Et si nous apprenions à déchiffrer toutes ces inscriptions grecques présentes dans les salles de musées et sites archéologiques, sur les monuments et « jusque dans la rue » ? C’est le défi que nous proposent de relever Caroline Fourgeaud-Laville et François Lefèvre, spécialistes de la Grèce antique, dans Graver pour l’éternité – La Grèce au fil des écritures, illustré par Djohr, que viennent de publier les éditions Belles Lettres, dans leur collection La Vie des Classiques. Et le jeu est tentant !
L’épigraphie : pour quoi faire ?
Construit en deux parties, l’ouvrage commence par une histoire de l’écriture grecque passionnante, intitulée « Epigraphie poste restante ». Fouillant dans les origines même des lettres grecques en quête de « domicile », de l’alphabet phénicien au linéaire B, Caroline Fourgeaud-Laville y rappelle combien notre rapport à la Grèce est vivant (en témoigne le dessin clin d’œil de Jul en 1ère de couverture). Et combien la Grèce antique a essaimé, un peu partout dans le monde, « de très lointains messages » inscrits dans la pierre et l’argile, l’os et l’ivoire, le métal et le verre.
Car même si nombre des grands textes que nous connaissons étaient d’abord destinés à être portés ou joués devant des assemblées ; même si « le lien de parole fut longtemps considéré comme l’essence même de la transmission » – y compris par certains de ses plus grands philosophes – la Grèce antique ne fut pas qu’une « civilisation de l’oralité ». L’écrit y était partout présent, encadrant la vie publique, délimitant les bornes de la cité, portant la parole officielle ; invitant à la réflexion, comme le rappelle Socrate à Euthydème citant l’une des fameuses maximes delphiques gravée sur le temple d’Apollon : « Connais-toi toi-même » (Γνῶθι σεαυτόν » / Gnỗthi seautόn) ; accompagnant aussi la vie privée par des étiquettes ou signatures, désignant propriétaires ou noms d’atelier, des dédicaces, épitaphes, questions aux oracles, tablettes de malédiction …
Apprendre à les déchiffrer, dès la Renaissance, on en a saisi tout l’intérêt pour comprendre l’antiquité. Et depuis, l’épigraphie n’a cessé de se déployer, car « toutes les inscriptions même les plus indifférentes doivent être considérées comme autant de témoignages historiques ».
L’épigraphie : comment faire ?
Déchiffrer une inscription fut longtemps, à la manière d’Euryclée la nourrice d’Ulysse identifiant Ulysse à « une cicatrice à la jambe qu’elle reconnait au toucher », comme apprendre à lire avec ses doigts, rappelle joliment François Lefèvre. Mais aujourd’hui les techniques se sont multipliées ; la photographie en particulier a constitué un tournant majeur dans ce décryptage, permettant aussi à chacun·e de s’y initier. Ce que nous propose la seconde partie de l’ouvrage constituée d’un « Itinéraire épigraphique » en 27 stations.
Cette promenade nous mène de la baie de Naples, pour découvrir la « coupe de Nestor » datant de 730 environ av. J.-C., au piédestal d’une statue du sanctuaire d’Athena Pronaia à Delphes dédiée à l’empereur Hadrien, datant de 125 apr. J.-C. De l’une à l’autre, nous nous aurons voyagé sur près de dix siècles et parcouru des milliers de kilomètres de Boston à la Lybie, de l’Egypte, à l’Ukraine… en passant bien sûr par Athènes !
Tout au long de ce périple, François Lefèvre nous accompagne dans la découverte des codes typographiques du « jargon épigraphique », nous aidant à déchiffrer cette sélection qui « se veut aussi plaisante et représentative que possible, avec différents degrés de difficulté en grec », accompagnant chaque texte et objet de commentaires permettant de les contextualiser. Il nous propose même un véritable exercice « de travaux pratiques » à partir d’une plaque de marbre trouvée à Délos. Objet possible d’une séquence d’initiation à l’épigraphie avec un groupe d’hellénistes, qu’on pourra aussi inviter à découvrir l’alphabet des différentes régions de la Grèce, consultable en fin d’ouvrage.
Une promenade bien sûr érudite, mais aussi enthousiasmante, et pleine de surprises…
Claire Berest
