Ah, cette petite phrase : « On ne peut plus rien dire… » ! Vous l’avez sans doute déjà entendue, invoquée pour dénoncer une prétendue censure. Dans On ne peut plus rien dire… (Anamosa, 2025), le juriste Thomas Hochmann démonte méthodiquement cette idée reçue. Il montre comment cette formule, devenue un véritable leitmotiv dans les débats publics, est souvent brandie pour défendre des discours discriminatoires, en en détournant profondément le sens de la liberté d’expression.
Dans ce court essai, le professeur de droit public analyse les ressorts d’un discours de victimisation qui tend à faire passer les auteurs de propos haineux pour des martyrs de la liberté d’expression. Il souligne que cette instrumentalisation du principe fondamental qu’est la liberté d’expression sert avant tout les intérêts de courants politiques – notamment d’extrême droite – désireux de légitimer des discours racistes, sexistes ou complotistes. Thomas Hochmann rappelle que les lois encadrant ces propos ne constituent pas une atteinte à la liberté, mais au contraire une condition essentielle au maintien d’un débat démocratique respectueux.
La haine et le mensonge, poisons de la démocratie
L’auteur rappelle que la liberté d’expression n’est pas absolue. Elle s’exerce dans un cadre juridique précisément défini, qui proscrit les propos incitant à la haine ou à la violence. Selon lui, la rengaine du « on ne peut plus rien dire » empoisonne le débat démocratique, non pas parce qu’elle exprimerait une réalité de censure, mais parce qu’elle détourne l’attention des véritables enjeux démocratiques. Elle banalise des propos discriminatoires tout en fragilisant les garde-fous juridiques censés les contenir.
À l’heure de la polarisation politique et de la montée en puissance des réseaux sociaux, le constat de Thomas Hochmann est clair : loin de s’affaiblir, la liberté d’expression est omniprésente – mais souvent mal comprise ou dévoyée. Il décrit avec précision les propos tenus dans certains médias audiovisuels, comme CNews, rarement sanctionnés par l’Arcom, et démontre combien la désinformation et la haine fragilisent la démocratie. C’est pourquoi, selon lui, certaines restrictions à la liberté d’expression ne sont pas des entraves, mais des conditions mêmes d’un débat démocratique sain.
Le droit, rempart contre l’extrême droite
« En appliquant les lois existantes contre les rhéteurs qui soutiennent l’extrême droite et les médias qui leur servent de tribune, on se donne une vraie chance de la repousser », écrit Hochmann. Il rappelle que sous couvert de défendre la liberté d’expression, c’est en réalité le droit et la démocratie qu’on attaque. Il insiste sur l’importance d’un cadre juridique rigoureux pour faire face aux campagnes de désinformation, aux discours haineux et à l’essor du relativisme.
Thomas Hochmann souligne que l’expression « on ne peut plus rien dire » reflète moins une réalité de censure qu’un refus du débat contradictoire et une tentative de contourner les règles démocratiques qui encadrent la parole publique. En réalité, ce discours masque une volonté de légitimer des propos haineux ou diffamatoires, que le droit français interdit précisément pour protéger le vivre-ensemble.
Dans une période marquée par les post-vérités, les fausses informations et la défiance envers les institutions, le petit livre de Thomas Hochmann est salutaire. Accessible, rigoureux et engagé, il invite à recentrer le débat : la véritable question n’est pas de savoir si l’on peut tout dire, mais comment préserver la liberté d’expression tout en protégeant l’espace public des dérives haineuses.
Djéhanne Gani
Thomas Hochmann : « on ne peut plus rien dire… » Liberté d’expression, le grand détournement. Anamosa, 2025 (67 pages). N° ISBN : 978-2-38191-117-5
