Le groupe de travail du collectif Lettres de l’académie de Lyon, coordonné par Arnaud Dufêtre et Anne Fournier IA-IPR, inaugure un nouveau format de formation à destination des enseignant·es par une visioconférence sur « Les sujets sensibles ». Maitresse de conférences en littérature française à Lyon 2, Marie-Jeanne Zenetti y présente un projet de recherche en littérature et didactique de la littérature comprenant « un dialogue avec enseignants et enseignantes de l’Ecole à l’université » sur cette problématique actuelle à laquelle iels sont de plus en plus souvent confronté·es.
Faut-il renoncer aux œuvres abordant des « sujets sensibles » ?
Comme le rappelle Marie-Jeanne Zenetti, prenant pour exemple la récente polémique soulevée par Le Club des enfants perdus, roman de Rebecca Lighieri en lice pour le Goncourt lycéen 2024, les contestations comme les débats que peuvent susciter les œuvres au programme ont tendance à se multiplier, portant soit sur les thématiques qu’elles abordent, soit sur « la biographie des auteurs et autrices ». Comment alors, face à l’exacerbation des sensibilités et des affects, concilier « les exigences d’une liberté pédagogique, l’historicisation des œuvres, le pluralisme critique et l’acquisition de compétences et de savoirs qui sont propres au cours de français » ?
Faut-il, pour ménager les sensibilités, et éviter de se mettre en difficulté, renoncer à l’étude de toute œuvre abordant des sujets sensibles ? Ce serait renoncer, explique l’intervenante, à bon nombre de grandes œuvres qui à des degrés divers sont susceptibles de choquer. Ce serait aussi oublier que la littérature peut servir de « médiation » pour aborder certains sujets « par un détour », pour essayer de « favoriser une certaine circulation de la parole et peut-être de l’écoute ». De toutes les façons, rappelle-t-elle, il est impossible, quand bien même on le souhaiterait, de tout anticiper et d’écarter, même si l’on doit être attentif·ve à avertir de certains contenus, tout ce qui risque de heurter, tant le rapport à une œuvre relève de l’intime et de l’histoire personnelle de chacun·e.
Quelques pistes à explorer
Pour répondre à ces difficultés, Marie-Jeanne Zenetti propose, entre autres pistes, de « sortir de l’échange frontal », en suscitant « une dynamique d’enquête collective » sur la manière dont une controverse/polémique a pu, entre « lecture sensible et lecture sensée », s’emparer d’œuvres, ou sur la manière dont la réception de certaines d’entre elles évolue à travers les époques. Elle rappelle ainsi, parmi d’autres exemples explorables avec des classes, comment les étudiant·es préparant les agrégations de lettres modernes et classiques ont interpellé en 2017 les membres du jury sur l’interprétation du poème « L’Oraristys » de Chénier « dans le cadre d’une réception contemporaine ».
Autre piste suggérée : interroger l’évolution de la réception d’une œuvre par son auteurice lui-même ou elle-même. Un exemple particulièrement intéressant en est donné à propos de Mémoire de fille d’Annie Ernaux. En effet, après avoir d’abord affirmé « ne pas pouvoir mettre sur cette expérience le terme de viol », l’autrice « plus de 60 ans après les faits, et 4 ans après la parution du livre », va changer de perception, à l’occasion d’un échange avec deux documentaristes, et « faire entrer le sens biographique et littéraire de cette expérience dans le mot viol ». Entre-temps le mouvement #metoo a fait bouger les lignes et émerger « dans l’espace public des débats relatifs à la notion de consentement ». Une invitation passionnante aussi à penser « l’historicité des termes dont on dispose pour désigner ces violences ».
La conférencière propose par ailleurs de s’appuyer, pour aborder ces sujets sensibles, sur des œuvres dont la légitimité ne fait plus débat. Et à nouveau l’œuvre d’Annie Ernaux, prix Nobel de littérature, s’impose. Traversé par l’évocation de thèmes comme la mort d’un parent, la maladie …, et par la question de la violence (classiste, sexiste, sexuelle…), le travail d’Annie Ernaux, a ceci de particulier qu’il se construit dans « une distance à sa propre expérience » et aux affects inhérents à tous ces « sujets sensibles », pour ramener toujours à l’essentiel, justement, du sensible : le travail de l’écriture. C’est dans cet équilibre que pourra se construire avec des élèves la réflexion.
Claire Berest
Conférence, diaporama et ressources bibliographiques sont à retrouver sur le site de l’académie de Lyon à la page Lettres & Langues et culture de l’antiquité.
A découvrir le site en ligne Malaises dans la lecture.
« Le Goncourt des Lycéens sous le feu puritain ». A retrouver sur le site du Café pédagogique.
