« Le silence de Bétharram est celui de toute une nation, pas seulement d’une époque. » La phrase du lanceur d’alerte claque comme une gifle. Celle que des enfants recevaient en pleine figure. À 53 ans, Alain Esquerre, l’un des anciens élèves, a brisé le silence et rassemblé près de 200 plaintes. Il témoigne dans son livre Le silence de Betharram des violences, physique, psychologique et sexuelle. Pendant des décennies, des enfants ont été battus, humiliés, violés dans cet établissement catholique des Pyrénées-Atlantiques. Dans la loi et mécanique du silence, dont celui de François Bayrou, aujourd’hui auditionné par la commission d’enquête. Alain Esquerre reste le porte parole (éphémère) d’un collectif qui se dissout suite à des désaccords.
« Le silence de Bétharram est celui de toute une nation »
Le livre d’Alain Esquerre est un récit de ses années à Bétharram, qui a fait de lui le lanceur d’alerte. Il a recueilli les témoignages des violences et souffrances pour les dénoncer, puis il en venu à déposer des plaintes. C’est le début d’une aventure judiciaire, médiatique et politique.
Élève à Bétharram entre 1981 et 1986, Alain Esquerre évoque un climat de peur et de violences ritualisées. Les coups portés aux enfants étaient publics. Ils portaient même un nom : les « bouffes ». Il décrit des gifles violentes, parfois données avec des chevalières tournées vers l’intérieur, des cheveux arrachés, des enfants frigorifiés sur le perron en pleine nuit. Il dénonce aussi des agressions sexuelles commises dans les dortoirs, décrits comme des « supermarchés » par les auteurs eux-mêmes. Au-delà des faits, c’est un système éducatif structuré autour de la peur et du silence qu’il met en cause.
« À Bétharram, la violence est une construction »
« À Bétharram, la violence est une construction », écrit-il. Les adultes, éducateurs, surveillants ou directeurs, participaient activement à ce fonctionnement. Il fait le récit des violences sexuelles, de l’humiliation institutionnalisée, des enfants livrés à des prédateurs sexuels par d’autres enfants, contraints à devenir complices. Alain Esquerre décrit un système à Bétharram. La mécanique décrite révèle une violence systémique, ancrée dans l’institution scolaire, renforcée par l’omerta, et protégée par le poids de la hiérarchie.
La mécanique du silence
« Comment imaginer que le Père Carricart va violer un enfant le jour de l’enterrement de son père » demande Alain Esquerre. Dans son récit, il parle au nom de ceux qu’il appelle les « enfants fantômes ». Il se fait le porte-voix des enfants violés, et dénonce des dortoirs transformés en « supermarché pour pédophiles ». Loïc, victime, sombre dans l’alcool. Hélène, battue et humiliée, s’enferme dans le silence : « le crime pédophile est un crime parfait. Les enfants ont mille raisons de se taire » explique cette dernière, une des filles de François Bayrou.
Pour lui, écrire est un « rituel de purification, pas une mise à mort », mais aussi un combat. Il a créé un groupe d’anciens élèves et se bat pour que justice soit rendue et pour que ces violences ne puissent plus se reproduire, explique-t-il.
La responsabilité collective
Les alertes ? Il y en a eu. En 1996, la famille de Marc porte plainte pour une gifle ayant entraîné une perte auditive. L’année précédente, la professeure Françoise Gullung avait tenté d’alerter sur les violences. Menacée, elle est violemment agressée : plusieurs os du visage fracturés, nez cassé. Le silence institutionnel est brutal : « Vous me le paierez », lui avait lancé le père Carricart. Ne pas faire de vagues, déjà. En 1996, un élève reçoit une gifle qui lui fait perdre l’audition.
Pour Alain Esquerre, Bayrou n’est pas seul en cause. C’est toute une région, toute une époque, et bien plus encore : toute une société. Celle qui élève dans la violence, banalise les coups, trouve normal qu’un enfant se taise. Il rend hommage aux journalistes. Sans eux, dit-il, « il n’y aurait pas d’affaire Bétharram ». Et il pose une question simple : « Comment faire mieux ? »
Ne pas refermer les yeux, ni se taire
Ce témoignage est une charge et un cri. Aujourd’hui, il est temps de sortir du déni éducatif et institutionnel et d’un silence complice partagé par l’Église, l’institution scolaire, les familles et toute une société. L’école, l’Église, les familles, l’État : tous doivent répondre. François Bayrou, le ministre de l’Education national d’hier comme le Premier ministre d’aujourd’hui.
Djéhanne Gani
Bétharram et commission d’enquête : le dossier du Café pédagogique
