de l’École est visiblement une priorité. Après sa visite marseillaise du 2 juin, il est revenu sur la question scolaire dans un entretien publié par la presse régionale le 3 juin. Présentée comme une “révolution culturelle” pour l’Ecole à l’aide d’une “réorganisation nationale”, la réforme macronienne devrait être de plus grande ampleur que ce qui semblait. Avec la réélection d’E Macron, sauf surprise aux législatives, la France va entrer dans le mouvement qui emporte les pays occidentaux dans une privatisation accélérée des systèmes éducatifs.
Comment remédier à la crise de recrutement de l’éducation nationale ? En laissant les chefs d’établissement recruter et en différenciant les salaires, répond le rapport rédigé par le sénateur LR Gérard Longuet pour la Commission des Finances du Sénat. Il veut augmenter “la productivité” des enseignants en augmentant leurs missions et en restructurant le réseau d’établissements de façon à en réduire le nombre. Ce rapport sénatorial va un peu plus loin que les annonces d’Emmanuel Macron. Mais il les éclaire en dévoilant l’objectif budgétaire : répartir la marge budgétaire dégagée par la chute du nombre d’élèves dans les années à venir. La privatisation de l’École c’est comme les retraites…
Début juin, après sa réélection, E. Macron a présenté son « école du futur ». Pour l’essentiel, les chefs d’établissement choisiraient les professeurs de « leur équipe » et les expérimentations pourraient être multipliées au niveau local. Telle qu’elle est définie, cette école du futur n’est pas une idée neuve. Elle reprend les thèses de l’ouvrage de J.-M. Blanquer L’école de demain (2016). Inspirée du New Public Management, cette école du futur, loin de résoudre les difficultés récurrentes de l’école française, risque fort de les accentuer.
Monsieur le Ministre,
Votre nomination est, à mes yeux, comme aux yeux de beaucoup, une belle surprise. Votre travail universitaire, vos engagements, vos prises de position sont, en effet, le gage d’un renouvellement
important à la tête de l’Éducation nationale. Vous avez travaillé sur
les discriminations et sur l’émancipation ; vous avez eu, à de
nombreuses reprises, des paroles justes, sans concession et
apaisantes à la fois, sur des questions de société essentielles ;
vous incarnez la lutte pour l’égalité des droits dans ce qu’elle a de
plus fondamental pour notre avenir… Ce sont là, pour les enseignantes et enseignants, comme pour tous les personnels de l’Éducation nationale et de l’Éducation populaire, des signes forts qui nous font espérer un vrai renouveau.