A droite toute ! L’historien Claude Lelièvre met en lumière les ombres tutélaires de François Bayrou et de la « reconquête de l’écrit » : Jean-Michel Blanquer, Eric Zemmour et Bruno Le Maire. A l’occasion de cette tribune, il nous rappelle le passif, et passé, de François Bayrou, ancien professeur de lettres, Ministre de l’Education nationale, et homme à la tête d’un groupe contre l’illettrisme. L’historien évoque le passé mais aussi les échecs : « Bis repetita ? Faut-il vraiment le prendre au mot ? » conclut-il.
Le Premier ministre François Bayrou s’est prononcé lundi 27 mars sur LCI pour « la reconquête de l’écrit » à l’école. « Ce que je crois, c’est qu’il faut faire de l’écrit à l’école, tous les jours et même dans tous les cours » a-t-il déclaré en regrettant la place accordée aux images dans la jeunesse. Et il a particulièrement mis en avant le travail de la graphie à l’école, « l’écriture au sens physique du terme. Former les lettres. Tout ceci a complètement disparu.», a-t-il regretté. « Ce n’est pas réac, c’est progressiste, c’est le progressisme le plus grand. Je vais suggérer et défendre ça.»
L’ombre de Jean-Michel Blanquer
Une déclaration d’autant plus stupéfiante que se profile en l’occurrence l’ombre tutélaire de Jean-Michel Blanquer (l’ancien ministre de l’Education nationale recordman de la durée à ce poste : cinq ans) qui s’est illustré en signant un Guide de six pages au printemps 2019 pour « guider l’apprentissage des gestes graphiques et de l’écriture » en maternelle. Quelque extrait significatif. « En grande section, les élèves peinent encore à calibrer leurs lettres, à maîtriser leur geste (tourner, freiner, s’arrêter), à suivre le sens d’un tracé et à se rapprocher de la forme attendue. Au regard des compétences très diverses des élèves, le professeur propose un entraînement différencié et régulier en agissant sur différentes variables (longueur de l’exercice, nature du support, épaisseur des rails du support mis à disposition). L’observation et l’accompagnement par l’enseignant de l’élève à la tâche permettent de répondre précisément à ses besoins. Dès que l’élève s’en montre capable, l’apprentissage de l’écriture cursive est encouragé et enseigné. Organiser un espace d’écriture dans la classe a de nombreux avantages, notamment de permettre à certains élèves de s’isoler et de s’entraîner, en dehors de la leçon d’écriture, sur des supports variés : papier blanc ligné ou non, fiches effaçables, modèles à repasser. Mais ces activités en autonomie, qui visent un renforcement, ne remplacent pas la séance d’écriture menée par le professeur1 ».
L’ombre d’Eric Zemmour
Deuxième ombre tutélaire en l’occurrence et qui a à voir avec le choix du terme « reconquête » (qui n’est nullement équivalent par exemple à « rénovation » ou « restauration ») . En effet, ce terme est loin d’être neutre pour qualifier de façon négative le travail actuel des enseignants d’une part, et par ses connotations présentes dans le champ politique voire politicien d’autre part.
On pourrait penser immédiatement à l’intitulé du parti politique mis en place par Eric Zemmour en 2021 : « La Reconquête» ( dans une mouvance ‘’identitaire’’ d’extrême droite »). Mais il semble plus convenable d’évoquer une occurrence plus ancienne portée par Bruno Le Maire (en campagne actuelle pour la direction du parti « Les Républicains » dans la configuration de son alliance plus ou moins solide avec le Premier ministre François Bayrou ).
Mais aussi de Bruno Le Maire
« Reconquête éducative » a été le nouveau mot d’ordre en tête d’une tribune publiée à la mi-avril 2016 dans le « Figaro » par Bruno Le Maire (en écho à celui de « reconquista », mot espagnol donné à la reconquête des royaumes musulmans dans la péninsule ibérique par les souverains chrétiens) :« Comment reprendre la main ? Par la reconquête éducative, qui tient en trois mots : autorité, transmission et fierté […] . En France, notre langue fait notre nation : on apprend donc le français au CP, pas la langue arabe [sic]. La reconquête éducative doit nous permettre de retrouver ce que nous sommes et de le transmette à nos enfants […]. Cette reconquête sera longue et difficile ; elle est de notre responsabilité à tous ».
Le passé et le passif de François Bayrou
En tout état de cause, François Bayrou n’est pas un novice en ce qui concerne l’enseignement du français, tant s’en faut. Il a un passé et un passif. Son passé, c’est d’avoir été pendant plus de six ans (de 1987 à 1993) à la tête du « Groupe de lutte contre l’illettrisme ». Son passif, c’est son aveu d’échec après s’être vanté de réduire « l’illettrisme » de moitié en cinq ans alors qu’il était ministre de l’Education nationale.
Dès le mois de mai 1993 (il vient d’être nommé ministre de l’Education nationale) , François Bayrou se montre très ambitieux : «il faut engager une politique pour réduire de moitié en cinq ans le nombre d’enfants – 30% actuellement- qui ne savent pas comment lire et comprendre un texte simple » (« Le Monde » du 3 mai 1993), mais aussi très approximatif, en ce même mois de mai 1993 : « il n’est pas acceptable qu’un enfant sur cinq, sur quatre ou sur trois, ne sache pas lire en sortant de l’école » (au congrès de la Fédération de parents d’élèves PEEP du 20 mai 1993). Et finalement piteux, quatre ans plus tard. A la journaliste du « Monde » qui lui demande le 8 mars 1997 : « Qu’est-il advenu de votre objectif de diminuer de moitié en cinq ans le pourcentage d’élèves qui entrent en sixième sans savoir lire ? », le ministre de l’Éducation nationale François Bayrou répond en adoptant un profil très bas : « J’espère que les changements intervenus dans les programmes et dans l’organisation de l’école ont un peu amélioré les choses. Je n’ai pas réussi à faire naître le grand débat qui est le préalable à tout progrès ». Bis repetita ? Faut-il vraiment le prendre au mot ?
Claude Lelièvre
