« La dépense éducative est l’un des usages les plus efficaces des finances publiques, à condition d’être correctement orientée » déclare Julien Grenet, le directeur adjoint de l’IPP (institut des politiques publiques) et responsable du pôle Éducation.
Dans une note publiée mercredi 14 mai 2025, les économistes Julien Grenet et Camille Landais plaident pour une réorientation des dépenses éducatives, rendue possible par la baisse démographique. Plutôt que de réduire les budgets, ils proposent de les investir là où leur efficacité est prouvée : réduction de la taille des classes dans le premier degré, formation continue des enseignants mieux ciblée et accompagnée, ou encore tutorat individualisé. À l’inverse, ils alertent sur les effets incertains de certaines politiques coûteuses, comme le redoublement ou les groupes de niveau, qui risquent de renforcer les inégalités sans améliorer les performances. Un outil d’évaluation, l’indice d’efficacité de la dépense publique, est proposé pour guider les choix à venir.
Vous partez du constat que le budget de l’Éducation nationale est le premier de l’État et que la part du PIB consacrée aux dépenses d’éducation (5,4 %) est légèrement supérieure à la moyenne des pays de l’OCDE. Pourtant les résultats ne sont pas à la hauteur. Pour vous, c’est une question d’allocation des moyens, notamment au détriment du premier degré et des élèves les plus fragiles. La baisse démographique, une opportunité pour baisser le budget ou mieux répartir ?
La baisse démographique ne doit pas être vue comme un prétexte pour réduire le budget de l’Éducation nationale, mais bien comme une opportunité pour en améliorer l’efficacité. C’est d’ailleurs l’un des enseignements centraux de notre note : la dépense éducative et l’un des usages les plus efficaces des finances publiques, à condition d’être correctement orientée.
Or, bien que la France consacre à l’éducation un effort budgétaire supérieur à la moyenne de l’OCDE (5,4 % PIB contre 4,9 %), les résultats ne suivent pas : les performances des élèves, notamment en mathématiques, se dégradent, et les inégalités scolaires restent parmi les plus marquées des pays développés. Le problème tient donc moins au niveau global de la dépense qu’à son allocation. Plusieurs pays comme le Canada, l’Estonie, l’Irlande, le Japon ou la Pologne obtiennent de meilleurs résultats avec des niveaux de dépense par élève comparables, voire inférieurs à ceux de la France.
L’un des déséquilibres structurels majeurs réside dans le sous-financement du premier degré, qui joue pourtant un rôle déterminant dans les apprentissages fondamentaux : la dépense par élève y est inférieure de 11 % à la moyenne OCDE, alors qu’elle est 13 % plus élevée dans le secondaire. C’est un arbitrage budgétaire peu efficient, d’autant que les recherches montrent que les interventions précoces sont à la fois les plus efficaces et les plus rentables socialement.
Dans ce contexte, la baisse attendue des effectifs scolaires – de l’ordre de 9 % dans le premier degré d’ici 2029, et une diminution qui touchera le second degré jusqu’au moins la fin des années 2030 – ouvre une fenêtre d’opportunité inédite pour corriger les déséquilibres structurels de la dépense éducative et la concentrer sur les leviers qui améliorent réellement les apprentissages et réduisent les inégalités.
Dans ce contexte de baisse démographique et d’austérité budgétaire où la tendance pourrait aller à des coupes franches dans la dépense /investissement de l’éducation, vous proposez un nouvel indicateur, l’indice d’efficacité́ de la dépense publique (EDP), pourquoi et que permet de mesurer cet outil ?
Pour mieux orienter la dépense éducative, il est essentiel de s’appuyer sur une évaluation rigoureuse du rapport entre les coûts engagés et les bénéfices attendus. C’est précisément ce que permet l’indice d’efficacité de la dépense publique – ou EDP – que nous mobilisons dans notre note. Introduit en 2020 dans la littérature économique sous le nom de Marginal Value of Public Funds (ou MVPF), cet indicateur permet de comparer les politiques publiques en fonction de leur rendement social, autrement dit de ce qu’elles rapportent à la collectivité pour chaque euro investi par la puissance publique.
Concrètement, l’EDP est défini comme le ratio entre le gain pour les bénéficiaires directs ou indirects d’une politique (en termes de revenus futurs, de santé, de participation civique, etc.) et son coût net pour les finances publiques. Ce coût net correspond au coût de déploiement de la politique (ou coût « brut »), auquel on soustrait les recettes fiscales induites, par exemple via l’augmentation des revenus des bénéficiaires ou les économies réalisées sur certains transferts sociaux.
Prenons l’exemple d’une politique de réduction de la taille des classes dans le premier degré. Celle-ci a fait l’objet de nombreux travaux d’évaluation, en France comme à l’étranger, qui montrent qu’un élève en moins par classe entraîne une amélioration des résultats scolaires de l’ordre de 1,5 % à 2,5 % d’un écart-type. Pour une réduction de 12 élèves par classe – comme dans le cas d’un dédoublement – cela correspond à un gain de 20 à 30 % d’un écart-type, soit, pour un élève moyen, l’équivalent d’une amélioration de 8 à 12 centiles dans la distribution des performances scolaires. Par ailleurs, la littérature économique établit un lien robuste entre les compétences acquises à l’école et les revenus à l’âge adulte : on estime qu’une augmentation d’un écart-type des performances scolaires se traduit par une hausse moyenne de salaire d’environ 10 %. En combinant ces deux résultats, on peut quantifier les bénéfices économiques attendus d’une telle politique pour les élèves concernés.
Ces gains privés sont eux-mêmes générateurs de recettes fiscales à long terme. Une partie des revenus supplémentaires perçus par les élèves ayant bénéficié de classes réduites est en effet reversée à l’Etat sous forme d’impôts, auxquels peuvent s’ajouter des économies sur certaines dépenses, par exemple en matière de chômage ou de minima sociaux. Lorsqu’on met en regard ces retombées fiscales avec le direct de la politique – essentiellement lié au recrutement d’enseignants supplémentaires – on constate que la mesure est, à long terme, autofinancée : l’État récupère autant, voire davantage, que ce qu’il a investi initialement.
Et encore, cette estimation reste prudente : elle ne prend pas en compte d’autres bénéfices potentiels d’une diminution de la taille des classes, comme par exemple l’amélioration du bien-être au travail des enseignants, liée à des conditions d’enseignement plus favorables. C’est précisément ce type d’analyse que permet l’indice EDP : rendre visible la rentabilité sociale réelle des investissements éducatifs, au-delà de leur seul coût immédiat. Il offre également un cadre commun pour comparer différentes politiques entre elles – redoublement, tutorat, formation des enseignants, numérique éducatif, etc. – en mettant en regard leurs effets attendus sur le bien-être collectif et les ressources publiques qu’elles mobilisent. En cela, l’EDP constitue un outil d’aide à la décision publique particulièrement utile dans un contexte de choix budgétaires contraints, sans pour autant se substituer à la délibération démocratique sur les priorités éducatives de la nation.
Peut-on évaluer les politiques publiques, leur qualité et efficacité ? quelles limites à cela ?
Oui, il est possible – et même indispensable – d’évaluer les politiques publiques, à condition de s’appuyer sur des méthodes rigoureuses permettant d’évaluer des effets causaux. Cela passe par des expérimentations contrôlées, dans lesquelles les bénéficiaires sont sélectionnés de manière aléatoire, ou par des « quasi-expériences » (ou « expériences naturelles »), qui exploitent des variations exogènes indépendantes des caractéristiques des individus. Pour mesurer les effets de la taille des classes, par exemple, on peut s’appuyer sur les seuils administratifs d’ouverture de classes : comparer des écoles situées juste au-dessus ou juste en dessous de ces seuils, à effectif quasiment égal, permet d’isoler l’effet d’une réduction du nombre d’élèves par classe sur les acquis scolaires.
Dans le domaine éducatif, les évaluations d’impact se sont multipliées au cours des dernières années, y compris en France, grâce notamment à l’amélioration des méthodes et à un accès élargi à des données de plus en plus riches. Celles-ci permettent de mesurer les effets de différents types d’interventions éducatives, non seulement sur les acquis scolaires des élèves, mais aussi sur d’autres dimensions du bien-être individuel et collectif, telles que les compétences socio-émotionnelles, l’insertion professionnelle, la santé, ou encore la participation civique.
Mais l’exercice n’est pas sans limites. D’une part, la valorisation des bénéfices des politiques éducatives reste complexe : si les acquis scolaires sont relativement bien mesurés, d’autres effets – par exemple sur la santé ou la criminalité – restent plus difficiles à quantifier. D’autre part, les retombées des politiques éducatives sont souvent différées dans le temps, ce qui oblige à projeter les effets observés à court terme en gains futurs, par exemple sur les salaires. Enfin, l’estimation des coûts complets reste souvent approximative : au-delà des dépenses visibles, il faut intégrer les coûts de coordination, de formation, ou d’équipement, rarement bien documentés.
Pour progresser, trois priorités s’imposent : d’abord, renforcer l’expérimentation à grande échelle, pour mesurer l’impact des politiques éducatives dans leurs conditions réelles de mise en œuvre ; ensuite, améliorer l’accès, la qualité et l’exploitation des données administratives, en développant les possibilité de croisement avec d’autres sources (notamment sur l’emploi et les salaires), afin de pouvoir quantifier les effets de long terme de l’investissement éducatif ; enfin, mieux documenter les coûts complets des politiques éducatives est condition essentielle pour comparer de manière fiable leur efficacité et guider les choix publics.
Quels leviers avez-vous identifiés pour améliorer l’efficacité de la dépense éducative ?
Avec Camille Landais, nous nous sommes intéressés à quatre grands types de leviers pour améliorer l’efficacité de la dépense éducative : l’organisation de la classe et de la scolarité, le développement des compétences des élèves (y compris les compétences socio-comportementales), la formation et l’accompagnement des enseignants, et le renforcement du lien entre l’école et les familles.
Parmi les politiques analysées, certaines se distinguent par un rapport bénéfice-coût élevé, au point d’être autofinancées : en améliorant les compétences des élèves, elles génèrent à terme des hausses de revenus qui se traduisent par des recettes fiscales supérieures au coût initial pour l’Etat.
C’est le cas, par exemple, du dédoublement des classes dans le premier degré, dont les effets positifs sur les apprentissages sont bien documentés, notamment pour les élèves issus de milieux défavorisés. Or, si le dédoublement des classes de CP et CE1, puis de grande section de maternelle, dans les réseaux d’éducation prioritaire a permis une diminution notable de la taille des classes dans le premier degré, celle-ci reste supérieure de 3 élèves à la moyenne des autres pays de l’UE pour lesquelles les données sont disponibles. Dans ce contexte, nous recommandons de mobiliser les marges budgétaires ouvertes par la baisse démographique pour amplifier la réduction de la taille des classes dans l’élémentaire et le préélémentaire, en ciblant en priorité les écoles accueillant les élèves les plus défavorisés.
Le tutorat individualisé, bien que peu développé en France, constitue un autre levier très prometteur. La recherche internationale est unanime sur son efficacité, en particulier lorsque ce soutien est dispensé dans l’enseignement élémentaire, sur le temps scolaire, par des personnels « para-professionnels » (étudiants, intervenants extérieurs). Ce format présente un double avantage : il est efficace tout en restant relativement peu coûteux, ce qui le rend facilement déployable à grande échelle. Dans le contexte français, Il serait pertinent d’explorer le potentiel de mobilisation d’étudiants de licence ou de master, en valorisant leur engagement sous la forme de crédits ECTS, par exemple.
On peut également citer des politiques volontaristes, comme l’internat d’excellence de Sourdun, ouvert en 2009. Évalué à partir d’un protocole d’assignation aléatoire, ce dispositif a montré des bénéfices très élevés pour les élèves qui y sont accueillis : +21 points d’accès au baccalauréat général, +17 points à l’enseignement supérieur. Malgré un coût élevé (environ 22 000 euros par élève et par an), son indice d’efficacité est estimé à 4,5, ce qui signifie que chaque euro net investi génère près de cinq euros de bénéfices sociaux.
Enfin, certains dispositifs peu coûteux montrent aussi une efficacité élevée. C’est le cas d’interventions ciblant les compétences socio-comportementales, comme un programme développé par l’association Énergie Jeune et expérimenté dans 97 collèges défavorisés, qui vise à renforcer le sentiment d’efficacité personnelle des élèves et à réduire leur fatalisme social. De même, des programmes comme la mallette des parents, initialement expérimentée dans l’académie de Créteil pour renforcer l’implication des parents dans la scolarité de leurs enfants avant d’être étendue à d’autres académie, ont montré des effets très significatifs sur les comportements scolaires et les apprentissages. Ces leviers, souvent peu visibles dans le débat public, méritent d’être mieux soutenus et intégrés dans les politiques éducatives.
Et que nous disent les évaluations sur l’efficacité du redoublement et des groupes de niveau ?
La recherche remet largement en question l’efficacité du redoublement. Les études les plus solides s’appuient sur des contextes où le passage dans la classe supérieure dépend de la réussite à un test standardisé, ce qui permet de comparer des élèves très similaires de part et d’autre du seuil. Ces travaux montrent que le redoublement n’a pas d’impact durable sur les performances scolaires et qu’il est associé à un risque accru de décrochage dans l’enseignement secondaire. Ces résultats sont d’autant plus préoccupants lorsqu’on les met en regard du coût prohibitif de cette politique : près de 8 000 euros par année redoublée dans le primaire, près de 10 000 euros dans le secondaire, sans compter les coûts indirects, liés notamment à une entrée différée sur le marché du travail. À la lumière de ces éléments, l’indice d’efficacité du redoublement apparaît nul, voire négatif.
Les travaux de recherche sur les groupes ou classes de niveau ne sont guère plus encourageants. Les méta-analyses sur le sujet indiquent en effet que les regroupements « permanents », instituées pour une année ou plus, n’ont pas d’effet positif sur le niveau moyen des élèves et ont tendance à creuser les inégalités, qu’elles soient liées au niveau initial ou à l’origine sociale. Ces effets sont souvent attribués au caractère stigmatisant de ces dispositifs qui tendent à renforcer une vision fixiste des aptitudes scolaires.
À l’inverse, les approches fondées sur des regroupements flexibles et temporaires – centrés sur des compétences spécifiques et révisés régulièrement par les enseignants – sont plus prometteuses. Elles reposent sur une logique d’adaptation continue aux besoins identifiés, plutôt que sur une hiérarchisation stable des élèves. Toutefois, les études d’impact restent limitées, et de nombreuses incertitudes subsistent sur les modalités les plus efficaces de mise en œuvre, notamment l’articulation avec différentes approches pédagogiques (classes personnalisées, pédagogie de la maîtrise des apprentissages, enseignement explicite, etc.).
Les regroupements mis en place en sixième à la rentrée 2024 dans le cadre du « Choc des savoirs » relèvent d’une approche intermédiaire entre groupes de niveau et groupes de besoin, mais s’inscrivent dans une logique plus proche des premiers. Cette configuration hybride rend leurs bénéfices hautement incertains, en particulier si on les compare à d’autres dispositifs dont l’efficacité est mieux documentée, comme le tutorat individualisé. Dans ce contexte, généraliser ces regroupements à l’ensemble des niveaux du collège, comme envisagé initialement, ne semble pas pertinent sans une évaluation préalable, conduite à l’issue de la première année de mise en œuvre.
Vous identifiez des politiques à l’efficacité incertaine, lesquelles ?
Certaines politiques apparaissent comme des leviers potentiellement intéressants, mais restent entourées d’incertitudes importantes quant à leurs effets, ce qui justifie une approche expérimentale préalable avant tout déploiement à grande échelle.
Un premier exemple est la réduction de la taille des classes au collège. Contrairement au primaire, où les effets positifs sont bien établis, les études disponibles pour le secondaire sont rares et les résultats plus incertains. En France, une évaluation fondée sur les seuils d’ouverture de classes suggère un impact deux fois plus faible que dans le premier degré. Compte tenu de l’enjeu budgétaire et les opportunités offertes par la baisse démographique, nous recommandons de mettre en place une expérimentation ciblée, conduite sur un sous-ensemble d’établissements, afin de mesurer précisément les effets d’une réduction de la taille des classes au collège et d’en calibrer le périmètre et l’intensité à partir de ces résultats.
Un second exemple est celui du numérique éducatif. La recherche met en évidence des effets très hétérogènes. Les simples dotations en matériel (tablettes, ordinateurs) sans accompagnement pédagogique ont généralement peu d’impact sur les apprentissages. En revanche, les dispositifs qui intègrent des contenus numériques interactifs, adaptés au niveau des élèves et utilisés dans le cadre d’un enseignement structuré, peuvent produire des effets très significatifs, notamment en mathématiques, pour un coût relativement modeste. Le potentiel est donc réel, mais il dépend étroitement de l’appropriation des outils par les enseignants et de leur intégration cohérente dans les pratiques pédagogiques. En France, l’usage en classe de ces outils reste limité, et peu d’initiatives ont été évaluées de manière rigoureuse. Là encore, le recours à des expérimentations ciblées est indispensable pour identifier les solutions les plus efficaces et mieux comprendre les conditions dans lesquelles les outils numériques peuvent renforcer l’action des enseignants.
Vous avez des préconisations sur la formation des enseignants. Pouvez-vous développer ?
Oui, nous formulons plusieurs recommandations sur ce point, car les enseignants sont au cœur de la réussite des élèves et concentrent l’essentiel des moyens du système éducatif. Améliorer leur formation et leur accompagnement constitue donc un levier prioritaire pour renforcer l’efficacité de la dépense éducative.
La recherche montre que les enseignant qui font le plus progresser leurs élèves améliorent également leurs trajectoires à long terme : meilleur accès à l’enseignement supérieur, revenus plus élevés à l’âge adulte, insertion professionnelle plus stable, etc. Transposées à la France, les estimations issues des travaux des travaux de Chetty et al. aux États-Unis suggèrent qu’un enseignant à forte « valeur ajoutée » peut générer un gain salarial cumulé supérieur à 90 000 euros par classe. Le potentiel économique et social de politiques visant à améliorer la qualité de l’enseignement est donc considérable. Cependant, les leviers permettant d’atteindre cet objectif sont encore imparfaitement identifiés. En particulier, la recherche ne converge pas sur l’efficacité des incitations financières ou des modalités de recrutement des enseignants.
Des recommandations plus solides émergent sur la formation continue des enseignants. En France, celle-ci repose encore largement sur un modèle peu intensif, peu ciblé et souvent déconnecté des réalités de la classe. Or, les formats traditionnels, ponctuels, généralistes et peu ancrés dans la pratique, ont peu d’impact démontré sur les pratiques pédagogiques ou les acquis des élèves. Ce constat, partagé tant par la recherche que par les enseignants eux-mêmes, interroge d’autant plus que la formation continue des enseignants mobilise des ressources considérables – plus d’un milliard d’euros par an – et constitue la première cause d’absence hors congés maladie dans les établissements.
Ce diagnostic plaide pour une réorientation ambitieuse vers des formats plus efficaces, dont la recherche a mieux établi l’impact : formations intensives, centrées sur les disciplines, ancrées dans la pratique de classe, assorties d’un suivi régulier (coaching, observation retours individualisés) et accompagnées dans la durée. Ce sont ces formats qui offrent le meilleur potentiel pour renforcer durablement l’efficacité pédagogique.
Enfin, ces formations devraient être mieux articulées avec les dispositifs d’évaluation existants. La France se distingue par une fréquence d’inspections pédagogiques particulièrement faible : en moyenne tous les sept ans, un rythme très éloigné des standards internationaux. Pourtant, la recherche montre que lorsqu’elles s’accompagnent de retours individualisés, ces inspections peuvent améliorer de manière très significatives les pratiques enseignantes et les résultats des élèves. Nous recommandons donc d’en augmenter la fréquence et de les utiliser comme levier pour construire des parcours de formation continue fondés sur les besoins réels observés en classe.
Vous proposez en somme avec cet enjeu de la formation d’investir pour les enseignants mais pas sur les salaires, hors sujet pour vous dans la perspective d’un système éducatif plus « efficace » ?
Le travail que nous avons conduit dans cette note reste exploratoire et ne prétend nullement à l’exhaustivité. La question de la rémunération des enseignants est évidemment centrale au regard de l’attractivité du métier. Il s’agit d’un enjeu structurel pour le système éducatif, au même titre que les politiques d’affectation des enseignants, en particulier dans les établissements les plus confrontés aux difficultés sociales et qui peinent à attirer et à fidéliser des équipes pédagogiques stables.
Cependant, nous avons fait le choix de nous concentrer sur les leviers pour lesquels des évaluations d’impact robustes sont disponibles, ce qui n’est malheureusement pas encore le cas pour la question salariale. En France, cette lacune en matière de recherche empirique s’explique notamment par la difficulté d’accès des chercheurs à certaines données administratives, comme celles relatives aux mutations des enseignants. Pourtant, ces données seraient essentielles pour évaluer l’effet de dispositifs concrets, tels que les primes qui ont été en place en 2015 dans les collèges des réseaux d’éducation prioritaire, afin de renforcer leur attractivité et de réduire le taux de rotation des enseignants.
Autrement dit, l’absence de recommandations sur les salaires dans notre note ne signifie en rien que le sujet est secondaire, mais reflète le fait qu’il reste aujourd’hui insuffisamment éclairé par les travaux de recherche, ce qui limite notre capacité à proposer des orientations fondées sur des éléments probants.
Propos recueillis par Djéhanne Gani
Lien vers la note :
Julien Grenet et Camille Landais : « Éducation : comment mieux orienter la dépense publique », Les Notes du CAE, n° 84, mai 2025, Conseil d’analyse économique.
Focus associés :
- « L’indice d’efficacité des dépenses publiques appliqué à l’internat d’excellence de Sourdun », Focus du CAE, n° 111.
- « L’effet des compétences scolaires sur les salaires futurs », Focus du CAE, n° 112.
- « Efficacité économique de la réduction de la taille des classes », Focus du CAE, n° 113.
- « Efficacité des politiques éducatives : sources et hypothèses de calcul », Focus du CAE, n° 114.
