Comment sont gérés les conflits dans l’académie de Créteil s’interrogent les syndicats au regard des décisions de mutations d’office « dans l’intérêt du service ». Cinq professeur.es de deux collèges de l’académie de Créteil ont appris avec sidération le premier jour des vacances la décision académique. « Les enjeux nous dépassent, dépassent notre simple personne » déclare Catherine, l’une des quatre muté.es d’office ce printemps. Quatre professeurs syndicalistes du SNES-FSU et de Sud ont appris par courrier recommandé, de manière brutale leur mutation dans l’intérêt du service. Les syndicats dénoncent la détresse des personnels et une France télécomisation de l’Education nationale : « les personnels y sont intimidé.es, broyée.es, et traité.es sans considération ni humanité ». Au-delà de leurs collègues, les professeurs et syndicats alertent et dénoncent des dérives de l’institution et des méthodes maltraitantes. « Dans la politique du Pas de vague, nous serons la lame de fond » déclarent des professeurs grévistes en soutien à leurs collègues.
Un management toxique et autoritaire dénoncé dans un collège
Que reproche-t-on à ces cinq professeurs mutés d’office dans l’académie de Créteil dans l’intérêt du service ?
Au collège François Mitterrand de Noisy le Grand, la colère est grande. Près des deux tiers du collège ont exercé leur droit de retrait après la décision du rectorat de muter d’office « dans l’intérêt du service » deux de leurs collègues. Depuis 3 ans, ils alertent et sont « victimes de management toxique et autoritaire » explique Tony Tremblay du SNES 93. Il décrit un établissement fracturé au niveau des personnels. Le rectorat a diligenté une enquête administrative à l’issue de laquelle 2 rapports ont été rédigés sur les collègues syndicalistes mutés d’office. Sans contradictoire, ils dénoncent « un récit fantasmé » construit à charge avec des bouts d’audition pour justifier cette décision.
C’est avec brutalité, le jour des vacances scolaires que Catherine apprend sa mutation forcée dans l’intérêt du service sans aucun entretien préalable, aucun échange. Elle découvre avec stupéfaction cette décision. Vendredi 9 mai 2025, elle et son collègue Vincent ont reçu leur arrêté d’affectation daté du 5 mai, qui prendra effet à compter du 19 mai. Le SNES souligne une incompréhension car le DRH de l’académie de Créteil, interrogé par les syndicats lors de la formation extraordinaire des 6 et 7 mai ne savait pourtant pas ce qu’il avait signé.
« Les enjeux nous dépassent, dépassent notre simple personne »
La professeure déléguée du personnel enseigne dans ce collège depuis vingt ans, et jamais elle n’a eu de conflit avec les directions successives, explique-t-elle au Café pédagogique. « Pour le moment, je n’ai pas l’intention d’y aller », déclare-t-elle, en annonçant un recours administratif contre une « mesure injuste et injustifiable ». « Une matinée éprouvante », c’est ainsi que Catherine décrit le choc vécu à la lecture du rapport. Et le contenu la sidère. « Il n’y a rien dedans, ou presque. Et ce qui y est, est en grande partie mensonger. » On lui reproche notamment d’avoir monté une liste pour le conseil d’administration. « Mais mon travail n’est pas remis en question. Ce qui est le plus dérangeant, c’est que le contexte général du collège n’apparaît nulle part. »
Un climat délétère dénoncé depuis trois ans
Depuis plusieurs années, les alertes se sont multipliées : humiliations, licenciements d’AESH, autoritarisme, propos sexistes, homophobes de collègues dysfonctionnels. Elle ne comprend pas par exemple que « celui qui nous a calomniées, agressées verbalement et par mail n’ait jamais été convoqué. » Mais aujourd’hui, ce sont les syndicalistes engagés qui sont écartés, pendant que la cheffe d’établissement a une mutation – choisie -, une promotion. « On nous fait passer pour des contestataires patentés, alors que nous avons toujours agi dans l’intérêt collectif et dans un cadre collectif » témoigne la professeure. Elle décrit « des humiliations, du brutal : “vous passerez dans mon bureau”. Des collègues sont sortis en larmes. Des contrats AESH n’ont pas été renouvelés. »
Des syndicalistes à qui le travail syndical est reproché
Ironie amère : c’est leur propre liste intersyndicale SNES-SUD qui avait demandé une enquête administrative en novembre 2023, face à la dégradation de la situation, espérant une reconnaissance du climat délétère imposé par une direction autocratique. « On voulait un regard extérieur. Mais on s’en mord les doigts » dit-elle. Elle précise que les conflits n’ont jamais été motivés par une posture de blocage systématique : « il n’y a pas eu du conflit pour le conflit. Mais des problèmes concrets que nous avons dû gérer au sein du CA. » Tony Tremblay, le délégué syndical du SNES 93 qualifie le rapport d’« incroyable » car « on leur reproche d’avoir fait leur travail syndical ». « C’est un scandale » poursuit-il.
Des lanceurs d’alerte punis
« Ce qu’il en ressort, c’est que les lanceurs d’alerte sont punis » conclut la représentante syndicaliste. Pendant que la direction est promue pour un poste dans le Val-de-Marne à la rentrée 2025, les personnels ayant dénoncé des abus se retrouvent mis à l’écart. La représentante syndicaliste dénonce une décision injuste et un signal envoyé à tous ceux qui osent parler.
Le 2 mai, 17 enseignants ont exercé leur droit de retrait, et plusieurs étaient en grève. Un signal fort. « Tout le monde a compris que faire entendre une voix différente coûte cher » explique-t-elle.
Dans quelle mesure, cette mutation n’apparaîtrait pas comme un avertissement et non comme une mesure d’apaisement ? Officiellement, une mutation d’office n’est pas une sanction. C’est pourtant une décision qui terrasse les professeurs concernés, sans possibilité de se défendre, contrairement à des procédures disciplinaires pourtant existantes.
« C’est une première, le rectorat assume d’opérer de la répression syndicale », s’emporte le délégué départemental du SNES, dénonçant le « fait du prince », qui pour la première fois, est assumé par le rectorat. Pour lui, le rapport est vide.
Dans un autre collège, 11 alertes restées lettres mortes par le rectorat avant la mutation d’office de trois professeurs
Au collège Jean Lolive de Pantin, la décision académique de la mutation d’office remonte à un conflit entre collègues que le rectorat a laissé dégénérer. Malgré onze alertes syndicales pour organiser une médiation, rien n’a eu lieu, jusqu’à la décision de la mutation d’office dans l’intérêt du service de trois professeurs dont deux professeurs syndiqués au Snes-FSU. Pour le syndicat, l’autorité académique fait porter exclusivement la responsabilité sur les professeurs, niant les « carences et le dysfonctionnement » de l’administration.
« Tout le monde est laminé par la non-gestion du conflit »
Céline Pinchon, représentante SNES-FSU du collège évoque la situation douloureuse pour ses trois collègues mais aussi pour l’ensemble de l’équipe : « On s’attendait à des entretiens, à des convocations au rectorat […], on est sidéré par la gestion du conflit » dit-elle. Elle souligne la détresse de ses collègues sous anti-anxiolytique et la grande incompréhension face à l’absence de médiation. « Tout le monde est laminé par la non-gestion du conflit » poursuit-elle, « C’est l’enfer, des élèves demandent où sont passés leurs profs, les familles s’inquiètent, les profs sont là depuis une dizaine d’années et appréciés. Ça crée des tensions, tout le monde se méfie de tout le monde alors qu’on devrait être entièrement dévoués aux élèves ».
Ces décisions et méthodes bouleversent une profession, déjà bien abîmée par les multiples réformes, une déconsidération salariale et les nombreuses revendications restées lettres mortes. Les syndicats et les collègues des professeurs lancent un cri d’alarme devant la maltraitance institutionnelle. Une pétition intersyndicale formule une unique demande pour les deux professeurs de Noisy-le-Grand : l’annulation des mutations forcées.
Djéhanne Gani
