Vers la fin des REP ? La France championne des inégalités : c’est le constat liminaire sur lequel s’ouvre le rapport de 94 pages publié par la Cour des Comptes le 6 mai 2025 et consacré à l’éducation prioritaire à la demande de la commission des finances du Sénat. La Cour des compte y étrille la politique d’éducation prioritaire. Elle en critique le coût des moyens renforcés pour l’Etat comme les collectivités, une carte pas mise à jour depuis 10 ans et en décalage, une mauvaise et inégale « répartition » territoriale, une mise en œuvre locale variable et des effets limités sur la réussite des élèves. Le rapport préconise que la politique d’éducation prioritaire « puisse être réformée sans délai » en tenant compte d’« objectifs de mixité, d’équité et d’accompagnement des publics les plus vulnérables ». Bref, il propose un choc de simplification et d’économie qui touche les élèves les plus fragiles, des classes populaires, sans proposition systémique de lutte contre les inégalités, sans un mot sur l’école privée et ses enfants issus de milieux plus favorisés, mais est-ce vraiment une surprise ?
Un constat d’échec : la France, championne des inégalités
En introduction, le rapport dresse un constat d’échec des politiques éducatives : « la France fait partie des pays de l’OCDE dans lesquels le niveau scolaire des élèves issus de milieux plus défavorisés est en baisse depuis vingt ans et les inégalités sociales pèsent le plus sur les destins scolaires. A l’entrée en classe de sixième, les performances des élèves en français et en mathématiques apparaissent directement corrélées à l’indice de position sociale de leurs parents. A 15 ans, les compétences des élèves français sont davantage liées au milieu social que dans le reste des pays de l’OCDE ». Et donc en porterait la responsabilité, la politique de l’éducation prioritaire ? mais pas la formation, la (dé)qualification des personnels, leur contractualisation, la dégradation des conditions de travail, les effectifs de classe, la ségrégation croissante du système éducatif, par exemple.
« Depuis dix ans, la logique de moyens a prévalu au détriment des autres mesures en faveur de la réussite des élèves »
« Depuis dix ans, la logique de moyens a prévalu au détriment des autres mesures en faveur de la réussite des élèves » jugent les rapporteurs : indemnités pour les personnels, heures de concertation, mise « trop diversement » en œuvre dans les collèges. Le rapport déplore l’absence d’évaluation de l’effet de la hausse des indemnités REP+ (stabilité des équipes ?) une mesure jugée coûteuse (291 millions) qui a toutefois permis une fidélisation des personnels, mais au détriment d’autres postes et territoires, précise le rapport.
Une « rigidification » et une trop grande stabilité en éducation prioritaire ?
Malgré le contexte de la crise d’attractivité du métier, le levier des primes et du salaire amélioré n’est pas mis en avant. Si le rapport relève qu’« au niveau local, se dégage le constat d’un renforcement de l’attractivité des postes en éducation prioritaire », il déplore en même temps une grande stabilité : « de nombreux cadres estiment ainsi que l’enjeu actuel serait d’assurer un renouvellement régulier des équipes pour conserver une dynamique pédagogique ». Ne serait-ce pas une remarque à l’arrière-gout d’un new management avide de professeurs malléables, flexibles, vassalisés, contractuels ?
Une note de la Depp soulignait par ailleurs une tendance à la baisse des pratiques collaboratives, moins forte en éducation prioritaire. La baisse des pratiques collaboratives ne serait-elle pas plutôt liée à des heures supplémentaires, des pactes, ou une fatigue des professeurs, comme en attestent différentes enquêtes ?
Pas de changement de pratiques pédagogiques et culture collaborative ?
Le rapport de la Cour des comptes relève des partenariats variables selon les établissements. Le modèle des Cités éducatives est jugé quant à lui de manière positive. Doit-on parier sur la disparition des REP au profit des 218 Cités éducatives lancées en 2018 par les ministères de la ville et de l’Éducation nationale ? Cela irait dans le sens de la logique de « simplification » d’un mille-feuille administratif comme d’austérité budgétaire.
Un état des lieux des dépenses
La Cour fait un état des lieux des dépenses de la politique d’éducation prioritaire. La hausse des indemnités REP+ a représenté 291 millions d’euros pour 49 000 ETP, dont 45 000 enseignants en 2022. Le dédoublement mis en place à partir de 2017 de la GS au CE1 en REP a mobilisé 15 987 emplois et coûté près de 800 millions décompte la Cour des Comptes. Elle pointe que ce dispositif coûteux s’est substitué au « plus de maitres que de classes » sans évaluation de ce dernier ni toujours d’inflexion pédagogique à renfort de formation, variable selon les académies. La cour déplore des « approches stratégique, pédagogique et évaluative […] beaucoup moins développées et peu centrées sur les élèves. »
Un écart qui se creuse entre les élèves d’éducation prioritaire et les autres pour un coût multiplié par 2,5 par l’Etat
Malgré l’objectif de 2006 de réduire de 10% les écarts de niveau, « les écarts de résultats entre les élèves de l’éducation prioritaires et les autres peinent à se résorber, alors même que le coût de cette politique n’a cessé de croitre ». Le coût de la politique d’éducation prioritaire est estimé être passé de 1,1 million en 2014 à 2,6 milliards. Le rapport précise que les données des collectivités manquent toutefois.
Des effectifs réduits vs dédoublements aux effets nuancés sur la réussite des élèves
Si le dédoublement a des effets positifs en termes de climat scolaire, ils sont plus nuancés sur la réussite des élèves et « semblent s’estomper à l’entrée au collège ». La Cour des comptes préconise « une réflexion plus globale large sur les effectifs et les pratiques professionnelles les plus adaptés à un contexte de baisse démographique ». Ce point soulève l’enjeu crucial de la formation initiales comme continue des professeurs.
Manque de lisibilité de la carte de l’éducation prioritaire ou des dispositifs successifs ?
La carte de l’éducation prioritaire n’a pas été mise à jour depuis 10 ans, dans un contexte de ségrégation sociale spatiale et scolaire accrue, alors que celles des QPV a été mise à jour en 2023, que des CLA (contrats locaux d’accompagnement) et TER (territoires éducatifs ruraux) ont vu le jour en 2018, ont été généralisés sans être évalués. Le rapport souligne la difficulté de réviser la carte de l’éducation prioritaire, dans le cadre des dédoublements et des avantages financiers sous forme de prime salariales pour les personnels de REP. Le manque de lisibilité est-il celui de la carte de l’éducation prioritaire, ou celui de son abandon accompagné de nouveaux dispodispositif créés par les gouvernements du président Macron ?
Des carences et des contradictions dans la carte de l’éducation prioritaire
La cour des comptes pointe une contradiction et 500 écoles orphelines (mises de côté dans la labellisation REP qui dépend du collège) et des écoles intégrées au réseau qui ne le devraient pas, sans chiffrer ces dernières. Toutefois, la Cour note que la carte des REP+ correspond à 93% aux QPV contrairement à celle des REP, qui « apparait aujourd’hui en décalage avec les réalités territoriales : des écoles et collèges aux indicateurs désormais dégradés figurent en dehors de la carte quand d’autres, situés dans des quartiers gentrifiés, bénéficient de moyens superflus » juge le rapport.
Des préconisations pour une meilleure efficience de la dépense au service de la réussite des élèves
Pour la Cour des comptes, il faut actualiser la carte de la politique d’éducation prioritaire avec des indicateurs socio-économiques révisés mais aussi réviser « les mécanismes d’allocation des ressources afin d’introduire davantage de progressivité dans la répartition des moyens et de réduire les effets de seuil ».
La conclusion des rapporteurs est cinglante, elle juge que l’éducation prioritaire est une « politique publique qui segmente le service public d’éducation, qui s’éloigne des objectifs initiaux en termes de réussite des élèves et abouti à un système peu lisible et peu efficient ». Elle critique « une logique des moyens ayant pris le pas sur les enjeux pédagogiques [qui] amènent à un constat de rigidification et de non-adéquation grandissante de cette politique publique avec les besoins des élèves et des territoires ». La Cour des comptes appelle à remettre en question la mise en œuvre du principe d’équité, « allouer davantage de moyens aux élèves qui en ont davantage besoin » en tenant compte d’« objectifs de mixité, d’équité et d’accompagnement des publics les plus vulnérables ». Cette préconisation de suppression des REP au profit d’une affectation progessive des moyens avait été portée par les députés Agnes Carel (Horizon) et Roger Chudeau (RN) en 2023.
Préconisation d’une réforme sans délai
Pour la Cour, l’efficience de la dépense doit être évaluée avec des outils de suivi de la performance de réussite scolaire et de parcours des élèves. Elle préconise une réforme de la politique de l’éducation prioritaire « sans délai » qui tient compte d’une mise en cohérence de l’ensemble des moyens et acteurs visant la mixité sociale et l’égalité des chances. Elle recommande aussi une simplification des « mécanismes d’allocation des moyens » permettant une meilleure lisibilité et progressivité dans la mise en œuvre de cette politique avec un souci d’évolution des pratiques professionnelles au bénéfice de la réussite des élèves. Pour la Cour, « l’effet de rigidification à l’œuvre du fait de la labellisation, la forte hétérogénéité des besoins ainsi que les effets de seuil induits par le système actuel et ayant occasionné un empilement de dispositifs compensatoires, incitent à la mise en place d’un système d’allocation davantage progressif ».
La Cour des comptes propose un choc de simplification et d’économie qui touche les élèves les plus fragiles. Une réforme sans délai ne permettra pas pour autant de répondre aux objectifs annoncés de mixité et de lutte contre les inégalités, et ce sans réflexion et réforme du système éducatif qui contribue à la ségrégation sociale, à savoir la question du privé, absente des réflexions et préconisation du rapport.
Djéhanne Gani
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